Ces six premiers mois 2023 ont été riches en nouveautés musicales dans l’univers rock & metal. Dans mon modeste exercice d’analyse rétrospective, j’ai été frappé par la forte présence de la scène française parmi les albums qui ont marqué mon esprit. Ce constat a induit l’angle par lequel j’ai décidé d’éclairer cette période :
porter un coup de projo sur l’extraordinaire qualité et diversité des artistes de l’Hexagone.
Ma démarche n’a rien de chauvine mais questionne de facto le rôle des média dans le laminage de nos créateurs. Pour un TRUST, un GOJIRA ou un SHAKA PONK, combien de groupes mériteraient d’enflammer les Zénith ou, plus modestement et légitimement, mériteraient de vivre de leur art ? Bien sûr, je ne répondrai pas, ni à cette question, ni à la problématique liant l’artiste, les media et les marchands de notoriété. Plutôt qu’une réponse, cet article est une proposition de solution en ce qu’il met en lumière des créateurs qui méritent d’être soutenus, par l’achat de leurs albums, par la participation à leurs concerts. Et si votre support ne se portait pas sur l’un des 10 exemples cités, qu’au moins cette chronique prouve que dans nos régions il y en a absolument pour tous les goûts. Soyez curieux et soyez acteurs !
Il a fallu que j’en choisisse 10 et je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour ceux que je n’ai pas pu citer (Beastly, Bruit ≤, Corrozion, Inward, etc.) sans compter tous ceux qui n’ont pas sorti d’album durant ce 1er semestre. J’en ai retenu 10 dont les univers sont tellement incomparables qu’il serait pure folie de vouloir les classer. C’est la raison pour laquelle je m’en tiendrai à un ordre alphabêtique.
Premier de cette liste ASYLUM PYRE – Call Me Inhuman – parce que le nom du groupe commence par la lettre A. Je serais tenté de dire que le hasard fait bien les choses car cet album a été une vraie révélation dans un genre qui, de surcroît, n’est pas ce que j’écoute ordinairement. Pourtant, quelle claque ! Au-delà de la virtuosité des musiciens et du chant, le vrai point fort de l’album ce sont les compositions. Le groupe a trouvé un parfait équilibre entre du power metal traditionnel et un modern metal jouant sur des contrastes d’atmosphères, des sons synthétiques ou des instruments inattendus. Presque une heure de plaisir ininterrompu.
Changement d’univers avec Les Nuits de CLINIC RODEO où nous nous abandonnons aux mélodies en demi-teinte, portées avec beaucoup de charisme par la voix grave et chaude d’Ad. L’habillage musical varie entre stoner, alt-rock, garage et post-rock. Les nuits se succèdent et ne se ressemblent pas. Reste cependant en fil rouge, l’envoûtement qui se propage d’un titre à l’autre et la constance d’un rock bâti sur une solide section rythmique et des nappes de guitares en bourdons acidulés. Délicieuse expérience enrichie d’une production cristalline permettant d’apprécier au mieux chaque chanson.
Je vous propose un crochet salutaire par le Hard Rock intemporel de DOLLOSTER. Farouches défendeurs de notre Terre, le quatuor bordelais recycle le meilleur du hard planétaire sur son second album New Tomorrow. Passant d’un rock au groove américain, à un blues bien gras australien, d’un refrain hyper accrocheur à un riff d’acier, le groupe forge sa propre voie, trouve son style et l’affine. Excellent chanteur, guitariste brillant et section rythmique millimétrée : l’équipe tient carrément la route. Une heure de hard encadrée par deux titres énormes : New Tomorrow et Ride The Tide. J’en redemande!
Premier album pour LEVITH, mais quel album ! Around The Impulse nous déroule un post-thrash que je pourrais grossièrement situer entre Pantera et Mesuggah, autant dire que c’est du lourd. Le groupe joue avec une liberté totale des structures. L’équilibre entre l’excitation d’une architecture foisonnante et l’efficacité d’une construction plus lisible est parfois difficile à trouver. Cependant, même si sauter d’une impulsion à l’autre peut donner le tournis, j’ai réellement trouvé l’expérience grisante. L’album nécessite quelques écoutes pour être apprivoisé mais une fois maîtrisé, le plaisir est assuré.
2H40 de musique, entre 50 et 60 invités, un orchestre philharmonique, Far From Home est un projet titanesque mené par MAX ENIX. Le style est une mosaïque d’ambiances qui agissent comme autant de pixels sur un écran plasma. Si je me risquais à une définition un peu plus précise, je dirais qu’il s’agit d’une épopée symphonique écrite dans un registre de metal progressif aux modalités oscillant entre musique classique et modern metal. Et, si j’osais une comparaison, je dirais avoir affaire à une sorte d’Avantasia dans laquelle la composante hard & heavy a été remplacée par un metal résolument plus contemporain.
Les 9 titres de Quasar Of Love défilent sans le moindre blanc et la musique passe avec souplesse d’un riff rock, à un couplet soul, d’un refrain pop à un pont prog, le tout habillé d’une production de haut niveau. Les références fleurissent comme si chaque titre, chaque passage était extrait d’un standard que vous avez toujours connu. Rebel, romantique ou psychédélique, ce petit bijou aux multiples facettes taillé par PERFECTO étincelle comme un hommage au rock des années 60 à nos jours. Pour tout amateur de rock robuste et de mélodies mémorables, ce concept album se consomme comme une friandise.
Grâce à THE WEALTHY HOBOS, les amoureux de heavy blues bien brut vont se gaver les oreilles ! En effet, Ticking Twelve va plonger ses racines de chaque côté de l’Atlantique, siphonnant le meilleur des deux continents : les rythmiques endiablées et la créativité de Led Zeppelin, l’efficacité bourrue et poussiéreuse de ZZ-Top. C’est évidemment une image car THE WEALTHY HOBOS sonne avant tout comme lui-même, frais, convivial et libre comme l’air – se payant le luxe d’inviter au banquet des ponts soul, funk ou rythm’n’blues et d’ajouter au menu des sonorités inhabituelles. Cet album est un véritable festin !
Le printemps 2023 signait le retour de la machine à t’essorer les neurones à coups de psych’indus’metal, j’ai nommé les vétérans de TREPONEM PAL, plus en forme que jamais. Le rythme et la musique, mec ! Les rythmes sont là, tantôt indus’, tantôt metal, toujours puissants. Quant à la musique, elle prend sur Screamers des saveurs et des nuances que seule l’expérience peut apporter. Si tu connais le groupe, tu peux acheter les yeux fermés et si tu ne connais pas, je te conseille de faire comme si tu connaissais.
Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui j’ai décidé d’observer la scène française avec un large spectre que je vais en oublier mon genre préféré : le Doom ! Et 2023 nous a déjà fourni une perle noire, Trove Of Oddities at the Devil’s Driveway par WITCHTHROAT SERPENT. Les sculpteurs d’ondes occultes nous font ici l’honneur d’un skeud qui n’est pas à glisser dans toutes les oreilles tant il incarne un stoner/doom extrême – extrême dans la pesanteur de la rythmique, dans l’occulte noirceur des ambiances, dans l’utilisation des bourdons sonores et du fuzz. Kiff total !
Comme le hasard fait une nouvelle fois bien les choses, cette liste s’achève par L’Orchaostre de WUW – probablement le plus improbable album de ce premier semestre. Improbable par la multiplicité des styles qu’il convoque : Doom, Black, Progressive, Drone, Ambient, Post-rock, Post-metal, Classique, etc. Improbable car tout est fait pour libérer l’imagination de l’auditeur, depuis la couverture géométrique et l’absence de paroles, jusqu’aux mouvements sobrement numérotés d’Orchaostre 1 à Orchaostre 5, alors que le terme « orchaostre » lui-même ne renvoie à rien d’autre qu’à un « orchestre » avec en son centre le « chaos », concept ouvert s’il en est. Expérience incontournable !