Thin Lizzy – Bad Reputation

Artiste : Thin Lizzy

Origine : Irlande

Date de sortie : 1977

Genre : hard rock, heavy metal, blues rock

Note : 9,5/10

Si Fighting avait ouvert la voie, le duo Jailbreak-Johnny The Fox a définitivement établi Thin Lizzy dans l’élite du hard rock européen et même mondial. Ayant parfaitement su fusionner ses influences blues et folk irlandais, le groupe a forgé un son unique, immédiatement reconnaissable, et doté d’une incroyable richesse. L’ascension des Irlandais se voit cependant freinée par l’annulation de la tournée américaine en décembre 1976 lorsque le guitariste Brian Robertson se blesse à la main lors d’une bagarre générale dans un bar. Furieux, Phil Lynott décide de faire appel à un vieil ami de la maison, Gary Moore, pour assurer l’interim, un choix payant puisque la tournée sera un triomphe. Le poste de second guitariste reste un moment dans le flou, Gary Moore choisissant de rester chez Colosseum II, tandis que les tensions entre Brian Robertson et Phil Lynott peinent à s’apaiser. Thin Lizzy démarre ainsi l’enregistrement de son huitième album sans Robertson, dans des conditions assez inédites. Basé à Londres depuis ses débuts, le groupe change d’air et s’expatrie à Toronto, tandis que la production est confiée à l’un des patrons du son glam rock anglais Tony Visconti, connu pour sa longue collaboration avec T.Rex et David Bowie. Scott Gorham assure toutes les parties de guitare, mais rappelle tout de même Brian Robertson pour jouer deux solos et un dernier duel de guitare. L’album débarque dans les bacs en septembre 1977 sous le nom de Bad Reputation, un titre qui colle parfaitement aux excès du groupe.
 

Dès le premier morceau Soldier Of Fortune, on remarque à quel point l’absence de Robertson n’a pas affecté les doubles guitares caractéristiques du son Lizzy, de quoi immédiatement rassurer l’auditeur même si le groupe a connu de meilleurs démarrages. La machine ne se met réellement en route qu’au moment du morceau-titre Bad Reputation, et là aucun mot n’est assez fort pour décrire une telle claque! Alors qu’il avait plutôt mis le matraquage de double pédale de côté depuis Ballad Of A Hard Man, Brian Downey ravive ses instincts les plus féroces et imprime une ritmique aussi groovy que dévastatrice, une base idéale pour les riffs thrashy fracassants de Scott Gorham et la voix sauvage de Phil Lynott, sans aucun doute l’un des titres les plus agressifs jamais écrits par le groupe, sans pour autant perdre le fond de chaleur blues qui transpire de la musique du groupe! Plus loin, la facette métallique rejaillit à nouveau sur Killer Without A Cause, un heavy corrosif qui sonnerait presque NWOBHM avant l’heure (pas pour rien que John Sykes des Tygers Of Pan Tang a été recruté par Thin Lizzy 5 ans plus tard). Et quand la hargne heavy s’allie à l’élégance du hard rock européen, ça donne l’extraordinaire Opium Trail et son atmosphère dramatique, pétri de riffs de grande classe, et surtout sublimé par le chant viscéral de Phil Lynott qui hurle toute sa mélancolie et sa rage, un vrai bijou!

Au rayon des titres plus chatoyants, on est à nouveau servi, bien que l’album soit globalement moins romantique et plus sombre que Jailbreak. Difficile en effet de ne pas être séduit par le groove jazzy tout en finesse et en sensualité de Dancing In The Moonlight, surtout lorsque le saxofoniste de Supertramp lui-même, John Helliwell, donne la réplique à Phil Lynott dans un refrain des plus irrésistibles, un grand moment d’extase! De son côté, Southbound offre à nouveau ces mélodies légères mais terriblement touchantes dont Thin Lizzy a le secret, tandis que le somptueux Downtown Sundown rappelle Fight Or Fall par son ambiance plus contemplative, l’aisance de Phil Lynott dans une grande variété de registre est toujours aussi épatante. Seul titre où Gorham et Robertson jouent ensemble en direct, That Woman’s Gonna Break Your Heart est logiquement garnie de doubles guitares admirablement arrangées, l’ambiance se rapprochant quant à elle de la naïveté attendrissante qui dominait sur Nightlife. L’album se conclut sur le magistral et dramatique Dear Lord qui voit Phil Lynott appeler son Seigneur à l’aide avec une sincérité poignante, bien soutenu par les mélodies de guitare amères de Gorham, on ne pouvait rêver de plus beau final.

Fragilisé par le départ plus ou moins acté de Brian Robertson, Thin Lizzy a comme d’habitude répondu présent et signe un disque de très haut niveau, probablement l’un des meilleurs de sa carrière. Nettement moins funky que Johnny The Fox et moins charmeur que Jailbreak, Bad Reputation dégage une viscéralité autentique qu’on aurait peine à trouver ailleurs, que ce soit dans ses moments de décharge de violence ou ses maussades accalmies. Fruit d’âmes tourmentées par leurs démons et leurs excès, ce huitième album simbolise tout ce qui a fait la grandeur et la décadence de Thin Lizzy, et illustre à quel point l’auto-destruction peut être diaboliquement créative.

Le public sera séduit par ce nouvel effort et en particulier l’irrésistible Dancing In The Moonlight, un succès qui ouvrira notamment à Thin Lizzy les portes du festival de Reading. Les performances scéniques du groupe seront si monumentales qu’un album live sortira moins d’un an après Bad Reputation, l’incontournable Live And Dangerous, qui cimentera encore un peu plus la place des Irlandais parmi les légendes, tout comme l’album Black Rose qui suivra.