Drone, Anarchisme et Foi : une conversation avec Allsiah

This is the French version. To read the English interview, click here

Il y a quelques mois, mes pérégrinations sur Internet m’ont amené sur la route de Maxim, l’artiste derrière le projet de Drone / Ambient Metal Allsiah, dont j’ai déjà vanté les mérites ici. Je ne me doutais pas qu’il me demanderait directement et si gentiment de chroniquer son tout dernier album Hallowed Halls, Consecrated Stone. Souhaitant en savoir un peu plus sur la personne derrière les riffs, je lui ai posé quelques questions et nous avons discuté musique, foi, anarchisme, application de traumatismes contondants sur nazis, et chiffons.

Voici ce qu’il en ressort 🙂

Tout d’abord, merci beaucoup d’avoir accepté de prendre un peu de temps pour cet entretien ! j’ai cru comprendre que ces dernières semaines avaient été particulièrement chargées pour toi entre la sortie de l’album et ton taf au Desertfest de Londres. Comment ça va aujourd’hui ?

Hey ! Avec plaisir, c’était assez chargé oui mais tu sais ce qu’on dit ; pas de repos pour les braves 😊  Je fais partie de ces gens qui s’arrêtent jamais, j’arrive pas à ne rien faire mais ça me convient comme ça.

J’aimerais parler de ton projet de Drone / Metal ambient Allsiah, dont tu viens de sortir le premier album. Peux-tu me raconter d’où vient le projet ? Quand ça a commencé et quelle était l’impulsion intiale, et les principales influences musicales ?

Bien sûr. L’idée de faire de la musique en-dehors d’un contexte classique de groupe de Metal m’a toujours intéressé. J’avais monté ce duo Sunderer où j’essayais de jouer des riffs intéressants, tout en ayant un son plus ou moins massif. Le piège classique quand tu joues à deux c’est de jouer que des notes simples et des “power chords” alors que mon défi c’était de jouer des accords pleins, d’avoir un rendu puissant tout en maintenant la clarté du son.

J’ai toujours aimé la musique Drone et je voulais en jouer en solo, en gardant le même objectif de clarté et de puissance, et qui serait viable en Live. Alors quand Sunderer a éclaté au tout début 2020 parce que le batteur s’est révélé être une tête de con de facho, c’était une bonne opportunité de dire “et puis merde j’y vais”, et de lancer le truc pour de bon.

Avec Allsiah j’ai joué une paire de concerts en support d’autres groupes et en général les gens qui connaissent pas trop la musique Drone me regardent bizarrement, et me demandent pourquoi j’ai pas de batteur. Alors que moi c’est ce que j’ai toujours eu envie de jouer, c’est ce qui me parait le plus naturel.

Bizarrement je suis pas trop branché “guitaristes”, je n’ai pas particulièrement un guitariste modèle qui aurait influencé énormément ma façon de jouer. Mon but principal c’est juste de faire de la musique lourde et chargée d’émotions qui peut toucher des gens ; même si musicalement c’est assez loin, imagine un peu l’état d’esprit de groupes comme Conjurer, Sarah Davachi, Bismuth, Hypothermia ou Amenra tous mélangés, mais à travers du Drone.

Parlons un peu des thèmes sous-jacents à Allsiah. La musique est instrumentale mais d’après les titres de chansons et les pochettes d’albums, je vois clairement des références à la spiritualité et en particulier la chrétienté. J’ai bon ?

T’as tout bon ! Bien que personnellement je ne sois pas quelqu’un de très religieux, j’ai été élevé dans un environnement “semi-religieux”, à la messe chaque semaine à l’école, et j’ai quelques membres de ma famille proche qui sont très croyants, donc ça a toujours été une partie de ma vie. Sans avoir été un facteur déterminant sur moi et mes comportements, c’était sans aucun doute une composante dont j’étais conscient.

L’imagerie, les thèmes et l’architecture religieuse m’ont toujours paru des choses très puissantes émotionnellement, et très évocatrices pour quiconque a été élevé dans un environnement chrétien ou occidental. Le contexte et la signification derrière la musique sont essentiels pour moi, mais en même temps je suis un fervent défenseur de l’expérience personnelle. Par exemple, si je te jouais un morceau de Black Metal en te disant que c’est à propos de se balader tout seul dans une forêt enneigée quelque part en Scandinavie, tu l’écouterais avec un état d’esprit et une réceptivité très différents de si je te disais que c’est à propos des luttes intérieures que ressent quelqu’un de perdu au milieu de la foule dans grande ville.

En utilisant l’imagerie et le langage de la chrétienté en lien avec mon expérience personnelle, je donne un cadre d’écoute d’ensemble pour l’auditeur. Ça permet de les orienter vers un certain état d’esprit et d’améliorer la perception de la musique.

Comme tu le sais j’ai une affection particulière pour ton précédent EP Sisters in Arms, Brothers in Christ parce que j’ai assez souvent endormi mon petit dernier avec. Comme la musique est instrumentale c’est assez facile d’y attacher des sentiments qui ont peu de rapport avec les intentions, ou les sentiments que l’artiste avait au moment de la création. Quels sentiments tu as mis dans l’enregistrement ? Est-ce que tu attends que le public résonne d’une manière particulière avec Allsiah ?

Comme je l’ai expliqué, la musique est présentée d’une manière à orienter l’expérience de l’auditeur, mais quelle est cette expérience exactement, et comment la connexion émotionnelle se fait dépend bien entendu de chaque personne et des circonstances dans lesquelles elle va écouter l’album.

Pour ma part, je n’arrive pas à écrire si je suis pas dans un état d’esprit positif, même si les compos pour Allsiah ont été écrites à des périodes de ma vie avec pas mal de tristesse en général. Du coup, jouer et écouter cette musique est à tout la fois cathartique, galvanisant, mélancolique et nostalgique pour moi – et bien sûr ça varie selon mon humeur du moment.

D’une manière générale j’espère bien sûr que ma musique va résonner avec les gens au niveau conscient et émotionnel, mais je ne veux pas imposer de cadre : comment cette résonance se fait dépend de l’auditeur et du contexte d’écoute.

Tu es clairement identifié comme faisant partie de la scène RABM (Red & Anarchist Black Metal, ndr), et Hallowed Halls, Consecrated Stone a été diffusé en avant-première sur la chaîne Antifascist Black Metal Network. De l’extérieur on a en général tendance à penser que l’anarchisme et la foi chrétienne font pas vraiment bon ménage, principalement parce que l’Eglise chrétienne est vue comme une institution ayant exercé domination et – si on peut dire anachroniquement – oppression sur les masses, soutenant les riches et les puissants au détriment du petit peuple etc. En tant que gauchiste, comment tu approches le lien entre anarchisme et spiritualité ?

Je m’identifie tout à fait avec le RABM, je justifie ça en disant que je joue du Black Metal atmosphérique, mais très, très lentement [rires]. Et je suis d’accord sur le fait que la répression systémique des masses par des groupes minoritaires ou majoritaires et qui se justifient par des dogmes religieux est une chose détestable, beaucoup trop présente dans l’histoire et encore de nos jours, et à laquelle je suis farouchement opposé.

Cependant je ne pense pas que l’anarchisme, en particulier à un niveau personnel, doive être entièrement séculier et privé de toute notion de foi, de spiritualité ou de mysticisme. La base de l’anarchisme, c’est l’entraide mutuelle, et dire que l’anarchisme en tant que système et en tant que pratique doit être obligatoirement séparé de ces notions spirituelles, c’est faire grande injustice à l’histoire d’entraide et de coopération qui a toujours accompagné la foi personnelle.

Pour celles et ceux qui s’intéressent au sujet, je recommande chaudement le travail d’Erica Lagalisse, en particulier son essai “Anarchisme Occulte”. Elle y fait une très bonne déconstruction de l’idée qu’on se fait de l’histoire de l’anarchisme, de l’occulte et de la foi, et offre une perspective très nuancée de comment les approches occidentales de la foi peuvent mener à des attitudes oppressives et coloniales quand on rejette les pratiques culturelles et religieuses en-dehors de la sphère occidentale. Elle fait cette analyse dans la perspective des pratiques d’entraide et, conséquemment, de l’anarchisme.

Est-ce que tu considères Allsiah comme un groupe militant avec un message explicite, ou est-ce que tu partages ton identité politique plutôt par ce qui vient autour de la musique elle-même ? Comme l’imagerie, les positions que tu prends en tant que personne, les gens avec qui tu travailles ou pas…

Un peu des deux honnêtement. Je ne considère pas l’antifascisme et l’anarchisme comme des composantes fondamentales de ma personnalité musicale, mais en même temps je suis assez blasé sur le fait que ma position sur ces sujets est intrinsèque à comment je me comporte dans ma vie, et donc en tant que musicien. J’ai la chance d’être bien entouré, de pas mal de personnes qui sont sur la même longueur d’onde que moi – ou en tout cas qui sont sur la même frange du spectre.

A propos de collaborations, comment se porte la scène anglaise ? Quels sont les principales structures avec lesquelles tu évolues et les artistes que tu recommanderais à notre lectorat ?

La scène anglaise est super variée ! Le Drone a toujours été un genre assez “trans-local” par nature (comme le dit bien le Dr Owen Coggins), un peu comme la scène RABM finalement. Cependant il y a un noyau dur de gens ici au Royaume-Uni qui font pas mal vivre le genre : Bismuth, Orne, Ommadon, Kowa Axis, Plurals, Bong et tout un tas d’artistes qui gravitent a la frontière du Doom et des musiques extrêmes.

A une époque il y avait une grosse scène Doom, ça s’est un peu calmé au profit de plein de groupes de punk / hardcore qui apparaissent, ce qui n’est pas pour me déplaire d’ailleurs. Il y a une composante grandissante de groupes de Black Metal à tendance antifasciste au Royaume-Uni avec des fers de lance comme Dawn Ray’d bien sûr mais aussi Underdark ou Caïna.

Perso, les groupes UK que j’adore en ce moment sont Zetra, Vacuous, Dawn Ray’d. Underdark, Tyrannus, Ashenspire, Dawn Treader, Hidden Mothers, Torpor, Bismuth, Chinned (RIP), Tuskar et un million d’autres haha.

Est-ce que t’as d’autres projets en collab avec d’autres musicien.nes ?

À côté de Allsiah, je fais aussi les synthés et du chant pour la monstruosité de Death/Sludge/Grind cosmique Wallowing, on se prépare à enregistrer le nouvel album dans quelques semaines du coup c’est branel-bas le combat de ce côté-là. En plus de ça je suis en train de monter un groupe d’Emo/Crust (un peu à la Morrow / Fall of Efrafa) mais c’en est encore qu’aux balbutiements.

À l’avenir j’aimerais faire des collab sous la bannière Allsiah, à la fois en studio et en live. Préparez-vous ! 😃

(ndlr : Wallowing est effectivement une monstruosité, ridiculement excellente, à prendre en pleine poire)

On a des chances de te vois bientôt en Live par chez nous ? Avec genre plein de fumée et de lumières rouges, ou bien au clair de lune au bord d’une rivière ?

Ça dépend où t’es ! En-dehors du Royaume-Uni, peu de chances dans l’immédiat j’en ai bien peur… A moins que tu sois chaud pour harceler les promoteurs locaux ou le Roadburn pour moi ! [rires] J’ai quelques dates de prévues, je joue à Southampton début juillet, et j’ai deux-trois autres shows que j’attends avec impatience.

Faut qu’on parle un peu de ton packaging. Je t’avais acheté la cassette de Sisters in Arms, Brothers in Christ, et je m’attendais pas à la recevoir emballée à la main dans du tissu, scellée à la cire. Et avec le petit sachet de cônes d’encens en plus ! Sans doute le meilleur merch que j’aie reçu récemment, ça doit te prendre un temps fou non ?

Merci beaucoup, j’aime vraiment préparer ces lots, ça apporte clairement un petit truc en plus ! Et à vrai dire ça va, j’ai bien pris le coup de main pour les emballer donc ça va vite. En plus je les emballe en utilisant les chutes de tissu de mon stand de merch en concert donc ça ajoute encore un truc pour les gens qui m’y ont vu.

Transformer et recycler l’utile pour faire du beau !

Ouais, c’est un peu l’esprit haha

Cassette emballée et scellée à la cire, patches, petits cônes d’encens… On va pas se mentir je me suis senti comme une princesse en recevant tout ça.

Merci encore pour cette super discussion ! Une dernière déclaration / conseil / punchline ?

Passez vegan, buvez du vin nature, soutenez vos communautés et banques alimentaires locales, emmerdez les transphobes, frappez les nazis, play slow and die old !

Peace x


Pour lire notre critique de Hallowed Halls, Consecrated Stone, c’est par ici

Pour découvrir plus de groupes cool, écoutez la playlist Artist Picks de Allsiah avec les groupes et artistes recommandés par Maxim dans cette interview :