Lokruz

Artiste : Lokruz

Origine : Grèce

Date de sortie : 2021

Genre : Stoner Fasolada

Vous connaissez les Western Spaghetti? Ces westerns à l’italienne qui ont contribué à donner une seconde jeunesse au genre qui était sur le déclin à Hollywood au début des années 60s, et dont le boss ultime est Sergio Leone. Le terme est, à la base, péjoratif, mais avec le temps, il est devenu un terme pour désigner un genre tout entier, comprenant les westerns avec des histoires et les personnages beaucoup plus intéressants et complexes, dans un univers bourré d’humour et, de loin, plus riche que les westerns traditionnels américains. Mais pourquoi toute cette histoire de Western Spaghetti tout d’un coup? Eh bien, parce qu’à l’écoute du 1er album du groupe Lokruz, cette réflexion m’est venu à l’esprit car mon cerveau malade m’a pondu le terme de Stoner Fasolada (je vous jure que j’ai hésité avec Moussaka!). Oui, Lokruz, c’est grec, et tout comme leurs compatriotes de Nightstalker, Villagers of Ioannina City, Planet of Zeus, 1000 Mods, ou encore Burn the Sun, ils nous offrent un stoner lourd, languissant et gorgé de soleil. Non pas ce soleil tout doux des affiches de publicité des vacances du Club Med mais un soleil qui tape, qui brûle, qui court et arrache ta peau tout en caressant ta chair mise à nue. Ça secoue, ça fait se mettre en boule, ça fait se tortiller pour vomir les émotions, c’est exténuant mais salutaire! Et cette lourdeur, ce n’est pas la lourdeur écrasante et poisseuse des marais sudistes, ni l’atmosphère âpre parcourant les terres sauvages du désert de Nebraska. La lourdeur qu’on trouve ici se mélange avec une voile de nostalgie, cette nostalgie qu’on éprouve devant les ruines autre fois grandioses, ces émois qui se remuent à la mémoire d’une époque qu’on n’a pas connu, au mieux fantasmée, mais qui est chargée de symbolique sur le monument invisible des civilisations humaines. C’est aérien, mais ça plane long temps sur le cœur, au dedans.

Lokruz donc, trio formé en 2014 à Athènes avec Alessandro Castagneri au chant et à la guitare, Christos Chorianopoulos à la basse et Thanos Tampakopoulos à la batterie. Le nom Lokruz vient du monument le plus vieux et le plus important de Galaxidi, petite localité portuaire de la Grèce centrale où les trois membres habitent, qui s’appelle « Le Tombeau du roi Lokros ». Lokros est considéré comme le père fondateur du peuple Locrien, une ancienne tribu grecque dont nos trois membres sont les descendants. Lokruz est avant tout un groupe de scène, une bande de geeks du vintage et cela s’entend dans leur musique, remplie d’influences psychédéliques des années 60s et l’univers cinématographique de cette période à travers des mélodies gimmicks qui pourraient sortir tout droit d’un vieux polar série B, ou d’un western Spaghetti, tant qu’à faire! Ou encore d’un salon op’art avec des tableaux garnis de formes géométriques hypnotisant multicolores. D’ailleurs, pour l’enregistrement de ce début album, ils ont enregistré d’un trait, sur trois jours, en session live au studio Shakti à Athènes, utilisant les instruments datant de l’âge d’or de la musique psychédélique et des formations dites power trio, soit les années 60s, sans aucun effet sonore sauf sur les parties vocales qui ont été enregistrées au centre culturel de la fondation Stávros-Niárchos (SNFCC) dans la banlieue d’Athènes.

Lokruz est un album salutaire, il raconte l’histoire d’un homme avec ses erreurs, ses errances, ses déboires et ses espoirs, une histoire humaine en somme, entre mélodies bondissantes, boucles de guitares tour à tour hypnotisant et déchirantes, lenteurs alanguies et chœurs qui arrachent les tripes. Tout cela avec un air de déjà-vu qui enveloppe l’atmosphère, on a l’impression d’avoir toujours connu cette musique, ces notes, qu’on les a entendu quelques parts, dans les profondeurs d’une boîte de nuit sur la côte Ouest, dans le confort d’un salon à Macao devant un film, ou dans l’ombre énigmatique d’une vielle salle de cinéma à Casablanca… Pourtant, on a beau chercher, on ne reconnaît rien et on se laisse juste emporter sur les ailes rassurantes et confortables de cette musique narrative et visuelle. Nous avons ce sentiment avec cet album probablement car le trio réussit brillamment à y intégrer les éléments traditionnels des classiques de la musique psychédélique des années 60s, notamment sur ses boucles dans Runaway et les lignes de guitare de Man in Hope, mais ils les saupoudrent d’ingrédients qui sont propres à eux, à leur culture, leur histoire, comme le soleil méditerranéen, le sel de la mer qui vient blanchir les rochers des côtes grecques, et bien sûre, les mythes locriennes qui les nourrissaient, enfants.

De plus, la beauté de cet album réside aussi dans la manière dont il commence et avec laquelle il prend fin. Lokruz démarre et se termine à la manière d’un film, avec ce qui devrait être un clin d’œil hommage au maître italien Morricone (d’ailleurs, c’est aussi lui qui a rendu les Westerns Spaghettis grandioses avec ses magnifiques compositions qui sont devenues et restées incontournables), une pièce instrumentale en deux partie d’une beauté éblouissante et disposée intelligemment en début et à la fin de l’album. L’introduction est gorgée de soleil, de miel, d’une sérénité tranquille, des mélodies évoquant cette impression de déjà-vu, chaleureuses et rassurantes comme un après midi au verger; avant de se cabrer et de se parer de lourdeur comme cette odeur de tempête qui arrive au loin. La boucle de guitare, dans la seconde partie, se fait plus lancinante, plus agressive malgré la velouté toujours présente, la musique se fait plus épaisse et on sent l’arrivé imminent des nuages noirs qui masquent le ciel avec les bourrasques de vent secouant tout le verger, montrant des arbres grelottantes sur un fond de ciel nuageux avant que la pluie ne s’explose dans le ciel et arrose la terre de ses torrents, et tout cela, rendu sourd derrière les mots de fin – The End.