Sur les Riffs de David Roback : de Clay Allison à Opal

Si le Blues et la Folk ne viennent pas de “quelque part” au sens déterministe du terme, ils sont bien les fruits d’un entrelacs de moments et d’endroits, d’un ensemble de drames et d’histoires humaines, et de l’Histoire d’une partie de l’humanité. Et parce que la nature de ces musiques est profondément populaire, elles sont en constant flux. Se transformant et s’exprimant au gré de leurs interprètes, échappant à toute notion de canon ou de propriété si chères à nous autres occidentaux avides de classifications et de cartographies.

C’est ainsi que parmi une infinité d’exemples, on peut trouver toute une scène de musiciennes et musiciens blancs et urbains des abords de Los Angeles s’approprier nombre de traits de la folk et du blues, pour en sortir quelque chose de nouveau en rétribution.

Nous avions parlé de Opal comme l’une des formations notables du Paisley Underground, et de leur unique album Happy Nightmare Baby. Comme je l’avais alors évoqué, la réalité est légèrement plus complexe car Opal a été une entité mutante ayant répondu à plusieurs noms au fil du temps. Ses deux parents sont des piliers du Paisley Underground : Dream Syndicate, formidable groupe encore actif de nos jours dont est issue Kendra Smith, et Rain Parade, premier groupe connu de David Roback. Le duo se rejoint pour former leur projet sous le nom de Clay Allison vers 1983.

Si Clay Allison n’ont officiellement sorti qu’un petit EP avant de changer de patronyme pour Opal en 1984, leur activité a été extrêmement riche. Sous l’impulsion du label Rough Trade, une première compilation sobrement intitulée Early Recordings voit le jour en 1989, réunissant les titres de l’époque Clay Allison et des débuts de Opal, avant la sortie de l’album. En 2006, un second volume est édité par Rough Trade, compilant des raretés allant de samplers en B-sides, de titres pour compilations de magazines en enregistrements live. Et grâce aux passionnés de tous horizons, des bootlegs ont circulé entre disques non officiels et uploads sur Youtube.

Ces enregistrements couvrant la période Clay Allison ainsi que les nombreux “à-côtés” édités sous Opal sont de véritables trésors de la musique américaine. Si Happy Nightmare Baby fait la part belle au blues sensuel et aux guitares puissantes, ces Early Recordings révèlent toutes les influences folk et psyché du duo de choc, de Neil Young au Velvet Underground, de Bob Dylan à Leonard Cohen.

L’unique clip de Opal, plein de naïveté et d’insouciance.

Comment ne pas se laisser emporter par la douceur teintée de profonde mélancolie de Empty Box Blues, My Only Friend ou du formidable I called Erin ? La voix de Kendra Smith est parfaite dans son honnêteté et sa simplicité. Une voix assez grave et suave, un chant posé et simple ; Kendra n’est pas une chanteuse professionnelle, c’est une femme qui vit, qui fume probablement, qui connaît les joies et les tristesses du quotidien. Elle n’en possède pas moins une voix entraînée et parfaitement maîtrisée, qui m’évoque notre intouchable Françoise Hardy lorsqu’elle monte un peu plus dans les aigus et dans la douceur sur des morceaux comme Grains of Sand, sur la reprise de Sisters of Mercy de Cohen, ou sur le très psychédélique et très sombre Lisa’s Funeral.

L’éternelle Kendra Smith.

Lisa’s Funeral sur lequel Roback s’exprime avec gravité sur sa guitare, un morceau incroyable entrelaçant des riffs plombants avec des plans ouverts, froids et saturés qu’on croirait sortis du post-punk Manchester, le tout souligné par de l’orgue Hammond ; de la Funeral Psych Wave.

La patte de David Roback se reconnaît dans ces riffs en volutes superposées et ouvertes, mais puisant dans un répertoire moins saturé, dans des blues plus légers ou dans le rock folk de Neil Young – influence particulièrement évidente sur My Canyon Memory par exemple – ou bien allant sur le psychédélisme lent, cosmique, empreint de fascination pour l’esthétique Hindoue notamment sur le formidable Brigit On Sunday : percussions orientalisantes, modulations à la guitare, ambiance ritualistique aux synthés, discrètes fioritures au clavecin… On n’est pas très loin de Dead Can Dance dans l’esprit.

Plus folk, plus doux et plus diversifié par nature, ce recueil de Early Recordings est l’héritage de Opal tout autant que Happy Nightmare Baby. Un “must have” qui a remis en lumière Opal pour le meilleur ; une entité étrange, hors du temps et des canons, nourrie par la folk psyché, le blues et le punk, presque alternative avant l’heure. Malheureusement je ne peux que vous proposer de l’écouter à la mémoire de son créateur, désormais disparu.

David Roback (1958-2020) a eu une vie artistique bien remplie qui ne s’est pas arrêtée en 1987 avec Opal, et dont on reparlera ; qu’il repose en paix après avoir apporté sa pierre à la folk, au blues, aux musiques qu’il aimait.