Artiste : Miscellen
Origine : US et UK
Date de sortie : 2021
Genre : post-rock, dark rock psychédélique
La période estivale est toujours une période de suspension, entre la chaleur nonchalante et les choses qui semblent tourner au ralenti, elle donne l’impression que le temps passe lentement et rien ne se passe. C’est sans compter sur la créativité des artistes, qui eux, créent par tous les temps. Et une des sorties de l’été qui m’a hypnotisé et m’a littéralement mis à terre à la première écoute, c’est Blue Ruin de Miscellen.
Miscellen, trio international mystérieux, composé de trois musiciens venu de Washington DC et de Bristol dont on ne sait rien d’autre, nous propose ici une musique généreuse, multiforme, qui s’installe et évolue dans l’espace, l’espace qu’ils ont posé dès les premières notes de l’album.
Beaucoup plus sombre et plus agressif que leur premier calamartopus Lurid Orange, sorti l’année dernière, Blue Ruin, sans être totalement audacieux, pose l’ambiance, s’y installe et s’y évolue, comme des nuées de brouillards qui s’immiscent subrepticement dans chaque coin de rue sombre d’une ville industrielle sans âge et hors du temps. Vous l’aurez compris, on ne peut apprécier la musique sans entrer dans l’ambiance, sans se plonger dans cet univers que le groupe propose, entre lignes de basses épaisses, voluptueuses, les pluies de guitares tantôt légères, tantôt comme les averses âpres, le tout soutenu par les vagues ondulantes de synthé et une batterie discrète mais solide; avec les deux voix qui alternent, tantôt éthérée, tantôt râpeuse, ou chuchotant comme venant des profondeurs des machines immémoriales, autant d’éléments qui vous propulsent directement dans les rues sombres d’un Dark City, ou en plein milieu de cette nuit sans fin d’Inland Empire, ou encore, entre les rideaux et les lumières tamisées du Bang Bang Bar, ce bar spectacle interlope et onirique de Twin Peaks.
Entre rêve et réalité, les titres s’enchainent de la même manière que déroulent des scènes d’un film. Pour un peu, je serais aussi tentée de comparer l’ambiance de l’album à celle d’un Neon Demon ou d’un Under the Silver Lake. Un monde à la fois connu, mais truffé de secrets; des scènes à la fois étranges et parsemées d’impression de déjà vu. C’est d’une beauté sombre, profonde et incroyable, comme cette plongée hypnotique et cathartique de Dive, suivi par le charme terriblement sirénienne de Aphotique, voix envoûtante sur musique éthérée, qui vole votre âme et l’emporte dans les profondeurs, caché sous le secret des flots argentés, pour toujours, l’âme de Beth Gibbons n’est pas loin dans ce timbre de voix. Et tout cela, sans parler de No Saints Allowed, très belle reprise du groupe EBM Indus Mindless Faith.Cold Comfort et Shadow Blind, sombres et dramatiquement romantiques, renouent avec la tradition coldwave/gothique, l’aventure approche à la fin, c’est la nuit, la ville est toujours poussiéreuse, immuable avec ses tours et ses dédales de béton; le ciel est toujours d’une profondeur ténébreuse, seuls les étoiles éclairent la surface des fenêtres, sur lesquelles la pluie tapote de ses dards cristallins.
Il est temps de rentrer à la maison.
Blue Ruin avec ses mélodies tantôt rapides et agressives, tantôt éthérées et sensuelles, est sombre et beau, c’est l’histoire d’une ville sans nom et sans âge, c’est l’histoire de quelqu’un qui, un jour, se réveille en plein milieu de la nuit et découvre soudain les secrets du monde par le truchement des rêves dans les interstices de la réalité, et depuis lors, il erre sur le bord du temps.