Artiste : Sordide
Origine : Rouen, France
Date de sortie : 2021
Genre : Black Metal
C’est terrible ce qui se passe en ce moment n’est-ce pas ? Cette épidémie qui n’en finit pas… Et la crise économique qui va avec ! Quand on pense au travail que vont devoir fournir les entreprises pour rattraper tout ça…
Et comme si ça ne suffisait pas il y a tous ces incendies suspects ! Vous avez entendu ? C’est terrible, cet immeuble de banlieue, avec tous ces gens… Vraiment, nous vivons une drôle d’époque !
Méprisé
Le dos voûté, l’échine courbée
Les yeux baissés
De la mémoire cherchant le reflet
Sordide sont un trio de Rouennais donnant dans le Black Metal à tendance fortement punk. Les trois larrons sont des vétérans de la scène, ayant joué dans Malemort et Ataraxie, et mènent la barque du collectif La Harelle regroupant nombre de projets qualitatifs comme Mòr, Iffernet ou Void Paradigm. Leur expérience s’est sentie dès leur premier album, La France A Peur sorti en 2014. Leur Black Metal est direct et abrasif, allant de déferlante Punk en Sludge crasseux.
S’ils sont très souvent associés à la mouvance RABM (Red & Anarchist Black Metal), ce qu’ils ne renient pas, ils ne prétendent néanmoins pas faire de la musique directement militante ni être des porte-étendards. En anarchistes, ils n’ont Ni Nom, Ni Drapeau.
Je n’ai nul pays
Je n’ai nulle patrie
Mais j’embrasse l’espoir
D’un Noir Pouvoir
Vous savez c’est quoi le problème dans ce pays ? Le manque de responsabilité. Les gens veulent tout cuit dans le bec, comme s’il y avait de l’argent magique. Moi mes grands-parents étaient ouvriers. J’ai demandé d’allocs à personne pour mes études, je n’ai même pas touché de bourse à cause des revenus de mes parents. Et je m’en suis bien sorti parce que j’ai étudié dur. J’ai pas volé ni hérité mes diplômes, moi.
Alors oui j’ai un bon salaire, mais vous croyez que je compte mes heures ? Quand je vois tout le mal que j’ai à trouver des prestataires consciencieux ne serait-ce que pour le ménage…. Quand on a un boulot à faire on le fait jusqu’au bout, plutôt que de cramer l’argent des autres.
Contempler le Silence
De nos mains fatiguées
Brûlantes
Des feux mourants
Des aubes mutilées
Le son de Sordide a pas mal évolué ; en contraste avec la prod dissonante et crasseuse de La France A Peur, Les Idées Blanches présente une texture plus « chaude », un son de guitare plus rond et plus épais. Les membres du groupe ont voulu, au fil de leurs albums avoir des réglages plus épurés. Le résultat : des riffs directs comme des gnons dans la poire et mémorables dès la première écoute, et une ampleur sonore qui peut apprivoiser les allergiques au Black Metal. Que ce soit sur une chanson mid-tempo aux relents de Sludge comme Ne Savoir Que Rester, ou sur une furieuse charge punk comme Ruines Futures.
Flèches tendues vers les cieux
Ruines Futures
Démocratie : des mots crasseux
Ruines Futures
Bon, cette pandémie aura au moins eu l’avantage de calmer tout ce cirque de Gilets Jaunes. Non parce que ça commençait à bien faire à bloquer systématiquement Champs-Elysées Clémenceau, et emmerder ceux qui bossent.
Alors j’ai rien contre ces gens hein, moi je ne fais pas de politique. Simplement c’est pas par la violence qu’on obtient quoi que ce soit. Il s’agit d’être un peu raisonnable et objectif, plutôt que de se plaindre d’une soi-disant « dictature », de casser des vitrines et de mettre le feu aux poubelles. Ça dégénère toujours, comme la fois où les locaux de la BNP ont été incendiés, rappelez-vous.
Remarquez moi ça me va bien hein, je bosse chez la concurrence [rires]
Je plaisante, bien sûr.
Soumettre et dominer
Et tout bien préserver
Derrière l’épaisseur des murs
Des Ruines Futures
Si les paroles chez Sordide sont une composante importante, elles ne sont pas au centre du processus créatif. Nehluj, guitariste et principal compositeur, confie en interview pour Radio Metal que les compositions viennent toujours en premier. Ce n’est que lorsqu’un morceau est « mature » que les paroles sont écrites pour. Et quelles paroles ! Très marquées bien sûr, mais aussi somptueusement bien écrites, imagées et littéraires. Teintées d’anarchisme (Le « Noir Pouvoir » du titre d’ouverture étant une référence au drapeau noir de l’anarchisme), empreintes des combats et des rages impuissantes de ceux qui n’ont d’autre perspective que de rester ici à subir toujours plus de ce qui vient d' »en haut ». Ce qui est décidé pour eux par les « gens de bien ».
Toujours crier l’absence
De nos voix asséchées
Grinçantes
Et lentement
Les voir se déchirer
Les aphorismes éructés
Toujours affirment
L’aveu infirme : ne savoir que rester
« Dictature »… Non mais franchement. S’ils ne sont pas contents, qu’ils aillent donc en Corée du Nord pour voir, tiens ! À ce que je sache on est encore dans un pays où on peut dire ce qu’on veut. Parfois trop, même ; quand on voit sur Internet, tous ceux qui ne connaissent rien mais ont un avis sur tout… Et dire que mon droit de vote vaut autant que celui du premier justicier en carton de la Toile qui se présente ! Au bout d’un moment le droit de vote ça se mérite ; faudrait peut-être exiger un minimum d’instruction pour l’exercer. Sans ça, un jour on se retrouvera avec des extrêmes au pouvoir, droite ou gauche, pour moi c’est tout pareil.
Les gens savent pas ce qu’ils font, ils vont finir par mettre le feu aux urnes. Métaphoriquement parlant, évidemment.
Entendez-vous dans leurs paroles
Mugir les féroces charognes ?
Qui viennent jusque dans vos lits
Bâtir vos rêves et vos angoisses
Sur cet album, le trio s’est donné une contrainte de composition : limiter au maximum le recours au Blast Beat (source : interview de Sordide dans le New Noise été 2021). Cela démontre une réelle volonté de progresser dans leur style et une compréhension aïgue de ce qui est essentiel ou non. Les Idées Blanches n’est pas exempt de Blasts, loin s’en faut, mais il ne se repose pas dessus comme un gimmick indéboulonnable.
Alors, comment qu’on fait du bon Black Metal en limitant le Blast ?
En utilisant des grooves, des rythmes tribaux comme sur l’ouverture de Vers Jamais, ou un d-beat superbement augmenté d’attaques de timbales comme sur Le Silence ou la Vie, chanson emblématique du son de Sordide à mon humble avis ; furieusement punk dans l’approche et la section rythmique, avec des déferlantes de riffs à la fois Black Metal et Rock’n’Roll as Fvck, ponctuée par un break jouissif qui mène sur un Blast Beat des familles, puis une troisième section qui repart en punkeries pour l’assaut final.
Cette chanson met également bien en lumière une caractéristique du groupe, peu commune : Les trois membres sont tous chanteurs, avec chacun leur timbre mais tous aussi hargneux.
Royauté anémique
Gardien des pigments endémiques
Convoque le distillat souillé
De ton intelligence trépanée
Et encore, quand je dis qu’on dit ce qu’on veut… Ça dépend pour qui ! Maintenant avec ces associations post-modernistes, soi-disant « antiracistes » c’est le règne de la nouvelle censure. Bientôt il faudra parler en écriture inclusive et s’excuser d’être blanc en permanence sous peine d’être envoyé au goulag. Heureusement que les Écoles sérieuses sont pas noyautées par ce genre de trucs, parce que ce qui se passe dans nos Universités fait peur.
Érudition autocrate
Autosatisfaction béate
Fouille dans les batailles du passé
Exhume la fierté périmée
Peut-on dire que Sordide produit une musique « engagée » ? Oui et Non.
Non, parce qu’eux-mêmes ne le revendiquent pas comme tel. Et « Oui » car même si ce n’est pas quelque chose de prémédité ou de concerté, ils mettent beaucoup de leur vision du monde clairement anarchiste et antifasciste dans leurs paroles et, je pense, dans leur approche même de la composition. Si les paroles éveillent en votre humble serviteur des velléités que la morale bourgeoise réprouve, ce n’est pas le plus important. Que l’on se sente plus ou moins – ou pas du tout – proche des sensibilités du groupe, l’effet produit est intéressant.
Intéressant dans une scène Black Metal en pleine mutation mais par endroits vérolée par des idéologies « un peu tendues », et surtout dominée par une très large apathie peu regardante sur les quelques nazillons qui font leur nid douillet des poncifs tels que « on parle pas politique » ou encore « seule la musique compte ». C’est simple, Sordide ne cadre pas avec la cible habituelle des réactionnaires du genre.
Musicalement, le résultat est assez irréprochable : c’est Black Metal, c’est Punk, c’est franc du collier, bien construit et mémorable. L’un des tout meilleurs albums de Metal de cette année. Difficile donc de leur reprocher de cacher une musique médiocre derrière des paroles « de gauche à la mode ».
Et idéologiquement, Sordide ne sont pas des apparatchiks et ne souhaitent pas l’être ; ce ne sont pas un Dawn Ray’d ou un Feminazgûl. Mais pourtant, si l’on devait demain choisir un camp, il ne fait mystère pour personne de quel côté ils se rangeraient. Et c’est cela le plus intéressant : sans forcer, sans parler outrageusement de politique ni subordonner leur musique à cela, ils ne se confisent pas non plus dans un veule mutisme. Ils ne détournent pas le regard, ne s’en lavent pas les mains. Ils laissent comprendre clairement qui ils sont, derrière leur musique.
Sordide représentent – sans doute sans le vouloir – une troisième voie dans ces approches politiques de la scène Black Metal : reconnaître simplement que tout cela fait partie de nos vies et ne s’arrête pas à la frontière du studio ou de la salle de concert. Bien entendu aucun artiste ne doit se voir obligé de « politiser » sa musique directement ou indirectement, mais artistes ou simples spectateurs, nous sommes tous humains avec des convictions. L’assumer, savoir ry réfléchir, se positionner individuellement et en discuter ferait du bien à cette scène, plutôt que de chercher à éluder cet éléphant dans la pièce par flemme intellectuelle. Parce que les nazillons, les vrais, ne s’arrêtent pas non plus à l’entrée de la salle – ils montent même parfois sur scène. Et eux, ils ont réfléchi à leur rhétorique.
De tes ancêtres blancs comme neige
Et rejoins, bêlant, le cortège
Dans ta tanière, tu te retranches
Pour ruminer tes Idées Blanches
Non mais franchement, interdire des réunions aux blancs ; c’est qui les vrais fachos en fait ? Face à ça je peux comprendre que les Français qui se disent patriotes sur-réagissent, c’est humain. Ces nouvelles idéologies ça rappelle les heures les plus sombres de notre histoire. Ces gens-là veulent tout contrôler, ils veulent mettre le feu au tissu social et à notre mode de vie.
En parlant de feu c’est pas tout ça mais je vais m’en griller une, moi.
[Fouille dans ses poches. Puis sa veste. Rien]
Dites, vous n’auriez pas… Une allumette, par hasard ?