Ouroboros Is Broken

Artiste : Earth

Origine : Seattle, USA

Date de sortie : 1991

Genre : Ambient Metal

L’Ouroboros, Jörmungand, le Waagai ou quel que soit le nom qu’on lui donne, est de ces symboles qui fascinent les archéologues tout comme les stoners et complotistes du dimanche car on en retrouve des représentations et variations dans virtuellement toutes les cultures connues de l’humanité ou presque. Coïncidence ? Peut-être.

(Et je ne m’avancerai pas à affirmer à laquelle de ces catégories appartient Dylan Carlson, je dis juste qu’à ma connaissance, il n’a pas de diplôme en archéologie.)

Quoi qu’il en soit, l’Ouroboros est ce fameux symbole du « serpent qui se mord la queue », dont le sens premier est loin d’être aussi péjoratif que cette idée de redondance inutile. C’est un symbole d’éternité, de temps cyclique compris comme un éternel renouveau, mais aussi un symbole de dualité dans beaucoup de cultures : le bien / le mal, le céleste / le terrestre, etc.

Pourquoi Dylan Carlson auraient choisi ce titre d' »Ouroboros brisé » pour cette chanson initialement ? Aucune idée. La version d’origine de cette chanson remonte à la toute première sortie officielle de Earth, l’EP Extra-Capsular Extraction sorti en 1991 avec Joe Preston à la batterie, Dave Harwell à la basse, et un certain Kurt C. en guest au chant. Oui, Earth faisait des trucs avec de la batterie et du chant en 1991.

Sur cette version initiale, le Drone est présent avec ce riff hypnotique, saturé, continu. Ultra-répétitif bien sûr, mais sentencieux. Un riff qui te pointe du doigt avec un regard semi-dément. La progression dans ce morceau pachydermique de 18 minutes vient essentiellement de la basse qui amène une toile de fond. La batterie, métronomique, sert de support, et ajoute un GONG qui parachève le côté infiniment cool de ce morceau désormais mythique dans la discographie du groupe.

Mais bien des années plus tard, quand la fameuse batteuse Adrienne Davies deviendra le second pilier de Earth, elle choisira une poignée de chansons à reprendre et à transformer. En vrai fan du groupe, elle connaît le répertoire par coeur. Le choix de Ouroboros Is Broken est plus que signifiant ; Adrienne reprend l’ancien cycle pour mieux le briser. Le réinventer par rupture cohérente, l’ancien Earth n’est plus mais nous ne l’oublions pas. Allons de l’avant, brisons la dualité simpliste d’ombre et de lumière pour dépeindre les infinies nuances du monde.

l’Ouroboros Is Broken version Adrienne Davies figure sur l’EP Hibernaculum (2007), et reprend l’esprit sentencieux du morceau. Tout le reste est différent. Le riff principal est plus direct mais son phrasé est étendu pour être plus impactant quand sonne le glas, la prod est plus cristalline ; le Drone est définitivement derrière nous. Mais surtout, ici la batterie n’a plus rien de métronomique. Le jeu d’Adrienne Davies est lent, parfaitement maîtrisé, mais vivant. Fait d’infimes variations, de frissons de cymbales, de tomes qui tombent avec juste ce qu’il faut de décalage, ce côté cyclique mais fluctuant qui maintient la tension. Comme beaucoup de batteurs considérés comme réellement exceptionnels dans le Metal, Adrienne puise ses influences dans les eaux du Jazzy et du Psyché : Tony Williams, Jack Dejohnette, Nick Mason, Bill Ward.

Quelqu’un qui nous connait depuis très longtemps vous dirait, à l’évidence, que nous jouons lentement. Plus précisément, que l’on évolue entre le trèèèèès lent et le lent (rires) avec des touches jazzy ou de blues, des infimes variations, en somme.

Quand j’ai débuté, je sentais que je pouvais apporter quelque chose de différent […] avec l’optique de créer un impact émotionnel particulier. […] Créer quelque chose qui vous met en transe. Alors que la batterie est normalement très directe, « à angles droits », j’aime l’imaginer comme quelque chose de plus rond, un peu comme un cycle sans fin.

Adrienne Davies interviewée par Metalorgie (2014). source

Son osmose avec le jeu de Dylan Carlson construit un ensemble avec un feeling et une approche radicalement différente de la première version de l’Ouroboros : désormais, Ouroboros Is Broken est une Jam, une piste faite d’improvisations Jazzy autour d’un thème, d’une épine dorsale. C’est du Metal Ambient Modal. Si la version sur l’EP est relativement compacte (8 minutes), c’est devenu une des chansons les plus jouées en live par le groupe et c’est à chaque fois un voyage différent, selon l’humeur et l’instinct du moment.

L’Ouroboros est brisé : le manichéisme n’est plus, le cycle est un flux vivant.

Bonus

Une autre version, live, qui montre bien le potentiel de variations jazzy du morceau avec… du Trombone

Et pour le plaisir, une captation amateure live de la chanson interprétée en duo avec les japonais de BORIS qui remettent une grosse couche de Drone ; dommage qu’on n’entende quasi rien du jeu d’Adrienne, on ne peut que deviner…