S’il est bien une corde que la musique populaire sous toutes ses formes ne finira jamais de faire vibrer à travers les âges, c’est la mélancolie. Ou comme dirait ce cher ami Dino, le Spleen.
Le Blues.
J’étais dans une passe où je pensais ne plus pouvoir trouver un feeling nouveau et différent dans le Blues que, dans ma vanité d’alors, je croyais avoir circonscrit. C’était évidemment une grossière erreur à bien des égards, mais ce soir-là il m’a suffi d’un hasard, d’un contre-exemple pour éclater la ridicule petite palissade que j’avais fièrement plantée dans mon esprit, le périmètre étriqué que je considérais être “le Blues”.
Il m’a suffi d’entendre, au détour d’un algorithme, la musique de Opal.
Un riff lascif, vite accompagné d’un groove nonchalant… Une sensualité qui ferait rougir Muddy Waters, mais avec une section rythmique bien plus affirmée, une ambiance d’ivresse et des modulations à la guitare que ne renieraient pas Syd Barrett ou David Gilmour.
Opal vient de sortir son premier album. Nous sommes en 1987, en plein dans l’ère du Heavy Metal de masse, de la New Wave et à l’éclosion toute proche de la “MTV Generation” : l’âge d’or du psychédélisme, du blues et de l’underground semble alors bien loin. Mais c’est sans compter sur cette scène de niche qui fait de Los Angeles son creuset depuis le début des années 80 : le Paisley Underground. Sous cette appellation se regroupe tout un bouillonnement d’artistes influencés par le rock psychédélique des 60s-70s, le rock garage et le punk. Un formidable ensemble très hétéroclite aux obédiences aussi variées que le Velvet Underground, les Doors, Creedence Clearwater Revival, Crazy Horse, les Bee Gees, Buffalo Springfield, les Clash, Neil Young et j’en passe.
Parmi les nombreux groupes à avoir marqué ce mouvement, Opal fut ma première découverte et reste encore aujourd’hui mon entité préférée. Et s’il n’existe officiellement que deux EPs et un seul album d’Opal, nous allons voir que la réalité est plus complexe.
Opal est le projet du guitariste et chanteur David Roback, associé à la bassiste et chanteuse Kendra Smith, et au batteur Keith Mitchell, et leur album Happy Nightmare Baby est l’un des grands chefs-d’oeuvres oubliés du rock. David Roback est alors déjà un guitariste expérimenté avec une identité sonore affirmée, infusant des riffs saturés aux rythmiques orientalisantes, un jeu de guitare entremêlé de nombreuses envolées étirées à la wah-wah, qui se marient à merveille à la voix tranquille, presque nonchalante de Kendra Smith.
David Roback est un punk amoureux de psychédélisme, et il se réapproprie toutes ses influences pour créer cette espèce d’hybride hors de la réalité et hors de son temps, en décalage complet. Avec une batterie qui va de rythmes folk aux shuffles entêtants, mais avec un son énergique et percutant venu du garage et du punk, Happy Nightmare Baby est d’une efficacité irrésistible.
Si le premier titre Rocket Machine n’aura pas manqué de vous envoûter comme il m’a envoûté, l’album a ce dosage parfait d’efficacité et de variété pour vous retenir sans effort ; le blues entraînant et très folk de Relevation, la litanie presque sexuelle de Supernova, la ritournelle opiacée de Siamese Trap et jusqu’au final Soul Giver qui n’aurait pas démérité au mythique Concert for Bangladesh entre George Harrison et Ravi Shankar… Tout est parfait, tout simplement.
Si Opal est resté assez confidentiel auprès du grand public tout comme la plupart du Paisley Underground, le mouvement a eu une invisible mais grande influence sur la musique rock et pop actuelle. Mais nous aurons le temps d’en reparler. Pour l’heure, nous sommes toujours en 1987 et lors d’une tournée avec les britanniques de The Jesus and Mary Chain, les fortes personnalités de Smith et Roback s’accrochent une fois de trop ; Kendra Smith quitte le groupe. Elle sera remplacée par une autre chanteuse qui crééra une nouvelle alchimie musicale avec Roback, et donnera un nouveau nom au groupe…