10 août 1993, Varg Vikernes assassine Euronymous à son domicile, puis est arrêté, jugé et emprisonné pour meurtre avec préméditation, enfonçant un dernier clou dans le cercueil de cette période dite « KVLT » par les rustres et les malpolis, où une bande de petits cons et beaucoup d’hystérie collective ont pu faire frissonner la ménagère. Mais cette clique de petits cons avait eu le temps d’apporter des innovations musicales majeures et de changer la face du Metal à tout jamais, pour le pire et surtout le meilleur.
Dans cette lamentable conclusion, Snorre joue le rôle de figurant malchanceux, car il a servi de chauffeur à Vikernes. Il prendra 8 ans ferme pour complicité de meurtre.
Durant sa captivité le garçon tape la discute avec un co-détenu : Samoth, guitariste de Emperor, qui a pris deux ans pour incendie d’église – soit le minimum syndical pour avoir une street cred dans le Black Metal de l’époque. Ils discutent de sortir du matériel de Thorns à travers Emperor, sans vraiment déterminer le quoi du comment. Une idée sur un coin de table, tout au plus… Jusqu’à ce qu’entre en scène le nouveau Parrain.
Sigurd Wongraven, dit Satyr, est l’un de ces « pairs du Royaume » Black Metal ; il est non seulement le leader de Satyricon et un compositeur de talent mais aussi le gérant du label Moonfog, avec lequel il fait vivre la scène Norvégienne, notamment à travers la période compliquée post-meurtre d’Euronymous. C’est en bonne partie grâce à lui si des grandes figures du genre n’ont pas sombré dans l’oubli entre 1994 et les années 2000.
Réellement intéressé, voire fasciné par les démos de Thorns comme nombre de ses camarades, Satyr est allé chercher Snorre au fond de sa geôle pour lui dire peu ou prou « Sois pas con, gâche pas ton talent à rien foutre » (Citation non contractuelle). Et, tel le Diable en costard Armani qui sait se montrer persuasif par l’art de la parole, il l’a convaincu de remettre Thorns sur pied pour travailler à plusieurs projets.
C’est donc sous son impulsion que le mythique split entre Thorns et Emperor a vu le jour.
Imaginez un peu.
Deux noms parmi les plus grands et les plus innovateurs de l’Inner Circle imprimés sur la même galette. Autant dire que cela a fait grand bruit au sein des apparatchiks, et cela a permis à un public légèrement plus jeune de découvrir Thorns, alors qu’Emperor sont au sommet de leur gloire après la sortie de Anthems to the Welkin at Dusk.
Bien que les deux formations aient un batteur en commun et beaucoup d’affinités, il s’agit là en théorie de la rencontre de deux esthétiques opposées : Emperor est lyrique et grandiloquent, Thorns est froid et industriel.
Le résultat ?
Eh bien, c’est en réalité le premier album officieux de Thorns. Le matériel venant de Emperor se résume à une intro, une piste de remix électro/Indus et une composition réarrangée de Thus Spake The Nightspirit, ainsi qu’une reprise de Cosmic Keys To My Creations And Times par la bande à Snorre, alors composée du Maestro lui-même, de Satyr au chant, et d’un co-détenu surnommé SA Titan aux claviers.
L’apport de Emperor au son de ce split est indéniable mais subtil ; les arrangements au clavier sonnent Black Symphonique, que ce soit sur les quelques morceaux exécutés par Emperor que sur les morceaux de Snorre. Mais l’ambiance générale est tournée vers la direction martiale et industrielle de Thorns. L’essentiel des riffs et des compositions sont des versions finalisées, sublimées des démos, hormis The Discipline of Earth qui est la seule chanson entièrement originale de Thorns ici.
Cette osmose dominée par l’influence de Snorre est frappante sur le diptyque de Aerie Descent. Sans doute l’air le plus iconique de Thorns, ce morceau qui a entraîné le Black Metal derrière lui est repris en deux parties, d’abord par Thorns puis par Emperor. La version d’Emperor porte clairement leur patte ; elle suit la composition originale d’assez près jusqu’à un pont épique et presque Heavy Metal comme Emperor sait en faire, avant de revenir sur cet air hypnotique, cette descente en spirale de trémolo de guitare, cet air qui a subjugué Ihsahn, sa bande et tous les autres.
La version de Thorns est tout simplement un chef-d’oeuvre. Un morceau-fleuve de Black Metal martial aux batteries programmées, mais sinueux, vicieux et inquiétant. Snorre étend les arrangements et les motifs à partir de ce riff mythique, varie sur des passages, se permet des pauses et des reprises. Bref un morceau progressif mais focalisé, au service d’une ambiance froide et calmement menaçante, démontrant une fois de plus qu’il est le maître du Black Metal. Impossible d’écouter cette chanson sans se laisser emporter par la transe malsaine qu’il dégage.
Ce split qui, vous l’aurez compris, est en fait un album de Thorns propulsé par l’aura de Emperor, est un must à écouter absolument pour quiconque s’intéresse au Black Metal. Il indique déjà la vague inarrêtable du Black Metal aux obédiences industrielles qui va positionner les productions Moonfog comme les plus importantes dans le Black Metal au tournant des années 2000.
L’exemple le plus frappant de cette influence n’est autre que l’album charnière de Satyricon, celui qui a fait passer le Black Metal dans une autre dimension auprès du large public.
Rapide, surprenant, sans relâche ; sur cet album Satyr montre tout son talent de composition qui met l’auditeur à l’épreuve avec des cassures, des changements de rythme et des signatures bizarres, mêlé à certains airs très « catchy » comme HAVOC VULTURE et son orgue Hammond.
Cet album est riche en collaborations prestigieuses, et on y retrouve l’ami Snorre qui performe à la guitare sur Filthgrinder, A Scorn Torrent, A Moment Of Clarity et Havoc Vulture.
Si le public à l’époque y a énormément vu des influences industrielles, Satyr a toujours tempéré ça en disant que c’était un ajout parmi d’autres, sans être déterminant. À bien y prêter l’oreille, ce qui ressort de Rebel Extravaganza, c’est bien une saveur industrielle mais surtout ces riffs sinueux et circonvolutifs, la couleur froide et vicieuse, l’exécution rapide et chirurgicale, tous caractéristiques du jeu … De Snorre.