Il ne vous a peut-être pas échappé que parfois, la vie c’est de la merde. Le monde va mal, les gens sont chiants, et les priorités de tout adulte un tant soit peu mature et responsable devraient être de respirer, s’alimenter, et surtout d’éviter tout contact avec qui que ce soit.
Ce qui n’est pas nécessairement une vision dépressive et incapacitante d’ailleurs ; parfois on a juste besoin d’envoyer une rage bileuse et sans filtre à la face de ce taf de merde, de ces obligations sociales épuisantes et de tout un tas d’autres trucs nuls inhérents à la vie d’adulte, et de creuser la terre de ses ongles jusqu’au sang pour s’enterrer loin, loin en-dessous de toute forme de conversation articulée.
Aucun groupe n’a capturé cette envie primale de tout envoyer chier comme Fange ont su le faire cette dernière décennie. Leur réputation est déjà plus que solide au sein de l’underground Français par leur noirceur Industrielle et bruitiste, leurs riffs écrasants dignes de Morbid Angel avec un accordage de Sludge, leurs visuels mémorables avec tripes et engrenages à l’avenant et leurs titres d’albums à vociférer avec force postillons :
Purge. Punir. Pourrissoir. Putain de bordel de merde (expression non contractuelle).
Et si leur tout dernier album Privation exprime parfaitement cette rage solitaire, il monte encore un cran au-dessus des précédentes productions du groupe. Le désormais quatuor, ayant incorporé Titouan Le Gal (Epectase) comme second guitariste, nous ont pondu ici un bestiau d’une toute nouvelle dimension artistique aux accents de Cold Wave et à la narration musicale plus variée, des passages de calme entre les tempêtes Godfleshiennes, et même du chant clair avec des invités de marque : on trouve au micro Cédric Toufouti de Hangman’s Chair sur Portes d’Ivoire, et Cindy Sanchez des excellents groupes Lisieux et Candélabre sur Nés pour Trahir.
Malgré leur puissance monolithique, Fange on toujours graduellement fait évoluer leur son d’un album à l’autre : de leur Sludge Noisy au Death Metal écrasant à la HM-2 jusqu’à l’industrialisation de la batterie. Si l’on en croit l’excellente interview du groupe dans le numéro 65 de New Noise ( achetez et abonnez-vous ), Privation est est une évolution naturelle du travail du groupe et notamment de leur collaboration avec leur ingé son Cyrille Gachet qui les a amenés vers une production plus lisible, pour maintenir une tension permanente avec des compositions plus variées. Mais ne nous y trompons pas : un Fange plus clair ne veut pas dire un Fange adouci.
Dès les premières mesures du bien nommé À La Racine, on peut ressentir l’ampleur à la fois aérienne et colossale de l’album : une ambiance d’amertume d’abord calme, tendue mais respirable qui finit par imploser sous un riff en tungstène densifié. La brume froide qui plane sur Privation n’empêche pas de retrouver cette sensation d’être broyé par les guitares et la Noise comme dans Enfers Inoculés ou Les Crocs Limés.
Le chant de Matthias Jungbluth ne rentre dans aucun canon “classique” de chant Death Metal, ou même Metal tout court. On n’entend pas une technique gutturale académique et focalisée, mais un être humain qui beugle, qui chante parfois, qui crie, râle comme un chacal enragé, mais qui le fait sans filtre, sans artifice. La voix, l’exécution, le ressenti, tout est vrai.
Vous l’aurez compris, Privation est un album qui va compter parmi les plus importants de l’année et qui présente ce que Fange offre de meilleur, déployant une nouvelle tessiture mélodique tout en gardant toute leur identité, avec leurs aspérités et leur brutalité pure. Une évolution qui n’est pas sans rappeler celle de leurs collègues et amis de Hangman’s Chair et leur fulgurante ascension sur des scènes internationales l’année dernière. 2023 pourrait bien être l’année où la Fange se répand hors du bassin de l’underground français pour contaminer les esprits de tous horizons.
Ils ont à tout le moins contaminé l’esprit de votre serviteur. GLOIRE À FANGE.
L’album est disponible sur Bandcamp et chez Throatruiner Records.