Communion – Grave Lines

Artiste : Grave Lines

Origine : U.K.

Date de sortie : 2022

Genre : Heavy Gloom

Gloomy doomy soony moody music! Et je pourrais probalement continuer comme ça pendant des heures tellement ce nouvel opus de Grave Lines m’a mis dans tous mes états! Et ce n’est même pas exagéré tant il renferme une magnifique palette d’arpèges et de variations musicales foisonnantes faisant vibrer toutes ces fines cordes qui attachent l’âme à l’enveloppe de chair et de bile qu’est un corps.
Heavy Gloom, c’est comme cela que le quartet londonien qualifie leur musique, qui allie allègrement et sans aucun complexe la lourdeur du doom, la gravité crade du sludge, la hargne du punk (quoique le sludge contient déjà en son sein cette hargne brûlante), la mélancolie du gothique et la poésie noire du dark folk. Tout cela peut paraître trop, mais chez Grave Lines, ils sont parfaitement dosés et maîtrisés pour créer de purs chefs d’œuvre! Ce n’est vraiment pas mal pour les gens qui se réclament influencés par Bauhaus, Killing Joke, mais aussi Black Sabbath ou Neurosis; et déjà, Welcome to Nothing, leur tout premier album sorti en août 2016 était superbe, mais il ne rivalise en aucune mesure avec son frère cadet qu’est Fed Into The Nihilist Engine paru en mai 2018, un pur bijou musical nihiliste comme son nom l’indique que je ne peux que vous recommander incandescentement (parce que chaudement n’est pas assez!).

Après une bombe aussi géniale qu’Into The Nihilist Engine, on pourrait imaginer que ce serait difficile de proposer quelque chose d’aussi beau et d’aussi abouti. Pourtant, ce n’était rien, car avec Communion, Grave Lines réveille encore le misanthrope bourru qui se cache au fond de chacun de nous et le fait hurler de douleur à coup de tsunamis émotionnelles provoquées par des vagues boueuses de leur son tantôt crade et rampant, tantôt aérien et vespéral. Comme disait le groupe, l’album traite toujours des aspects les plus laids de la condition humaine, leur thème de prédilection. Communion parle de solitude intérieure, de toutes les failles possibles des relations humaines. Paradoxale, n’est-ce pas? Pas tant que ça, finalement car les communions parfaites dans les relations humaines restent chose rare, ce qui se passe souvent, c’est une espèce d’emprise d’une personne sur une autre, de manière bénigne ou pas, comme un vers parasitaire qui fait faire des choses à son hôte afin d’en tirer tout le jus nourrissant… Comment ne pas ressentir du dégoût, de l’incompréhension, de la déception, de la colère? Tout l’album suinte d’une ire sourde et pessimiste à travers ses sept pistes parasitaires… Oui, parasitaire comme le nom de chaque morceau, nom de différente espèce de parasite qui ponctue l’avancement de l’album; et parasitaire car ça reste long temps en tête et ça résonne à l’intérieur du cœur, jusqu’à en exploser.


Gordian ouvre le bal avec son larsen suivi de riffs gras et chant clair rageur avant de devenir une masse menaçante et rampante à la guitare lancinante. Du beau sludge qui tâche! Chaque coup de frappe de Sam Chase est comme un coup de couperet qui tombe, sur les hurlements qui font dresser les poils, sortant des profondeurs de la gorge de Jake Harding. Et le morceau qui s’arrête aussi net qu’un nématomorphe qui quitte le corps de son hôte une fois atteint son stade d’adulte.

Puis arrive Argyraphaga et sa jolie intro gothique doom qui se donne en appât de manière fluette avant que les riffs gras ne reviennent et noient cette petite lumière naissante brutalement en l’entraînant avec son flot de groove. Le morceau va continuer sur une abondance de distorsions, de riffs pachydermiques et de hurlements nihilistes, une transformation et une assimilation parfaite, sans laisser de trace, comme ces pauvres petites araignées dévorées par les guêpes dont elles avaient eu le malheur de vouloir attraper avec sa toile.

Lycaenid arrive doucement, comme les pattes de velours d’un chat sur le tapis herbeux du jardin au petit matin. La vibe du romantisme noir plane et inonde toute l’espace avec le son rêveur de la guitare. La magnifique voix de Jake ici est à la fois douce et lancinante, il n’a rien à envier à un certain Mark Lanegan (qui nous manque!). Accompagnée du très beau jeu de guitare d’Oli, cette voix habite et construit ce morceau qui évolue comme une gaussienne avec une monté en puissance à couper le souffle, un splendide clair obscur, entre douceur et désespoir déchirant. Les arpèges nous emportent sur une fleuve de spleen mélancolique tout au long du morceau. C’est 11min de superbe progressivité musicale tout en tranquillité, ce genre de beauté discrète et délicate, comme des ailes ténues d’un petit papillon à travers lesquelles reflètent les premiers rayons de l’aurore.

Après ce passage de douceur, Tachinid nous tombe dessus comme le ciel chargé de plomb. Morceau qui montre clairement l’influence noise, drone, indus du groupe. C’est le morceau le plus court mais aussi le plus malsain et le plus violent de l’album. C’est comme une «cassure», une plaie béante qui s’ouvre soudainement et rompre la surface de la terre.

C’est une plaie qui conduit inexorablement à Carcini, magnifique morceau doom, mélodique et dramatiquement tortueux, aussi beau qu’une squelette d’arbre morte à moitié noyé sous la surface d’un lac et qui se dresse vers un ciel orageux, frêle mais majestueux, jusqu’au dernier souffle.

Mais tout n’est pas fini, car Broodsac et ses boucles fuzzy viennent réveiller la rage et toute la hargne contenu depuis Lycaenid, c’est comme si l’âme, las de subir le dégoût, se réveille d’un seul coup pour hurler, tournoyer, cogner, gratter, et détruire les parois de l’esprit afin de se libérer de cette condition humaine paralysante. Une fraîcheur au relent gothique et post punk qui ravagent tout sur son passage. Le jeu d’Oli ici est superbement mené, à la fois frétillant et dynamique mais il conserve cette essence stoner sludge bien grasse et généreuse.

Et l’album se termine avec le sublime Sinensis. Tout y est parfait, depuis la voix (putain de voix!) mélancolique qui ouvre le morceau comme un rossignol esseulé chantant solitairement un après midi d’automne, à la guitare sèche qui vient l’accompagner dans un flow de neo folk le plus éthéré du genre; jusqu’à la deuxième partie aux influences post punk, indus à la fois sombre, enragée et lancinante. Morceau terriblement éreintant émotionnellement avec l’effleurement mélancolique du glissement de son voile d’ouverture vers cette chape de plomb avec ses boucles lourdes et implacables, qui martèlent sans cesse le cœur avant de nous laisser avec le silence. Un silence dans lequel les battements fantômes continuent à cogner sur les parois des tripes.