Artiste : The Stranglers
Origine : Angleterre
Date de sortie : 1978
Genre : punk rock baroque, post-punk
Note : 8,5/10
Véritable ovni de la scène punk avec leur batteur quadragénaire, leur claviériste fan de Ray Manzarek et plus généralement leur stile baroquisant et rempli d’humour absurde, les Stranglers ont réussi un véritable coup de maitre en 1977 en enchainant coup sur coup deux disques rapidement devenus légendaires, Rattus Norvegicus et No More Heroes. L’exploit est d’autant plus épatant quand on sait à quel point une grande part du public punk de l’époque célébrait le minimalisme et se méfiait des musiciens trop virtuoses ou trop âgés. Alors qu’au début 1978 une partie de la scène est déjà en train de muer en post-punk, le quartet s’affaire déjà à l’enregistrement de son troisième album, qui comme ses prédécesseurs se déroulera aux TW Studios de Fulham sous la houlette de Martin Rushent. Baptisé Black And White, le disque débarque dans les bas en mai 1978, ponctuant une impressionnante série de 3 albums sortis en 13 mois!
Certes à notre époque du tout numérique la distinction entre face A et B n’a plus beaucoup de sens, mais en 1978 ce n’était souvent pas anodin, et sur Black And White en particulier cette distinction s’avère être particulièrement pertinente. La face A pourrait être globalement décrite comme celle de la continuité, les Stranglers jouent du Stranglers dans la droite lignée de leurs deux premiers disques et le font très bien, à l’image des furieuseries punk Tank ou Sweden, toujours dirigés de main de maître par la basse bondissante de Jean-Jacques Burnel et les nappes de clavier de Dave Greenfield, et dotés notamment de refrain des plus imnesques. Le groupe augmente même sensiblement le tempo et le niveau d’agressivité sur Hey, frisant le punk hardcore, un accès de brutalité qui reste inédit dans la carrière du groupe! Déjà audible sur Peaches et Dead Ringer, la face plus groovy/reggae-isante des Stranglers continue de faire des merveilles avec le sublime Nice ‘n’ Sleazy, porté une nouvelle fois par l’inimitable basse de JJ Burnel! Mais déjà sur cette face A pourtant sans grande surprise, on décèle quelques envies d’évolution, à l’image du valsant et aérien Outside Tokyo, anticipant l’orientation plus art pop que le groupe prendra dans les années 80 tout en évoquant assez clairement l’héritage des Doors et de Ray Manzarek. Le chant de Hugh Cornwell se fait moins hargneux et plus profond, un style dans lequel il se révèle particulièrement doué! De même, bien que globalement assez punk, Toiler On The Sea s’écarte de la fougue des débuts et laisse d’avantage de place à la mélodie, offrant notamment une magnifique introduction où guitare, basse et claviers se complètent à merveille.
Mais c’est véritablement dans la face B que les Stranglers vont se démarquer de leurs premiers disques et entamer une mutation qui se poursuivra sur les disques suivants. Plus complexe dans sa structure et baigné dans une ambiance assez déroutante, Curfew incarne parfaitement cette transition par ses nappes de clavier plus électroniques et moins ancrées dans les années 60, tandis que Do You Wanna et sa ligne de basse vicieuse ou encore le très ipnotique et kraftwerkien Enough Time annoncent les expérimentations robotiques de The Gospel According To The Meninblack, l’accroche est moins immédiate qu’avec les imnes punk de la face A mais les idées sont prometteuses et ne demandent qu’à être explorées. Avec In the Shadows, on peut déceler les prémices du style plus froid qu’adopteront les Stranglers sur La Folie 3 ans plus tard, la basse est toujours omniprésente mais l’ambiance est moins baroque et plus futuriste, à l’image du chant plus atone de Cornwell. Toutefois, même au coeur de cette face B résolument plus expérimentale, le groupe s’offre un retour au punk avec un Death And Night And Blood plus Rattus-esque que jamais et dans lequel la voix de Cornwell retrouve toute sa hargne!
Comme la plupart des albums de transition, Black And White n’est pas le disque le plus apprécié des fans des Stranglers. Ses morceaux punk rock sont bons mais surprennent moins que ceux de Rattus Norvégicus et No More Heroes, et sa face art pop électronisante, bien que très prometteuse, n’est pas aussi aboutie que sur les chédeuvres de la décennie suivante tels La Folie ou Aural Sculpture. À l’instar de son successeur The Raven (sorti l’année suivante) avec lequel il partage beaucoup de points communs, Black And White a pourtant été essentiel pour la carrière du groupe et lui a permis d’aborder les années 80 en gardant toute sa pertinence et sa fraicheur au contraire de bon nombre de formations punk qui disparaîtront avec le changement de décennie.