Ce n’est pas une surprise si je vous dis qu’il y a des albums qui nous demandent du temps pour bien les apprécier, pour bien les intégrer et pour bien saisir toute la beauté enfouie derrière les mélodies parfois aussi sombres que la fin du monde.
Pour bien des raisons, il m’était impossible de coucher mes impressions sur les pages blanches de ce vieux logiciel qu’est Word dès la sortie de Plague God, mais une des principales raisons était de ce gabarit ! Face à ce monument de gravité, de lourdeur et d’une beauté aussi ténébreuse et imposante qu’un monolithe d’ébène se dressant prodigieusement sur le paysage musical en ébullition de 2022, on est submergé et happé par ce missile qui nous explose en plein cœur. Les émotions, tout comme la structure de cet album même, sont tellement denses qu’on s’y perd, qu’on reste prostré dans l’état d’hébétude dans lequel l’album nous plonge après chaque écoute.
Je vous épargne les longs laïus concernant les illustres membres de ce projet, ce n’est plus un scoop à l’heure qu’il est et ce n’est plus un point sensationnel qui appâterait le chaland. Il reste cette ouverture sombre et inquiétante, à l’ambiance lovecraftienne, suivie d’une longue intro de batterie sauvage et magnifique, dont le rythme est semblable aux langues dansantes d’une flamme géante qui déchire les voiles de la nuit. Cette superbe cadence dont seul Igor a le secret nous ouvre sur un enfer de feu et de cendres aux riffs lourds et denses comme un océan de gouache, sublime et inquiétant à la fois. Cette matière rampante nous happe et nous prend aux tripes, les martèlements, les cris, les chœurs d’outre-monde sortent des bouches béantes de l’âme humaine, ils s’avancent en rampant et en s’agrippant à chaque cellule, à la moindre parcelle du corps restée consciente face au sensible.
Dans cet ensemble dense de cendres et de noirceur, la 2ème partie de In Spirit In Spite ressemble presque à une lumière au bout du tunnel. Un peu de vent sur cet enfer brûlant, nuancé par ce terrible voile de mélancolie, qui jette une brume cendreuse sur le paysage, le couvrant de poussière fine et l’ensevelissant sous la pellicule poudreuse du temps. Après tout, “we all carry inside us the seeds of our own deaths”. Implacable!
Après la boule compacte de riffs corrosifs et douloureux de Sarin, l’envolée ritualiste de batterie de « The Acres/The Ache » sonne comme une ascension, un réveil, une prise de conscience. La noirceur est toujours là, dans la lourdeur des mélodies, dans la lenteur des riffs, mais la beauté harmonique du mariage entre le chant clair et le lit de guitare aérien tranche avec l’obscurité. Il y a peut-être des lueurs naissantes pour qui sait les distinguer.
Retour à cette ambiance sombre de l’ouverture de l’album pour « The Half Rising Man ». Il y a quelque chose de plus dur qui s’est immiscé dans cet océan de gouache, quelque chose de froid, de métallique et de terrible. L’intro de basse ne rampe plus, elle s’avance sur la pointe des pieds, elle plane, elle s’amplifie peu à peu jusqu’à remplir l’espace avec un battement mécanique ponctué de son épais de batterie, avant d’éclater en une ascension terrible avec ce chant rauque et ritualiste, comme une incantation accompagnant cette élévation d’une icône calcinée, se tortillant pour sortir de la marre noire en se défaisant de sa propre chair dans l’air méphitique du champ de cendre sur lequel elle domine désormais. À ses pieds, les masses de fumées de batterie roulent comme des hordes de berserkers sur tout ce qui subsiste et la voix pleut du plomb sur ce spectacle de… de quoi au juste? Toute cette densité ! Toute cette passion ! Toute cette détermination ! Ce ne pourrait être la fin. N’est-ce pas ?
Et c’est à Absent in Body de nous laisser dans toutes ces interrogations avec une coupure de fin aussi nette que si le ciel décidait de tomber d’un seul coup ! Un seul coup, et puis plus rien.