III. 3. Devo – Are We Not Men? We Are Devo!

Acte III : Post-punk/new wave à claviers, synthpop

Album 3 : Are We Not Men? We Are Devo!

Artiste : Devo

Origine : Ohio, États-Unis

Si les expérimentations électro-glam rock à l’origine de la new wave sont au départ plutôt une affaire européenne et en particulier anglaise, le nord-est des États-Unis voit également se former à partir du milieu 70 quelques scènes oscillant entre prémices du punk et ambitions plus post-punk/new wave, à une époque où ces termes sont de toute façon encore peu distingués. Si la scène la plus connue est évidemment celle de New York, une autre particulièrement active se développe dans l’Ohio, qui à l’époque est plutôt une terre de funk. C’est dans cet état, et plus précisément à Akron, que se forme ce qui allait devenir l’un des groupes les plus marquants de la fin de décennie 70, Devo, dont le nom est dérivé du concept de dé-évolution, la croyance en une régression à venir de l’être humain après son évolution. Actif dès 1973, le groupe puise alors ses idées aussi bien des pionniers européens du rock expérimental (Roxy Music, David Bowie, Lou Reed) que de la littérature distopique, ce qui donne une musique avant-gardiste difficilement classable. Petit à petit un répertoire de plus en solide se constitue, dans lequel figurent déjà certains des futurs morceaus emblématiques du groupe, bien que les membres impliqués fluctuent énormément. Il faut ainsi attendre 1976 pour voir la formation se stabiliser autour de deus fratries, Mark (chant, guitare, claviers) et Bob (guitare) Mothersbaugh, Gerald (chant, basse, claviers) et Bob (guitare, claviers) Casale, ainsi qu’Alan Myers (batterie).

C’est alors que les choses sérieuses commencent. En mai 1976, le groupe tourne un mini-film surréaliste intitulé The Truth About De-Evolution, mettant en scène l’univers de science-fiction développé dans leurs chansons. Deus morceaus sont joués au cours du film, Secret Agent Man (qui figurera sur le segond album Duty Now For The Future) et Jocko Homo (qui figurera sur le premier ici traité). Primé au festival Ann Harbour, spécialisé dans les petites productions expérimentales, ce film offre une notoriété nouvelle à Devo et attire l’attention de quelques pointures musicales telles David Bowie, Brian Eno, Robert Fripp, Neil Young ou encore Iggy Pop, rien que ça! Alors que le groupe vient de signer chez la Warner et s’apprête à enregistrer son premier disque à l’automne 1977, plusieurs de ces légendes se montrent intéressées pour le produire. C’est finalement à Brian Eno que la mission est confiée, lui qui figurait déjà parmi les principales sources d’inspiration de Devo. Par ailleurs, une partie des sessions d’enregistrement se déroulent au légendaire studio de Cologne de Konrad Plank, temple du krautrock avant de devenir également celui de la new wave. Eno doit cependant faire face à une résistance qu’on ne lui avait auparavant jamais opposé. Habitué à être maitre à bord en matière d’expérimentations électroniques, il peine à trouver sa place face à un groupe déjà convaincu d’avoir pleinement développé son concept. Il parviendra tout de même à insérer quelques lignes de clavier en plus d’imprimer sa patte sonore aus compositions. Bouclé début 1978, l’album débarque dans les bacs en août de la même année sous le nom Are We Not Men? We Are Devo!, tiré d’une réplique emblématique du morceau Jocko Homo figurant déjà sur le film.

Et parlons-en justement de Jocko Homo, sans aucun doute l’un des titres les plus marquants de l’album! Tout ce qui fesait le Devo de cette époque y est, les mélodies barrées aussi bien des guitares que des claviers, une ambiance délirante, un chant très new wave soutenu par des choeurs robotiques, un véritable ovni devenu culte dès sa sortie! Dans un registre plus synthpunk et rappelant presque les débuts d’Ultravox, Mongoloid fait également forte impression, là encore l’alliance guitare-clavier marche à merveille et la répétition du motif vocal principal crée une ambiance des plus déroutantes, un sommet de l’album incontestablement! Sorti en single dès septembre 1977, l’improbable et complètement transfigurée reprise d’ I Can’t Get No Satisfaction des Rolling Stones est restée l’un des titres les plus connus du groupe et s’insère parfaitement dans l’album tant elle est réappropriée. Signalons tout de même qu’une bonne partie des autres titres, tous excellents, sonnent plus post-punk pré-alternatifs, dans une veine proche de celle de Television bien que tout de même plus excentrique. Parmi les plus notables figurent le fulgurant Uncontrollable Urge, le plus délirant Space Junk ou le presque Strangler-esque Gut Feeling.

Les promesses du film The Truth About De-Evolution sont donc magistralement confirmées! Deus ans après la sortie du film, Devo signe un premier disque incroyablement créatif, plus abouti musicalement que ses premiers enregistrements, et mettant clairement un pied dans les années 80 tout en conservant cet esprit d’aventure qui caractérisait les années 70. Inclassable, la musique du groupe fait montre d’une identité déjà très affirmée, reconnaissable entre 1000, ce qui n’est pas courant pour un premier essai. Par ailleurs, le côté ovni et expérimental de l’album ne l’empêche pas d’être redoutablement efficace! Les compositions sont accrocheuses, mémorables, et garantissent un véritable plaisir d’écoute en plus de leur originalité.

Il va sans dire que la presse spécialisée accueille ce disque avec pas mal d’incompréhension. Le côté décalé et absurde aussi bien de la musique que des paroles conduit en effet une partie des critiques à ne pas vraiment le prendre au sérieus ou à passer à côté de ses qualités. Cependant, cette même presse changera vite d’avis en voyant le succès que rencontre l’album aussi bien en Angleterre qu’aus États-Unis et au Japon. Il s’est depuis durablement imposé parmi les classiques de la new wave et l’un des principaus précurseurs des courants synthpop et alternatifs des années 80, un statut amplement mérité. Mais même si le public l’ignore encore, Devo a encore de nombreus morceaus en réserve dans son répertoire, et peut donc rapidement revenir en studio en septembre 1978 pour enregistrer son segond album, le tout aussi excellent Duty Now For The Future, qui verra les claviers prendre une place plus importante mais sans altérer la personnalité unique du groupe.