Stare into Death And Be Still

Artiste : Ulcerate

Origine : Nouvelle-Zélande

Date de sortie : 2020

Genre : Tech Death Metal

L’Album de l’année 2020, tout simplement.

Le Death Metal, j’y connais quasi rien, et pourtant c’est un album de Death qui finit tout en haut de ma liste 2020, pourtant pas mal fournie en Black, Stoner, Sludge et Prog qui sont des genres qui me parlent plus. Originaires de Nouvelle-Zélande, Ulcerate sont apparemment des pontes de la scène Tech Death Metal depuis 20 ans, qu’on ne présente plus donc. Pourtant je les ai découverts cette année, c’est vous dire mon ignorance du sujet.

Alors je vais essayer de ne pas faire le malin et de parler uniquement de mon ressenti. En premier lieu, voici ce que je me suis approximativement dit en entendant les premières mesures de Exhale the Ash :

AH BAH PUTAING QUELLE CLAQUE.

(À une vache près hein)

Ce riff d’entrée donne le ton pour une expérience de très haute qualité : ce motif à la guitare, mélodique et mélancolique qui sonne comme un Epitome, avec la batterie qui prépare les chevaux… Et le chanteur qui les lâche dans une transition parfaite. Ça défonce à la double pédale et on a à peine le temps de suivre ce qu’il se passe qu’on se retrouve de nouveau sur un riff groovy et mélodique. J’ai pas trop eu le temps de comprendre ce qu’il se passait mais je suis immédiatement accroché par ces compositions aigües et racées.

Et ça va continuer comme ça pendant la totalité de 58 minutes de l’album. Pas un seul plan n’est à jeter, pas un seul élément sonore n’est « moyen » ; tout, TOUT est stratosphérique.

Les guitares sonnent magnifiquement : c’est agressif tout en ayant un son propre, et ça réussit le coup de force d’être à la fois quasi-entièrement dissonant et d’un niveau de mélodie à tomber. On alterne des plans rapides, des riffs plus mid-tempo jeunes et beaux qui sentent bon le headbang chaud, des transitions d’une précision telle qu’on ne les sent pas passer. Il y a tellement de strates mélodiques et rythmiques et tout se fond si bien qu’on se demande de quelle magie noire usent les guitaristes de Ulcerate pour jouer ainsi en osmose.

Hein, quoi ? Comment ça, « LE » guitariste ? Il est TOUT SEUL ?

Parce que oui, après environ 458 écoutes d’affilée je me suis renseigné et ai appris que les membres de Ulcerate sont au nombre de trois. Ils sont QUE TROIS PUTAIN. Alors j’ai pas l’habitude du Tech Death Metal et je ne sais pas si c’est courant, mais vu le niveau de densité sonore et la maîtrise parfaite, je m’imaginais un putain d’orchestre à la Cult of Luna. Ils sont pas Néo-Zélandais, ils sont extraterrestres les mecs.

Bon, j’ai bien compté. Trois personnes, deux bras chacun. Doit y avoir un truc.

Parce que Michael Hoggard doit être un sorcier vaudou pour avoir ce niveau, mais c’est que y’a pas que la guitare : la basse de Paul Kelland envoie un son des enfers et a un nombre incalculable de riffs bien à elle qui soutiennent, complètent ou semblent carrément jouer en opposition de la guitare. Et pourtant tout est toujours en symbiose parfaite.

Autre chose qui m’a frappé : la production. La qualité est bien évidemment au top, tout est audible et parfaitement dosé etc etc. Mais, fait intéressant, les guitares ne sont pas dans un accordage très bas pourtant prisé dans le Death Metal. Le son n’est pas « gras »; les musiciens de Ulcerate ont considéré que le concours de teub de « quiqu’a le plus gros son post-indus-sludge-death-bruit-marron » ne les intéressait pas, selon eux c’est la maîtrise qui prime. Hors de question de camoufler un travail qui serait moins que parfait avec un son à la mode.

Elément de contexte intéressant sur la prod ; ayant quitté la grosse écurie de Relapse Records, les Néo-Zélandais ont souhaité rejoindre un label à taille plus humaine, et se sont bien trouvés avec Debemur Morti à qui l’on doit nombre de perles, Blut Aus Nord en tête de gondole. Et au vu de la qualité de la production, on se dit qu’il y a pu avoir des échanges d’expériences ; le son est parfaitement équilibré, porté par une saveur froide et feutrée qui rappelle les meilleurs opus de la bande à Vindsval.

Passons à la voix, voulez-vous ? Paul Kelland livre un growl dans la lignée d’un David Vincent ou d’un Mikael Åkerfeldt : un growl rauque et caverneux mais pas gras, d’une puissance dingue, et – ce qui fait toute la différence entre un bon growl et un growl exceptionnel – un growl lisible, compréhensible. Ecoutez-le sur Inversion, ou encore sur la chanson éponyme ; si vous n’avez pas une irrépressible envie de hurler avec lui qui vous prend la poitrine, c’est que vous avez pas de coeur, na.

STAAAAAAAAAARE

INTO DEAAAAAAATH

AND BEEEE STIIIIIIILLL

Que c’est bon, crévindjou. C’est simple, Ulcerate n’est pas Opeth – loin de là. Mais pour tous ceux qui sont nostalgiques du Opeth avec Growl, Stare Into Death And Be Still est ce que vous trouverez de plus satisfaisant, de très très loin.

Derrière les fûts, Jamie Saint Merat (je pense que c’est en fait un nom de couverture pour Cthulhu) tape sévère mais avec une précision chirurgicale, il produit plan d’anthologie sur plan d’anthologie, et sait livrer des polyrythmies que ne renierait point Meshuggah. Le niveau de maîtrise de la double pédale est tel, que la totalité de la scène devrait s’enjailler en le prenant comme modèle. Mais faisons le bilan, calmement, avant que ma totale incompétence musicologique ne me trahisse :

Ulcerate nous livre ici à mon humble et partial avis un des chefs-d’oeuvre du Metal moderne. C’est un tourbillon sonore ininterrompu, dense, fluide, précis, puissant et qui procure une intense satisfaction à chaque écoute. Et comme si ça ne suffisait pas, l’album traite du thème Ô combien classique mais universel de la mort, et plus précisément de la difficulté pour les vivants de regarder la mort en face. La mort de nos proches, qui nous déchire et nous rappelle qu’on sera peut-être le/la prochain/e. Le magnifique artwork illustre cela avec panache ; une représentation humaine idéalisée, mais flouée et déformée par ce qui ressemble vraisemblablement à une cloque de brûlure ; c’est un cliché photographique en train de fondre sous la flamme, en train de perdre toute forme pour s’évanouir bientôt.

La tristesse, la colère sourde, la puissance, la technicité, un thème sombre et classe : tout est là. S’il ne devait rester qu’une seule idée du Metal, une quintessence, ce serait ÇA. Tout simplement.