Je trouve que les jeudis n’ont aucun intérêt et aucune allure.
En temps de confinement, c’est un jour triste et silencieux, et hors confinement, c’est là que l’on a le plus de chances de subir la vulgarité bruyante des étudiants qui s’inventent une existence sociale, entretenant le lustre graisseux de leur peau ingrate à grandes rasades de bière insipide et de Marie Brizard bon marché.
Alors pour ce #JeuDivision, intéressons-nous au contraste frappant que Ian Curtis incarne.
L’image que l’on a de Ian Curtis est globalement l’antithèse totale du jeune étudiant sociable et insouciant, à cause de ce qu’il a laissé à travers Joy Division et de son suicide. On le voit comme l’archétype parfait de l’artiste maudit.
Pourtant d’après ses proches, c’était en privé un jeune homme avenant, sympathique, plein d’humour et toujours d’une politesse désarmante. Il était déjà marié et père de famille à même pas vingt-cinq ans, il n’avait donc pas tout le loisir à sortir et s’enjailler autant que ses compères. A quelqu’un qui l’aurait rencontré en ignorant totalement l’existence de Joy Division, Ian aurait paru un garçon discret, sérieux mais sociable, sans histoire.
Et pourtant regardez-moi cet espèce d’alien sur scène. Ses yeux clairs complètement hagards, ce regard tendre et perdu et le corps pris de tremblements dans cette immonde chemise satinée, comme s’il mourait de trac – et c’était probablement le cas. Un gamin. Raide comme une saillie, blanc comme un cierge de Pâques, et puis qui balbutie :
Confusion in her eyes that says it all.
She’s lost control.
And she’s clinging to the nearest passer by,
She’s lost control.
Et c’est parti pour les gesticulations. Entre Hooky et Barney qui sont plus statiques que des automates en fin de vie, la célèbre danse de Ian Curtis fait sensation et dégage une ambiance bizarre, décalée. Sans aucun rapport avec le rythme de la musique et pourtant fusionnel avec celle-ci. D’après les chroniqueurs qui ont pu le voir en vrai, cette performance était totalement hypnotisante. Il etait clair pour à peu près tout le monde que dans le Joy Division qui commençait à faire parler de lui, Ian Curtis était le leader, et la Star. Parce que hors scène c’était un type calme et plein d’esprit, et sur scène il se métamorphosait et subjuguait son auditoire de sa pure aura. Aura qui n’avait rien à voir avec son épilepsie chronique, qui a commencé à se développer après les premiers succès du groupe.
Cette chanson parle d’épilepsie, justement. D’une jeune femme souffrant d’épilepsie chronique dont Ian se serait occupé lors de son travail dans les services médico-sociaux anglais. Il est par la suite devenu particulièrement bien placé pour mettre des mots sur ce qu’elle a pu ressentir.
But she expressed herself in many different ways,
Until she lost control again.
And walked upon the edge of no escape,
And laughed I’ve lost control.
She’s lost control again.
She’s lost control.
She’s lost control again.
She’s lost control.
Curtis était sensible et intelligent. Ouvert en façade et très secret, à la fois avenant et souffrant, il mettait bien plus de lui dans ses paroles que ce qu’il avouait à voix haute.