Ascension Codes

Artiste : Cynic

Origine : US

Date de sortie : 2021

Genre : Progressive Metal Jazzy

Comment aborder cet album sans parler de la mort? On ne le peut tout simplement pas car il est le résultat de longs moments d’introspection et de réflexion de la part de Paul Masvidal suite au décès de ses deux amis, ses compagnons de longues dates, presque coup sur coup, drame personnel sur fond d’isolement et d’atmosphère général qui est au paroxysme de anxiogénéité.
Alors comment surmonter tout cela si ce n’est de s’adonner à la créativité, activité en tout point cathartique et salvateur?

Mais comment continuer quand on a perdu les 2/3 de l’ensemble qui font l’identité et qui forment Cynic? Eh bien, en travaillant de manière passionnée et sincère, en faisant appel aux musiciens de qualité, qui comprennent cette démarche et qui arrivent à se fondre dans le concept d’ensemble sans trahir les origines du groupes, les musiciens défunts et en apportant leur personnalité au projet! Et c’est ce qui fait que Ascension Codes, comme son nom l’indique, comme le voulait Paul, un projet transcendantal.
Ah! Ce gros mot! Mais le projet est transcendantal dans le sens où, quand tout le monde croyais que Cynic est fini, puis quand tout le monde pensait que cet album sera une déception parce que les deux Sean ne sont plus; ou au mieux, quelque chose de juste bien mais qui ne sera plus Cynic sans ses Sean, Paul montre au monde qu’il est capable de surprendre! D’abord lui-même pour continuer à composer, à écrire depuis les profondeurs de ses propres jours sombres, puisant la force dans le fond de son marais noir pour remonter à la surface, pour ses camarades partis rejoindre les étoiles, car cet album est aussi un hommage de Paul à ses deux comparses. Ensuite, surprendre le monde de par la qualité de cet excellent opus, à la fois beau et puissant comme un supernova et en même temps aussi mystérieux que le profond cosmos en restant fidèle à l’identité musicale de Cynic!

Soyons honnête, Ascension Codes est beaucoup plus jazzy que tous les albums précédents de Cynic, mais cette essence organique, presque vivant des enchaînement de riffs, ces variations harmoniques progressives à la sauce Cynic sont bel et bien présentes tout au long de cet album. D’ailleurs, Ascension Codes fait une suite parfaite, supérieure même, et totalement en cohérence avec Kindly Bend to Free Us.
Le jeu dynamique et d’une précision ciselant de Matt Lynch contribue beaucoup au succès de cet album, ainsi que les plages de claviers célestes et véloces de Dave Mackay, choix curieux, mais finalement très judicieux de la part de Paul, car cet apport de basse synthétique et autres effets sonores crées grâce au clavier donnent à cet album une dimension interstellaire.Si j’ai toujours trouvé qu’il y a une dimension organique dans la musique de Cynic, cette dimension est criante dans cet album tel les guitares sont ondulantes et expansives, les plages de claviers sont comme des méduses multiformes qui se rétractent et se dilatent suivant le rythme de cette mer ample tantôt calme, tantôt impérieuse constituée par la batterie. Ici, Paul nous gratifie du mélange de voix synthétique, robotique comme sur Focus et la voix claire utilisée dans Kindly Bend to Free Us, ce mélange apporte une dimension transhumanisme à tout l’ensemble, un thème que Masvidal semble être familier.

Suivez cette aventure céleste jusqu’au bout, car The Winged Ones est une hymne à l’élévation avec ses plages de clavier aériennes, la batterie régulière mais rapide, comme le rythme d’un horloge en dehors des âges, guidant le vaisseau qui est la guitare à franchir toutes les obstacles interstellaires dans un voyage spatial, à la recherche d’une planète située à quelques dimensions supérieures à celle où se trouve notre vieille Terre.
Mythical Serpents est une magnifique pièce où on retrouve un un petit parfum des origines death de Cynic avec ce growl profond qui lance la chanson et quelques riffs death. Mais sur tout le reste du morceau, ce sera une voix claire, entourée des vagues de batteries âpres, de clavier ample et de riffs déchirants, l’ensemble progresse, se rétrécit et s’enfle, la musique respire, les serpent vivent et ils ondulent dans l’espace, menant cette atmosphère chaude et épaisse jusqu’à son paroxysme avant de se rétrécir jusqu’à l’extinction finale. Tout ça, c’est autant de beauté qui fout la chiale!
Jusqu’à l’aube nouvelle où il faut traverser les pluies d’atomes du multivers, deux morceaux où on a le loisir de se délecter du jeu presque mathématique de Matt Lynch et une explosion musicale aussi chatoyante et aussi colorée qu’une étoile qui explose dans l’espace.
Et à la fin, le travail de transcendance se concrétise avec Diamond Light Body avec son intro proggy et cette voix qui n’est plus une voix humaine, mais pas totalement une voix de robot non plus, elle est éthérée, comme presque dématérialisée, parfois cristalline, avec une progression harmonique qui monte crescendo avant d’exploser à la fin en de milliers de notes ralenties et qui remplirent peu à peu toute l’espace; et c’est exactement là où Paul souhaite emmener les auditeurs: l’ascension finale, où on serait libre, libéré de la tristesse, de la peur et des doutes, un état dans lequel tout mouvement est superflu, il ne reste plus qu’immobilité, clarté et totale liberté devant l’humanité.Dans ses confidences laissées par-ci par là sur différents réseaux, c’est cette transcendance qu’il semble vouloir atteindre en travaillant à exorciser sa douleur devant la perte de ses amis. En voulant se reconnecter à ses défunt amis, il a transformé cette douleur, ressentie au plus profond des tripes, en ce magnifique opus en y insérant tout le travail et les concepts mystiques par lesquels il est passé. Il va jusqu’à entourer chaque morceau de minis interludes avec son de bols de cristal et des voix censées être des voix d’ange (light language), représentant des codes d’ascension.
Que signifie vraiment ces codes? Je ne sais, sinon qu’elles m’ont coûté plusieurs nuits blanches à la recherche de leur signification, en passant par les fréquences radios, les noms des pulsars, des quasars, ou des étoiles, ou leurs emplacement, jusqu’aux langages codées comme le L377, les langages occultes, ou d’autre geekeries de ce genre. J’ai même mis une équipe d’informaticiens et de philosophes plus ou moins nerd sur la piste (non, je n’ai pas du temps à perdre, je suis juste obsessionnelle), mais rien! Que dalle! Nada! A la fin, pour préserver ma santé mentale et celle de mes amis, je me suis résolue à accepter que ces codes sont une invention de Paul, sa propre conception des codes représentant les fréquences qui agiraient sur l’inconscience et qui apporteraient un apaisement mental, favorisant l’élévation, tout comme ces amulettes de protection qu’il a crée. Et c’est bien ainsi.

Ascension Codes est une œuvre aboutie, non seulement musicalement, mais aussi visuellement. Vous avez sans doute remarqué sa couverture avec cette espèce de vaisseau spatial organique, déployant ses tentacules, entrain d’atterrir sur une mer illuminée. Elle est magnifique, n’est-ce pas? Eh bien, cette œuvre est The Landing de Martina Hoffmann (www.martinahoffmann.com), peinture en 3 pièces, 75cm sur deux mètres quinze, œuvre monumental, fini en 2018, et qui symbolise l’espoir nouvelle, des possibilités, des potentielles, etc. selon l’artiste. Cette peinture a été inspirée par le paysage martien des plages de Bretagne en hiver, où Martina passait son temps en 2015 pour faire un travail d’introspection suite à la perte de sa maman, quelques années après la perte de son compagnon, Robert Venosa (1936 – 2011), l’auteur de toutes les couvertures des précédents album de Cynic.
La boucle est bouclé. Ascension Codes et The Landing prennent tous deux origine des questionnements intérieurs et du deuil des artistes. Pour Paul et Martina, leurs œuvres se veulent être une porte d’ouverture sur des possibilités nouvelles, des clés d’introspection pour s’élever et pour acquérir une conscience supérieure. D’ailleurs, Robert Venosa a quitté notre monde en 2011, le fait de demander à Martina, sa compagne de continuer cette collaboration entre les deux tribus 10 ans après est symbolique de part et d’autres, comme une continuité de la fécondité artistique après la mort.

L’art transcende la mort et Cynic le prouve avec cette magnifique album.

Cynic avec Paul Masvidal, Sean Reinert et Sean Malone

Interview de Martina Hoffmann et de Paul Masvidal pour les intéressés (en anglais) ici