Malgré la croissance bouillonnante du genre tant en popularité qu’en variété, il persiste encore et toujours une espèce d’adage selon lequel le Black Metal serait fini, qu’il serait réduit à une plaisanterie. Ironiquement ce « courant de pensée » existe depuis peu ou prou milieu des années 90 et a été ridiculisé à répétition par une bonne partie des géants du Black Metal. Mais admettons ; on peut malgré tout se demander s’il existe, en 2022, des groupes capables de porter le flambeau du Black Metal dans son dépouillement originel ? De le faire de façon intéressante sans céder aux sirènes « modernes » de l’abâtardisation avec d’autres genres musicaux, des compositions de type « Post-quelquechose » ou, pire que tout, une production propre et moderne ?
La réponse est oui. Il y en a même beaucoup à vrai dire, et il n’est pas nécessaire d’avoir une vision conservatrice du Black Metal pour apprécier ces groupes pour ce qu’ils sont : sans doute un peu d’hommage, du raffinement des codes du genre, ou tout simplement une expression musicale brute et sans filtre. En voici sept parmi beaucoup d’autres.
Lycopolis – Amduat I & II
Black Metal – Egypte
Malgré les obstacles évidents, le Black Metal continue son essor jusque dans des pays appliquant une stricte censure puritaine. Lycopolis nous viennent d’Égypte, et ils ne sont pas là pour rigoler.
Bien qu’il soit très cliché de dire que Lycopolis apportent une touche “orientale” dans leurs riffs et leurs leads de guitare, c’est non seulement indéniable mais cela ne les empêche pas de livrer un Black Metal cru et dépouillé du début à la fin. Dans leur album en deux parties “Amduat”, ils nous offrent un son sec, saturé et abrasif comme une tempête de sable qui te rabote le visage, dans une vibe “à l’ancienne” ; les riffs, la batterie, les rythmes sentent le vieux Venom et Darktrhone, et le chant est écorché au possible.
Nous voilà devant un Black Metal immersif, entier et authentique : un voyage au sein des ruines de la Cité des Loups, engloutie sous la poussière et les dunes.
Lunae Aurae – Demo I
Darkwave / Black Metal – Ecuador
Comme toujours, l’Amérique du Sud porte le flambeau du Kvlt haut et fort. Ce tout nouveau groupe coche toutes les cases : un son décharné, une esthétique vampirique avec pochette saturée à l’avenant, pas d’album mais une démo, des cris de chouette et des mélodies inquiétantes.
Mais Lunae Aurae a un truc en plus ; c’est cette prépondérance de claviers dans cette démo moitié Black Metal, moitié Darkwave élégante. Les mélodies ont un goût de reviens-y, non seulement pour les introductions et transitions au clavier mais aussi sur les deux chansons “longues”, tout particulièrement la très prononçable Ls Brjs Cntn Ngrs Hchzs : une valse décadente de Black Metal sur laquelle danser, de préférence en compagnie du démon que vous aurez invoqué pour l’occasion.
Faceless Entity – The Great Anguish of Rapture
Funeral Black Metal – Pays-Bas
Inutile de rappeler que les Pays-Bas ont l’une des scènes Black Metal les plus intéressantes et florissantes de cette dernière décennie. Et entre les grands noms comme Laster ou Fluisteraars, Faceless Entity ont emprunté un chemin plus obscur : celui qui mène à regarder la Mort en face, et à se perdre dans la plus fondamentale angoisse de l’existence humaine.
Et ils nous pavent le chemin avec une formule sans aucun compromis : un Black Metal lent, vicieux, ritualistique, suintant la peur. Le son est abrasif à souhait – quoique moins dégueu que leurs précédents opus – mais n’enlève rien à l’efficacité des compositions : chaque chanson retient un ou deux riffs-signature, litaniques, qui resteront gravé dans l’esprit de l’auditeur.
L’Entité sans visage est une puissance hypnotique, à la fois fascinante et repoussante ; joignez-vous à elle pour communier dans le deuil des morts et des vivants.
Shapeless – He Who Whispers across all Dimensions
Occult Black Metal – Australie
Pour celles et ceux qui cherchent le frisson, Shapeless sera invoqué depuis les profondeurs du cosmos, pour vous emmener vers le Néant. Leur dernier opus datant de 2021 est un voyage ésotérique d’une vingtaine de minutes, serpentant entre des claviers tortueux et des nappes de riffs atmosphériques et de cris terrifiants, quelque part entre Darkspace et Blut Aus Nord.
Shapeless procèdent d’une certaine sophistication dans le Black Metal ; bien que l’atmosphère et la production restent mystérieuses et embrumées, les compositions sont convoluées et construites avec soin au service d’une angoisse métaphysique. Jugez plutôt de leurs mots :
Toute forme de conscience, d’ordre, d’organisation, et toute tentative de déjouer la destruction physique et psychique, sont absurdes et sans fondement. Capitulez.
Auriferous Flame – The Great Mist Within
Black Metal – Grèce
Il circule en ville une rumeur : Ayloss, l’entité derrière Spectral Lore, l’un des projets phare de la scène RABM, ne serait pas un simple humain mais en réalité un collectif de créatures humanoïdes fonctionnant avec un esprit de ruche. Selon nos sources, c’est en tout cas l’hypothèse la plus plausible pour expliquer les sorties nombreuses, parallèles et toutes excellentes qui lui (leur ?) sont attribuées.
Pas si longtemps après le dernier album de Spectral Lore, suivi d’un nouveau Mystras, puis du spin-off de Heavy Metal épique Clarent Blade, et littéralement à la suite de Fortress of the Pearl, Ayloss nous sert Auriferous Flame, un projet censé rendre hommage au Black Metal à l’ancienne. Si Auriferous Flame a bien otutes les qualités d’un excellent Black Metal atmosphérique des années 90, il est nimbé du brouillard mystique, du riffing si particulier et tortueux du monsieur. L’une des sorties Black Metal les plus entraînantes de cette fin d’année, relevée d’une identité sonore unique.
Wraithlord – A Dance in the Ghostlight
Black Metal – USA
Ce qu’il y a de super avec la scène USBM, au-delà de sa grande variété musicale et artistique, c’est son contingent d’artistes solo capables de prendre n’importe quels aspects du Heavy Metal ou du Rock qui leur chantent, et de les intégrer à leur propre recette à la fois rafraîchissante et fidèle au Black Metal, le tout avec en général une productivité impressionante.
A ce stade, tout le monde connaît Lamp of Murmuur, mais il y en a quelques autres comme Mäleficientt, ou encore Wraithlord à qui l’on doit déjà trois albums originaux et un album de reprises rien que cette année. Il se passe beaucoup de choses dans sa musique : du Heavy old school, du Post-Punk et du Death Rock, et même des touches de Surf Rock. Mais ne vous y trompez pas, Wraithlord demeure Black Metal en toutes circonstances : furieux, épique, glacial et sans pitié. Et super fendard également.
Gusforladt – Friendship, Love and War
Raw, Epic Black Metal – USA
Bon, soyons honnêtes, le Black Metal c’est tout le temps pareil. Une bande de types qui braillent avec une voix de fausset enroué, des riffs en trémolo chouinants, un son tout pourri, etc etc [insérer meme peu inspiré sur le Black Metal ici].
Alors, pourquoi ça marche toujours autant ? Pourquoi on passe encore et toujours notre temps, en 2022, à guetter ce qui sort des caves des mamans du monde entier ? Parce que peu importe le nombre incalculable de copies, d’emprunts et d’hommages que se font tous ces artistes les uns aux autres, peu importe le fait que tout groupe de Black Metal soit depuis longtemps condamné à marcher sur les épaules des titans ; il y aura toujours quelqu’un, quelque part, qui te sortira un nouveau mélange de ces quelques éléments typiques pour emmener tes tripes et ton âme pour quelques dizaines de minutes de pure transe.
En la matière, Gusforladt a tout : les cris, les riffs, les claviers, le son crado, et surtout ce sens des mélodies Heavy Metal empressées et incroyablement épiques… Avec un petit twist cependant ; attendez-voir de tomber sur la chevauchée Morriconesque de Heads Bowed in Silent Prayer. Du Black Metal qui donne envie d’empoigner son épée pour aller pourfendre dragons, orques et autres propriétaires terriens.