Vong – A Wander In Liminality

Artiste : Vong

Origine : Vietnam

Date de sortie : 2022

Genre : Black Metal

Le Vietnam, petit pays d’Asie du Sud-Est qui porte en son sein une épaisseur historique aussi impressionnante que la bravoure et la pugnacité de son peuple! 4000 ans d’histoires et de tradition, des pages les plus épiques aux chapitres les plus douloureux, le pays a traversé les marais sombres de l’esclagave, placé sous le joug de la domination, de l’occupation, il a connu les règnes de différents régimes politiques dont tous n’étaient pas fastes et heureux.

Si d’autres chantent des exploits épiques et les épopés les plus glorieux de leur histoire, Vong, one man band originaire de Hà Nội, nous offre ici un voyage de l’autre côté du mirroir, les pages les plus sombres de l’histoire vietnamienne, là où la vengeance, la guerre, la famine et les catastrophes naturelles piétinnent la fierté, l’honneur et l’humanité du peuple et de ceux qui les gouvernent.
Parce qu’en fin de compte, même ces événements méritent d’être connus, d’être souvenus, ils permettent de comprendre d’autres éléments historiques et constituent des leçons pour le présent afin, peut-être, de préparer et construire le futur en évitant les mêmes erreurs.

Bienvenu dans l’aune ce voyage sombre, ce seuil merveilleusement illustré avec le morceau titre, tout en ambiance avec les sons de tambour, petit passage de chant de gorge bouddhiste, les chuchotements mystérieux et divers effets sonores qui donnent à l’ensemble une ambiance irréelle, entre rêveries et fantasmagories. Cette entrée sonore accueille l’auditeur et le prépare aux fresques sombres qui se déploieront au fur et à mesure de l’album.

A partir de ce seuil onirique, le rythme régulier de mokugyo (mõ en vietnamien) ponctué de sons de cloche ouvre Lệ Chi Viên, laissant présager un malheur à venir, avant que la musique ne monte en une vague épaisse de colère avec le chant aïgu, assez typique du genre, accompagnés de riffs épais et rapides comme un flot de sang qui se déverse et colore le sol d’une cour de palais un matin d’été. Tout est rapide et plein de ressentiment, cet état d’âme de ceux qui subissent des injustices. La musique va finir par ralentir considérablement, jusqu’à épouser une lourdeur très doom, assaisonnée de passages de guitare tranchante et une voix aussi glaçante que le couperet final de ce procès atroce, avant de se perdre à nouveau dans des riffs folles qui, comme la voix, ivres de colère devant le mensonge et l’outrage.
Ce super morceau relate un des procès le plus injuste et le plus cruel de la cour des Lê contre Nguyễn Trãi (1380 – 1442) et sa famille. Ecrivain, diplômate, politicien et stratège de talent, il a été reconnu comme célébrité culturelle mondiale par UNESCO. Nguyễn Trãi a participé à l’avènement du règne des Lê après avoir aidé Lê Lợi (grand général et politicien) à repousser l’invasion du Vietnam par l’armée des Ming. Après la victoire de la révolution menée par Lê Lợi et l’arrivée de celui-ci à la tête du pays sous le nom de Lê Thái Tổ, Nguyễn Trãi continua de servir le pays via des fonctions similaires à la fonction de ministre de l’intérieur, conseiller du roi et académicien pendant le règne (assez court, 5 ans) de Lê Thái Tổ. Après la mort de Lê Thái Tổ en 1433, son second fils monta sur le trône sous le nom de Lê Thái Tông en 1434, il continua de garder Nguyễn Trãi dans ses ministres proches malgré des désaccords décisionnels entre eux et profita de ses bons et loyaux services.
Après 4 ans de service, en 1438, Nguyễn Trãi, alors 58 ans, demanda au roi la permission de partir à la retraite à Côn Sơn, petite ville du Nord, ville natale du grand père maternelle de Nguyễn Trãi. Il consenti toute fois de continuer de servir le pays et le roi quand ce sera nécessaire.
“Lệ Chi Viên“ parce que c’est le nom du procès, le lieu où tout a commencé, lieu de la mort du roi Lê Thái Tông. Le temps est passé et l’eau a coulé sous les ponts, mais le déroulement du drame est toujours entouré de mystère ainsi que l’empressement de la cour à exécuter la famille de Nguyễn Trãi… Tout a commencé un fin d’été 1442, le roi Lê Thái Tông partit en patrouille (c’est d’usage à l’époque que le roi se joigne à l’armée pour les patrouilles dans les endroits stratégiques du pays) avec son armée et quelques fonctionnaires au Nord-Est du pays. Il a passé quelques temps à la pagode de Côn Sơn, à l’époque, la maison de Nguyễn Trãi. Quand le roi reparti, il ammena avec lui la première concubine de Nguyễn Trãi (il avait 5 femmes), Nguyễn Thị Lộ, cette fille de médecin est célèbre pour sa beauté et pour son érudition. Pendant le service de Nguyễn Trãi à la cour du roi Lê Thái Tông, le roi, ébloui par sa beauté et son intelligence, lui a donné le rang de préceptrice pour les enfants des courtisans, de fonctionaires et même pour les jeunes concubines.
Quand le cortège du roi arriva au village Gia Bình (près de Hà Nội actuellement) où se trouve le palais Lệ Chi Viên, situé dans une exploitation de litchi (Lệ Chi viên = palais de litchi), le roi tomba soudainement malade (probalement du neuropaludisme selon certains historiens), Nguyễn Thị Lộ a passé une nuit blanche à s’occuper de lui. Mais malheureusement, le roi décéda au matin. Les officiers cachèrent la nouvelles et continua d’accompagner le cortège jusqu’au palais royal comme de rien n’était. Quand ils arrivèrent au palais royal 2 jours après, ils commencèrent à annoncer le deuil. Toute la cour accusa Nguyễn Thị Lộ d’avoir empoisonné le roi et l’exécuta par noyade (elle a été enfermée dans une cage en fer et jetée dans le fleuve rouge).
Dès l’arrivé sur le trône du second prince Bang Cơ (sous le nom de roi Lê Nhân Tông), qui avait alors 2 ans, sa mère Nguyễn Thị Anh avait alors le pouvoir par procuration car le roi étant encore trop jeune, donna l’odre d’exécuter Nguyễn Trãi et toute sa famille jusqu’au 3e degrée, soit presque 400 personnes, (peine très utilisée en Asie sous différentes monarchies) pour le meurtre du roi. Il y a des thèses qui supposent que Nguyễn Thị Anh avait précipité l’accusation car c’était une bonne occasion pour elle d’éliminer Nguyễn Trãi et Nguyễn Thị Lộ, qui avaient une influence auprès du roi et qui, avec d’autres fonctionnaires, soupçonnaient que le prince Bang Cơ n’était pas le fils du roi puisqu’elle était déjà enceinte avant d’arriver à la cours. Mais ce fait reste des soupçons qui n’ont jamais été prouvés. D’ailleurs, Lê Nhân Tông sera, par la suite, assasiné par un des autres princes pour cette raison.

C’est un procès injuste qui a été démontré par de nombreux historiens. Même le roi Lê Nhân Tông, dès qu’il eut connaissance des documents du procès et du travail de Nguyễn Trãi pour la cour des Lê, a reconnu l’injustice que subit ce dernier. Mais il a fallu attendre le règne de Lê Thánh Tông (5e roi des Lê, celui qui a régné le plus long temps (37 ans) et celui qui a apporté une longue période de paix et de développement économique comme politique au pays) pour que la cour rétablit officiellement son innocence. Et Nguyễn Anh Vũ, fils de Nguyễn Trãi et sa 4ème concubine, le seul fils qui a pu échapper à la peine car il a pris le nom de sa mère au moment du drame, soit attribué un petit post de fonctionnaire (sachant qu’il a réusit le concours de foncitonnaire de l’époque aussi).

Après ce malheureux procès qui marque l’histoire vietnamien comme une profonde blessure, préparez vous pour la noirceur de Ất Dậu, morceau aussi sombre et aussi malsain que le climat qui régnait sur le Vietnam en 1945, l’année du coq, Ất Dậu, l’année de la grande famine qui a coûté la vie de presque deux millions de personnes. Une famine artificielle qui pèse sur le nord du pays, pris en étau entre les forces étrangères, ces mêmes forces régies par le paysage politique internationale (contexte de la seconde guerre mondiale) et les forces internes qui, chacune de leur côté, pense libérer le peuple du joug de la colonisation et apporter la liberté au pays, sans parler des conditions naturelles qui ont décidé d’être difficiles cette année là…
Comment donc un pays producteur de riz et un pays aux traditions agricoles fortes se retrouve avec une famine aussi importante? C’est à cause de la politique coloniale agressive pendant la seconde guerre mondiale qui fait que le nord du Vietnam se retrouve sous la domination à la fois française et japonnaise. Les français étant déjà présent au Vietnam ont exercé une politique qui maintient le pays sous une économie agricole, peu développée industriellement. Pendant la seconde guerre mondiale, avec la monté en puissance du bloc Allemand-Italie-Japon, le Japon repousse les français et envahit le nord du Vietnam afin de l’utiliser comme une ouverture vers la Chine au nord et vers d’autres pays de l’Asie du Sud-Est au sud. Pendant toute la période entre la fin de 1944 et le début de 1945, le Japon donnait l’ordre aux agriculteurs d’abandonner la culture traditionnelle du riz pour cultiver du jute afin de palier au manque du Japon. Mais c’est une politique qui a déjà été initiée par les français, qui demandait aux agriculteurs de limiter la culture du maïs, du manioc ou de la patate douce pour les remplacer par le coton, le jute et le lin. Ce qui fait que la production du riz nord vietnamienne a fortement chuté depuis 1940 déjà.
Pendant la seconde GM, l’armée japonaise qui prenait de plus en plus de place et de pouvoir au Vietnam prenait tout le riz et le caoutchouc du nord pour alimenter son pays ou les avant-postes dans le sud du Vietnam. En 1944, suite à des catstrophes naturelles, les récoltes nord vietnamienne ont été fortement impactées, mais le gouvernement colonial sur place devait toujours livrer plus de 900.000 tonnes de riz à l’armée japonaise, cela a pour résultat un manque de nourriture au sein de population.
Pendant ce temps, les japonnais interdisaient tout transport du riz entre le sud et le nord du vietnam malgré le fait que le nord subissait une grave famine et que les stocks de riz sudistes en débordent au point où les agriculteurs sudistes devaient les vendre à perte sinon le riz se gâtent dans les entrepôts à cause du climat humide. A partir de mars 1945, la situation devient encore plus grave après le coup d’état de l’armée japonaise qui mettait en déroute le gouvernement colonial français. Les voies de transport entre le nord et le sud tombaient tous dans les mains du Japon et ils ont décidé de toutes les couper. Les tentatifs de la monarchie vietnamienne (qui colaborait avec les français) pour ravitailler le peuple nordiste étaient coupés court. Aucune négociation entre le gouvernement en place et l’armée japonaise n’a pu aboutir pour régler ce problème. Pendant ce temps, la colère gronde sourdement au sein du peuple et des organisations populaires révolutionnaires sercrètes.

C’était une famine abjecte, préméditée, organisée à des fins politiques et totalement inhumaine. C’était quelque chose de tellement absurde qu’il n’y a rien qui puisse justifier des actes aussi cruelles et Vong le fait savoir à travers ses riffs acérés et rapides, aussi brutaux que la situation elle même; cette incompréhension sort de son gosier avec toute la force glaçante, plus froid que les mains de la mort. Le morceau est construit avec les boucles de mélodie répétitives, comme des cercles de l’enfer implacable, endroit sombre et dépourvu de tout espoir!

Cette ambiance malsaine ne va pas s’arrêter là, elle va continuer sur Storm Over the South Sea, et à l’image de toute tempête qui se respecte, le morceau commence presque doucement pour s’intensifier au fur et à mesure pour ne plus jamais s’arrêter, plongeant l’auditeur dans une nuit de tempête sans fin avec cette construction de riffs en plusieurs couches comme autant de bourrasques de pluie qui s’abattent sur la terre, la plongeant dans le chaos total. Est-ce qu’Indogo Tongue (le musicien derrière Vong) parle de ces grosses tempêtes qui plongeaient une grande partie du Vietnam sous les flots au mois d’août 1945, une des facteurs qui aggravaient la famine de cette année là? Très probalement car suite à l’innondation, 50% des terres agricoles du nord du Vietnam se retrouvaient infécondes pendant long temps. La batterie au rythme de folie et la voix glaçante d’Indigo Tongue ne laissent aucun répit à l’auditeur, les obligeant de plonger avec lui au coeur de flots.

Un petit saut dans l’histoire avec The Birds Shall Carry My Bones Home, ce morceau solennel et presque le plus “calme” de l’album est teinté d’une certaine mélancolie, apportée par la structure beaucoup plus lente du morceau et par les plages de guitare amples et plaintives. Est-ce que le morceau parle du sort des soldats qui partent aux fronts du nord pendant la guerre civile du Vietnam et qui y trouvaient une morte certaine loins de leur région natale, loin de leur maison? Ou parle-t-il de nombreux boat people qui, du jour du lendemain, se retrouvent braver les dangers et la mort pour fuir leur pays natale et passer le reste de leur existence avec leur âme qui ne cesse de languir pour la douceur de la terre mère sudiste? Dans un cas ou dans un autre, le drame est réel et pendant encore long temps, le même testament sera encore gravé dans les stèles partout où le peuple est chassé de sa terre par l’injustice et les régimes totalitaires, abusifs. « He who ventures Southward… pray, take my bones with thee ».

L’album se termine avec une magnifique ode à tous les soldats et civils qui ont combattu et qui ont laissé leur vie dans la jungle tropicale. Cette jungle magnifique et terrible, lieu à la fois enchanteur, mystérieux et dangereux. Elle peut être un refuge sécurisant, paisible tout comme un territoire où toute sa faune et sa flore est un danger potentiel pour qui ne les connait pas. C’est l’endroit où il s’est passé le plus de bataille pendant différentes guerres du Vietnam. C’est aussi l’endroit où se cachait l’armée révolutionnaire pendant la colonisation et l’endroit dans lequel l’armée nordiste emprisonnait les soldats et généraux de l’armée sudiste après la réunification du pays en 1975, ces prisons au milieu de la jungle assurent une fuite quasi impossible car ce qui attend les fuyards de l’autre côté de la barrière est la morte presque certaine. Ce danger, cette solitude de celui qui erre sont accentués par la voix d’Indogo Tongue qui devient parfois lointaine sur l’épaisseur de guitare rampante. La seule consolation pour ceux qui abandonnent leur vie dans ce palais antédiluvien est la vision des rayons de soleil dansant sur la voûte émeraude des arbres sans nom et sans âges, comme les ossements qu’elles enferment sous ses racines profondes et noueuses.

Ce premier full-length the Vong est déjà sorti en 2019 en tant que demo. Mais tous les morceaux ont été retravaillé, réenregistré et masterisé par House of Ygra. Si vous cherchez une quelconque comparaison ou mise en perspectif avec d’autres groupes de black plus connu, vous n’en trouverez pas ici car ma connaissance du black metal est assez limitée. Mais ce que je peux dire de cet galette est qu’elle est belle, de par les compostions qui ne sont pas forcément originales mais qui sont parfaitement ficelées, aussi par la production très soignée et enfin par les histoires qu’elle raconte et qu’elle met en lumière, les histoires que je m’efforce à vous rendre de manière la plus authentique et la plus sincère possible. Laissez vous guider par la musique de Vong et découvrez un pan peu connu de l’histoire du Vietnam.