Drache – De Mauvais Augure

Artiste : Drache (par Déhà)

Origine : Belgique

Date de sortie : 2022

Genre : Black Metal

Un ciel gris uniforme. Une atmosphère humide, palpable, et le goût moite des effluves du béton encore tiède sous la pluie à peine tombée. L’odeur douce et terreuse du tapis de feuilles qui se noie sous les trombes, dans un bois à peine assez étendu pour être appelé ainsi. La présence du bourg tout proche qui se rappelle à moi, de son clocher comme seul horizon de ceux d’entre nous qui ont grandi ici.

Ce froid coutumier qui gagne doucement mon corps, et le bruit sourd et constant de la Drache qui tombe autour de moi et alourdit progressivement mes épaules.

J’ai grandi en Lorraine, entre une campagne triste et un sillon industriel au-delà du déclin. Un de ces nombreux fiefs où il ne se passe de coutume pas grand-chose, un endroit moyen et sans éclat. Si l’art émane de l’intensité des sentiments, alors quel genre d’artiste pourrait bien faire émerger de cette pratique patrimoniale de l’ennui profond, les tourments grandioses de l’âme humaine ?

Depuis la Belgique toute proche, Déhà m’a fourni une réponse. Drache est le nouveau projet du maestro, qu’il désigne lui-même comme du “pur Black Metal Belge”.

DRACHE, pour moi, c’est ce nord souvent oublié. La Belgique, ses mines, son froid, sa pluie, sa grisaille, sa platitude, son conformisme etc. Bien sûr, c’est aussi mes sentiments, ma vie, mes origines pour rentrer plus personnel.

Déhà, lors d’une discussion avec le Riff

Avec le statut et la réputation qui sont siens aujourd’hui, il suffirait à Déhà de le décréter ainsi pour fixer le canon du Black Metal Belge sans plus de discussion. Mais au-delà de l’intention, du nom et de l’esthétique, le son de Drache m’évoque effectivement ces sensations familières comme aucun autre ; indéniablement Black Metal, ces longs riffs atmosphériques qui se suivent, s’accumulent, se superposent et se retirent comme des vents et bourrasques battant la plaine ne sont pas venus des forêts norvégiennes mais bien de ces zones périurbaines, gravées dans la grisaille.

Les chants et hurlements, lointains dans l’écho mais toujours à l’épicentre des tourbillons de riffs, ne distillent pas un givre glacial mais un froid humide, qui s’insinue dans les os sans jamais mordre la peau. Ecouter Drache, c’est se tenir debout sous une lourde et constante averse, laissant le froid nous gagner et la mélancolie silencieusement exploser. C’est puissant, primitif, d’une salutaire solitude.

Laissez-moi seul…

Laissez-moi seul…

Mais la Drache, si elle est un refuge lorsque notre esprit ne supporte plus de soutenir le contact des autres, ne nous laisse jamais vraiment seul. Elle est cette puissance physique constante, enveloppante, ce bruit qui nous rappelle que le monde existe autour de nous.

En fait de solitude, et fidèle à une certaine tradition du Black Metal, Déhà a écrit, composé et enregistré l’album à lui tout seul… Ou alors seulement avec des amis très proches : on retrouve Brouillard (de Vertige et du label Transcendance) au chant sur Extinction, puis Corvus von Burtle (Wolvennest, Cult of Erinyes) sur Une Cellule Vide. Bien plus que des invités de circonstance, chacun d’entre eux s’est totalement approprié sa chanson, renforçant encore l’identité très personnelle du projet.

Quand je l’ai terminée [Extinction], quand je l’ai réécouté la première fois, je me suis dit « celle-là, elle n’est pas pour moi, elle est pour elle (Brouillard) ». Ne me demande pas pourquoi, je pourrais te donner 40 raisons, mais au fait, c’était évident que cette chanson soit pour elle et elle l’a transformée à sa propre manière comme si Drache était à elle! Et Corvus a fait la même chose ! Il a compris le concept musical et extra-musical du projet. Je n’ai même pas eu besoin d’expliquer un texte ou de dire « tiens, essaies de parler de ça », etc. Ca s’est fait naturellement. C’est pour ça que je suis très content, l’entité de Drache existe. Ce n’est pas juste un énième projet, c’est un groupe avec une identité sonore et extra-sonore et je cherche à garder ça.

Déhà, en interview pour Scholomance

Le résultat en est poignant, chacune des quatre longues compositions ayant son identité distincte et l’ensemble étant uni dans la tourmente. Mais c’est personnellement la dernière piste, Souvenirs et Hivers, qui m’emmène le plus loin. Un passage de Mozart au clavier saturé et perverti en introduction, puis ce hurlement venu des profondeurs… Sur cet album, Déhà donne de sa voix avec un timbre et une intensité encore jamais entendus. Et encore et toujours ces riffs simples, transcendants et puissants, comme le vent du Nord qui vient s’écarteler.

Pour réaliser ce tour de force, point d’artifices particuliers, simplement les tripes de son créateur et une volonté précise ; on parle de Black Metal après tout. La production garde sa part de mystères à travers les saturations et la rugosité, mais déploie une amplitude peu commune, avec suffisamment de place pour quelques saillies de clarté.

Pour Drache, je voulais qu’on entende tout, mais en même temps, je voulais que ça reste assez évasif, je ne voulais pas de prod’ moderne, qu’on entende la batterie ultra devant. Je voulais qu’on comprenne les paroles, mais en même temps qu’on soit intrigué, et il y a un côté « Putain ! Je comprends pas tout, attends, je vais prendre le livret ! » Je voulais que les personnes qui écoutent Drache se retrouvent comme avant, à prendre l’objet, à l’ouvrir, à le lire.

Alors allez-y, sortez sous la Drache et allez à sa rencontre. Commandez une édition physique et écoutez l’album livret en mains. On peut passer toute une vie à échouer à comprendre ce que la pluie a à nous dire ; Déhà nous offre une opportunité de comprendre, où à tout le moins, il nous offre sa compréhension. Son vécu, sa personne, grandie sous un ciel si gris qu’il faut lui pardonner. Il chante, il hurle avec le vent du Nord ; écoutez-le narrer le plat pays qui est le sien.


Achetez l’album en version physique sur le label Transcendance : https://www.transcendance-bm.com/product-page/drache-de-mauvais-augure

Un grand merci à Dee Cooper pour la super interview de Déhà pour nos amis de Scholomance, qui apporte beaucoup de clarté sur les motivations et la réalisation du projet !