On ne le dira jamais assez ; le jeudi est un triste jour. Mais pas le genre de triste jour mémorable, plutôt le genre insignifiant. Seule une poignée d’évènements marquants de l’histoire s’est passée un jeudi, et entre Jeudis Noirs et Jeudis Sanglants, aucun n’est vraiment réjouissant. Le Crach de 1929, la rafle du Vel d’Hiv, une défaite cuisante de la Luft… Heuuu on va s’arrêter là hein.
Vous êtes sur #JeuDivision, la chronique du free speech mais pas trop, faut pas déconner quand même.
On a déjà parlé de l’empreinte colossale du travail de mastering en studio qui a fait de Joy Division un joyau de la musique moderne. D’aucuns sournois sycophantes pourraient alors en profiter, se masser autour de la tombe pour y proférer des mots impies ; « groupe de studio »… « aseptisé »… « commercial »… « sur-produit »…
Pour rétablir l’équilibre, rappelons alors que la puissance de Joy Division en live n’avait strictement rien à envier au travail d’orfèvre réalisé en studio. Malheureusement la grosse majorité des enregistrements Live qu’il nous reste aujourd’hui souffrent d’une qualité… Bah disons qu’on a envoyé des ingé son en vacances forcées à Étretat en plein mois de novembre pour moins que ça.
Mais malgré tout certains titres outrepassent ce problème et tapent droit au coeur. Beaucoup d’entre eux figurent sur le compilation Still, ultime pépite de la longue et posthume discographie du groupe.
C’est avec cette version live de New Dawn Fades que mon amour pour Joy Division s’est révélé.
J’étais dans un train entre Paris et la grise campagne de mes veules origines. Une de ces provinces post-industrielles que le capitalisme a progressivement délaissé, parce que pas assez compétitive. Un enchevêtrement de mornes villes moyennes où la seule rédemption possible pour la classe ouvrière est d’aller monnayer ses talents et sa dignité à l’Etranger tout proche, dans un emploi de bureau chiant mais bien payé.
J’étais debout dans le wagon-bar avec rien d’autre à faire que de regarder au-dehors, voir les champs et les poteaux électriques défiler sous le ciel gris uniforme d’octobre. Un temps et une destination propices à la profonde mélancolie, donc.
Et là le shuffle amène les premières notes de New Dawn Fades à mes oreilles. Ce rythme lent, cette basse puissante, et ces riffs de Barney, vrombissants et tristes m’ont immédiatement pris. La puissante et froide sensualité de Joy Division. En Live, les artifices de Martin Hannett ne sont pas ; la basse et la guitare prennent toute leur place et la voix de Ian Curtis est plus râpeuse, plus puissante, plus imparfaite… Plus humaine.
Cette longue complainte a résonné avec mon état d’esprit du moment, avec mon corps qui était figé dans cette espèce de torpeur juste un peu inconfortable, debout devant une fenêtre froide à regarder la vie défiler. Il faisait un peu froid. Il faisait gris, j’allais vers une mélancolie assurée et j’avais trouvé en cet instant un étrange réconfort.
On était en 2011.
C’était un jeudi.