Artiste : Wang Wen – 惘闻
Origine : Chine
Date de sortie : 2020
Genre : Post-rock/experimental rock
Wang Wen, un géant du post rock chinois, formé en 1999, 10 albums à leur actif et des tas de concerts internationaux. Cet onzième calamaropus nous est arrivé à la fin du mois d’Octobre et est salutaire! Salutaire dans ce sens qu’il nous invite dans un voyage intérieur riche d’introspection, d’imagination et d’émotion.
Wang Wen, ce sont 6 garçons venant de la ville de Dalian, une ville portuaire industrielle de la province de Liaoning, donnant sur le golfe de Corée, ancien centre commercial et lieu mythique de consommation d’opium entre 1932 et 1945 au sein de ce qu’on a l’habitude d’appeler la Mandchourie en occident. C’est la ville la plus Européenne de Chine tant la région a basculé entre protectorats et annexions tour à tour sous les mains britanniques, japonais, puis russes (Dalian a été créée par les russes), et mêmes les français y ont laissé leur empreints, à tel point que la ville abrite l’administration de l’alliance française universitaire à l’université des langues étrangères de Dalian.
Fort de ce passé riche en foisonnement culturel, économique et surement artistique, la musique de Wang Wen, souvent expérimental, porte en son sein aussi ce touché à la fois très traditionnel, issu quelque part de la sagesse orientale, cher aux sages de l’empire du milieu, mais elle possède aussi la modernité, l’âpreté, une effervescence d’émotion, de vie grouillante, débordante comme une colonie d’insectes sur une carcasse de gibier en forêt: grouillant d’activité, de vie, luxuriant! La morte est transformée, elle nourrit la vie et se renouvelle en d’autres énergies vitales! Le cycle de la vie, le yin, le yang, la boucle est bouclée!
100.000 Whys n’échappe pas à cette récurrence même s’il est moins expérimental que ses prédécesseurs, mais la variation, la luxuriante créative est là et elle traverse l’album comme une route, une colonne vertébrale, la force tranquille qui soutient toute la structure tantôt éthérée, tantôt terrestre à en sentir l’humus dans les narines.
Wang Wen nous invite dans un voyage poétique qui a pour le point de départ la nostalgie, ce quelque chose en nous qui nous rend visite à chaque crépuscule un peu cafardeuse, quand notre âme est seule, grelottante et la seule chose qui pourrait la consoler, c’est de s’adonner à cette introspection, à la recherche de ce quelque chose qui nous chatouille de l’intérieur, qui gratte la surface interne de notre mémoire, demandant à sortir. Ce quelque chose, c’est peut-être ce que nous trouvons à la fin de la longue route tracée par 100.000 whys, au détour du chemin. Nous ne savons pas ce que c’est, mais nous marchons sur cette route, un pied devant l’autre.
Puis, à force de gratter, les fantômes du passé resurgissent, farceurs, hypnotiques, ils détournent notre attention de la route, petits spectres voletant comme des feux follets dansant sur les machines baignées dans la lumière froid du néon des villes désertiques. Ils ne manquent pas de charme tellement leur chorégraphie est plaisant aux sens, terrifiant et hypnotique, comme ces rêves sous les vapeurs d’opium!
Mais le voyageur finit par se lasser du spectacle, nous nous lassons de tout, n’est-ce pas? Dans cette société de l’immédiat, l’Homme est sollicité par moult distractions, son attention est éclatée et il fini par être fatigué de tout, enroulé autour de lui même, fragile comme un fœtus avec moult questions dans la tête #100.000whys. Alors il tourne le dos et reprend la route, son but est l’horizon, là où quelque chose à l’intérieur de lui cogne et demande de sortir, mais il ne sait pas ce que c’est, alors il s’élance corps et âme sur cette longue route, bordée petit à petit par son imagination devenant luxuriante pas après pas. Puis l’horizon s’ouvre sur un ciel infini, les insectes virevoltant au dessus des hautes herbes de la poésie de l’âme humaine. A la recherche de l’aube nouvelle!
Pourtant, encore une fois, le doute, les questions reviennent comme des vagues qui submergent cette route. Vagues ondulantes, douces berceuses qui ballottent le voyageur. C’est tentant de se laisser porter par des vagues si douces. Après tout, peut-être que demain n’existe pas et tout l’existence n’est qu’un rêve qui se répète jour après jour, il n’y a qu’à se laisser porter, porter par cette mélodie douce comme la peau d’une pêche.
Alors pourquoi ne pas se poser sur la plage, laissons vivre, laissons aller, posons et profitons donc du spectacle. Le soleil se couche sur l’océan, il n’y a pas plus beau spectacle que la mer, avait dit Victor Hugo. Regardons cette boule de feu répandre sa lave sur la surface de l’eau. Et tiens, pourquoi ne pas faire un feu sur la plage pour célébrer l’embrasement du monde? Dansons donc autour de cet élément vieux comme le monde, mais résolument moderne par rapport à l’océan infini, avec les rythmes folles et les incantations douces venant d’un autre âge.
Et puis, on s’endort, comme un bébé, au bord de la mer, un oiseau solitaire comme compagnon et veilleur dans ce repos, le repos du voyageur fatigué qui a parcouru de longs chemins, à la recherche de lui même.
Puis l’aube fini par arriver, les rayons du soleil lèchent le visage du voyageur endormi, il ouvre les yeux, hébété devant l’ascension du soleil depuis le ventre de l’océan. Il n’y a rien à crier, il n’y a rien à dire, c’est la plénitude qui vient avec ce soleil au dessus de l’horizon. Le silence est assourdissant. Le voyageur réalise enfin qu’il est inutile de s’agiter, de remplir l’espace de choses inutiles, l’espace est pleine et se suffit à elle même, lui aussi. Il suffit qu’il soit, et c’est tout. Et c’est là sa force, c’est là que va jaillir sa puissance créative. Il suffit de lui même, ni plus, ni moins.
Alors après tout ce voyage, au détour de ce long chemin peuplé de fantômes, de souvenirs, de jeux, de distractions, de créations, arrive ce que le voyageur a cherché depuis le début, ce quelque chose qui gratte, qui cogne, hurlant pour sortir de l’intérieur de lui: La vie, la sensibilité, la liberté; elles coulent à l’intérieur de lui, comme un fleuve qui ne demande qu’à briser les barrages pour circuler librement. Et c’est là, au bout du chemin que se trouve ce fleuve oublié, maintenant libéré et ses flots coulent joyeusement entre les berges luxuriantes, libre, royal et tranquille!
Ce nom, 100.000 whys, inspiré d’un poème issu d’un conte pour enfant (écrit pour sa fille) de l’écrivain anglais Rudyard Kipling. Le poème parle d’un enfant qui se pose des millions de questions du matin au soir. La thématique du flot de questions n’est pas étrangère à la philosophie orientale, discipline que les garçons de Wang Wen maîtrisent surement au vu de leur musique, qui explique que l’agitation mentale est le propre de l’homme et c’est ce qui crée son propre tourment. Tant que son esprit est occupé par milles questions (Quoi? Pourquoi? Quand? Comment? Où? Qui?), il n’y a pas de place pour l’essentiel qui est juste la simplicité. Ce n’est qu’une fois cette agitation mentale s’apaise (on arrête de se poser des questions inutiles –> On arrête de se demander quand on va louper le métro qui arrive dans 2 minutes au quai et qu’on est à 5min de la bouche de métro) que l’essentiel va se présenter clairement devant nos yeux.
100.000 Whys est un album salutaire pendant cette période agitée et compliquée, il nous permet de se poser et de retourner vers les choses essentielles en nous proposant un voyage. Voyage initiatique, comme ces moines voyageurs qui parcourent les routes à la recherche du sens de la vie, de la paix de l’âme avec l’univers. Petit à petit, l’âme s’apaise au rythme des pas, le cœur bat au même rythme de la terre et du ciel, alors l’univers s’ouvre aux yeux du voyageur. Laissons le temps au temps, laissons nous le temps d’apprécier les petites choses de la vie.
And then, shut up and create!