Artiste : Sum of R
Origine : Suisse / Finlande
Genre : Drone Rituel, Kraut-Doom psychédélique, Post-Metal
Date de sortie : 25 mars 2022
L’oeuvre que je tiens entre mes mains est de celles que je n’attendais pas. Ou plutôt, de celles que j’attendais mais sans le savoir. Tout dans le pedigree de ces artistes que je n’avais que vaguement croisés mais – dans mon ignorance crasse – jamais approfondi a ce qu’il faut pour éveiller mon plus vif intérêt.
Après avoir pris ma monumentale baffe avec les premiers extraits de cet album, il me fallait comprendre qui d’où venaient ces trois personnages et surtout ce spectre feulant au micro, visage dissimulé et voix androgyne.
Sum of R est la chose de Reto Mäder, musicien Suisse que l’on connaît aussi (ou pas) pour ses projets JeGong (dark ambient), RM74 (musique électro-acoustique) et Ural Umbo (musique expérimentale). Sum of R est un projet passé par différentes formes depuis 2008, sans doute celui qui flirte le plus souvent avec le Metal, entre Drone, Doom et psychédélisme, mené par Reto seul avec des invités ponctuels et toujours instrumental… Jusqu’à l’année dernière.
En effet en 2019 Reto enregistre en studio avec Jukka Rämänen, batteur officiant entre autres dans Hexvessel et surtout Dark Buddha Rising, les juggernauts du psychédélisme Finlandais. Jukka est officiellement intégré, Sum of R devient donc un duo et Reto rencontre le chanteur de Dark Buddha Rising, Marko Neuman. Pour vous situer l’alignement de Neuman, il suffit de savoir quels sont les trois albums les plus importants pour lui : Aghast, la BO de Rosemary’s Baby, et Les Litanies de Satan de Diamanda Galás.
Une fois j’ai rencontré cette nana au bar et on est allés chez moi. On discutait sur mon canapé et on a décidé d’écouter de la musique. J’ai éteint les lumières et lancé The Litanies of Satan avec le volume à fond. Les voix l’ont fait flipper, elle m’a demandé d’arrêter la lecture mais j’ai suggéré qu’on écoute l’album entier plutôt. Elle a flippé encore plus et est partie. A ce moment-là j’ai réalisé que je voulais avoir sur les gens à travers mon art, le même impact que The Litanies of Satan avaient eu sur cette fille.
Marko Neuman pour Echoes And Dust
Bref, un garçon tout à fait léger et abordable. Toujours en 2019 Reto Mäder et Marko Neuman enregistrent ensemble un nouvel album de Ural Umbo, un mélange de musique ambiente et ritualistique et de bande-son de films ou de jeux vidéo d’horreur.
La performance de Neuman est à la hauteur de ses prétentions sur cet album fascinant et hypnotique, au passage mixé par rien moins que Randall Dunn (producteur d’un millier de trucs dont beaucoup d’albums de Sunn O))) et de Earth), et masterisé par Markus Lindberg à qui l’on doit le son de Det Eviga Leendet ou de Cult of Luna, excusez du peu.
Bref que du beau monde, et après l’annulation du Roadburn 2020 auquel devait jouer Sum of R, Reto Mäder décide naturellement d’intégrer les deux comparses à la formation permanente et d’enregistrer le nouvel album.
Et après une intro pareille je vais ironiquement livrer en assez peu de mots mon impression sur Lahbryce : c’est un immense coup de coeur. Massif, puissant, hypnotique, un véritable manifeste novateur dans l’univers du Doom.
Les premières mesures de Sink as I commencent assez simplement, sur un rythme et un motif de basse posés, et plusieurs voix entament le premier “couplet” annonçant la mesure sur le registre vocal. Car ces voix multiples, ambigües puis sépulcrale, sont toutes celles de Neuman. Des rythmiques ritualistiques, des montées en puissance progressives et inexorables de la basse, les nombreux arrangements et paysages sonores qui vont et viennent et le chant de Marko proprement terrifiant… Chaque seconde qui s’écoule sur ce disque procure des frissons.
Si parmi les 4 titres dévoilés en avance on pouvait identifier Lahbryce comme une oeuvre de Drone-Doom rituel et psychédélique, des surprises de taille ont été gardées pour la sortie et révèlent une facette Kraut et Synthés très importante, ce qui rend l’ensemble encore plus marquant. Ecoutez The Problem, cette ritournelle au synthé couplée aux progressions litaniques de la basse de Reto, totalement imparable, réhaussée de la maestria des ambiances sonores, ou Shimmering Sand, cette invocation sur fond d’orgues orientalisants… Une véritable leçon de psychédélisme au sens premier du terme : une expérience sensorielle qui emmène l’esprit en voyage sans forcer.
Voyage qui peut être tumultueux comme sur les monumentaux Borderline, Hymn for the Formless ou encore Lust, déferlantes traitant de thèmes psychopathologiques comme les troubles de la personnalité ou la dissociation traumatique.
Puissance, ritualisme, arrangements spectraux et décalés, envolées en puissance post-métalliques, lourdes doses de psychotropisme, et encore et toujours ces chants d’un autre monde ; Lahbryce est la première véritable nouveauté radicale depuis longtemps dans cette niche du Drone-Doom pourtant réputée pour son avant-gardisme. Et pourtant, pour un truc de niche aussi précis, l’album demande un certain lâcher-prise mais aucun effort pour y entrer. Peu importe par où vous commencez, vous serez happés et n’en ressortirez que peu ou prou 50 minutes plus tard… Pour y retourner aussitôt.
Une nouveauté que je ne savais pas que j’attendais, mais qui change un peu ma vision du genre et hisse Ural Umbo et Sum of R tout en haut de mes attentes pour ce prochain Roadburn 2022. Un véritable chef-d’oeuvre à apprivoiser obligatoirement.