II. 3. Kate Bush – The Kick Inside

Acte II: Post-prog, art rock

Album 3 : The Kick Inside

Artiste : Kate Bush

Origine : Angleterre

La coupure estivale s’achève, on reprend donc la série là où on l’avait laissé le 1er juillet dernier, à l’album 3 de l’acte II consacré aux nouvelles formes d’art rock et de rock prog émergeant autour de 1978 et tendant plus vers les années 80. Et dans ce registre, impossible de ne pas parler de l’une des figures les plus marquantes de cette période charnière, la grande Kate Bush! Là encore, si on l’associe souvent plus à la décennie 80, c’est bien dans les années 70 que son ascension prend sa source, et même bien avant 1978!

Née dans une famille d’artistes plutôt amateurs de musique folk (en particulier irlandaise), Kate Bush baigne donc très tôt dans la musique et compose ses premières chansons dès l’age de 11 ans, seulement accompagnée de son piano. Son talent déjà bien prononcé ne passe évidemment pas inaperçu dans son entourage proche, et l’un de ses amis l’incite même à envoyer ses démos à des maisons de disque en 1972, sans succès. Loin d’être découragée par ces portes fermées, elle continue d’écrire et de jouer, jusqu’à attirer l’attention de ni plus ni moins que… David Gilmour, alerté des prometteuses démos de la chanteuse via une chaine d’amis communs. Impressionné, le guitariste de Pink Floyd soumet ensuite ces démos au label EMI, conquis à son tour. On est alors en 1975 et Kate Bush, alors à peine agée de 17 ans, signe son premier contrat chez un major et se voir offrir la possibilité d’enregistrer quelques unes de ses compositions dans des conditions plus professionnelles, avant de faire ses débuts sur scène dans les mois qui suivent avec un succès grandissant. Ayant pris le temps d’étoffer son répertoire durant cette période de tournée, elle se lance finalement dans l’enregistrement de son premier album durant l’été 1977, épaulée par des musiciens de studio expérimentés, tandis que la production est confiée à Andrew Powell, bon ami de Gilmour. Batisé The Kick Inside, le disque sort en février 1978, ajoutant aux titres des sessions de 1977 deux autres issus des démos de 1975.

Et en découvrant les 13 compositions de Kate Bush, on comprend immédiatement ce qui a tant épaté David Gilmour! Mêlant son héritage folk et classique à des courants plus contemporains tels le glam rock ou le rock prog, la chanteuse offre un incroyable lot de bijous sublimés par sa voix unique et envoutante! Parmi eux, il y a bien sur Wuthering Heights, classique parmi les classiques, dont les airs de piano rêveurs et le refrain frissonnant de beauté ont traversé les ages sans rien perdre de leur éclat! Car en plus d’être musicalement parfait, ce morceau se démarque d’à peu près tout ce qui existait à son époque, sans sonner ni rétro ni avant-gardiste, simplement unique, intemporel, éternel! Le reste de l’album n’a cependant pas à rougir devant ce monument, dans des registres assez variés qui plus est! Difficile en effet de résister au charme intrigant de perles art pop telles Moving ou Strange Phenomena, dont la richesse des ambiances et des mélodies frise le rock prog malgré leurs durées réduites. Plus enjoués, Kite et Them Heavy People se révèlent particulièrement addictives et montrent que Kate Bush peut aussi faire dans la légèreté sans perdre une seule segonde son originalité. Comme on peut l’attendre, cette dernière se montre particulièrement brillante lorsqu’elle revient au format piano-voix épuré de ses jeunes années, comme l’illustrent les poignants The Man With The Child In His Eyes ou Feel It, la dame est dans son élément et ça s’entend! Ailleurs, James And The Cold Gun se démarque de l’ensemble par son côté plus rock ‘n’ roll et incisif, anticipant en cela l’album Never For Ever sorti 2 ans plus tard, et achevant de démontrer la richesse de la palette sonore de Kate. Quant aux textes, ils sont d’une élégance à l’image de la musique, alternant références littéraires et réflexions plus personnelles avec une aisance déconcertante surtout à un si jeune age!

Fruit d’un travail de composition s’étalant sur quasiment toute la décennie et inspiré de courants musicaux parfois anciens, The Kick Inside est pourtant d’une stupéfiante originalité! Complètement en marge des courants musicaux majeurs de la fin 70, ce disque jette un regard nouveau sur l’art pop des 10 à 15 années qui le précèdent, en plus de contribuer, à l’instar de Patti Smith 3 ans plus tôt, à l’essor de chanteuses maitresses de leur art et non plus simples exécutantes d’un processus créatif 100% masculin. Recherché et complexe dans ses arrangements, ce disque n’en perd pas pourtant son immédiateté et offre un plaisir d’écoute rarement égalé dans l’histoire de la pop!

Si on pouvait craindre qu’un tel ovni ne trouve pas son public malgré sa grandeur, ça n’a heureusement pas été le cas! The Kick Inside reçoit en effet des éloges quasi unanimes de la presse spécialisée, beaucoup soulignant la richesse et la fraicheur aussi bien de ses mélodies que de ses textes. Le succès commercial est également au rendez-vous, en particulier en Europe occidentale, au Japon et en Océanie, les États-Unis restant encore assez peu réceptifs à l’art de Kate Bush. D’abord marginale dans le paysage musical contemporain, l’art pop de Kate Bush aura vite un impact significatif sur les courants musicaux à venir, étant citée comme source d’inspiration par des groupes d’une grande diversité, allant des Cocteau Twins à Erasure en passant par Steven Wilson, Angra, Placebo ou plus récemment Bloc Party ou Coldplay. Et ce n’est qu’un début puisque la suite de sa discografie ne fera que confirmer les promesses de The Kick Inside, qui s’est depuis imposé comme l’un des instants musicaux les plus marquants de la fin de décennie 70!