Artiste : Voivod
Origine : Québec, Canada
Date de sortie : 1991
Genre : hard rock progressif
Note : 9/10
Ah Voivod, l’ovni par excellence! Officiant initialement dans une veine speed metal/punk inspirée entre autres de Judas Priest, Motörhead, Discharge ou Holocaust, le groupe québécois se démarquait cependant déjà par ses ambiances apocaliptiques audibles dès War And Pain en 1984. La suite n’a fait que confirmer la singularité de la bande, incluant au fil des albums de plus en plus d’éléments progressifs et space rock hérités entre autres de leurs voisins ontariens de Rush, ainsi que d’influences post-punk, noise rock ou indus assez peu courantes dans le thrash de l’époque pour forger un son unique et s’imposer comme l’une des entités les plus créatives de la décennie 80, avec à la clé une trilogie Killing Technology-Dimension Hatröss-Nothingface de rêve!
Ainsi, alors que plusieurs formations thrash américaines ou allemandes cherchent un second souffle en 90-91, Voivod poursuit logiquement sa démarche en faisant appel au producteur Terry Brown, connu notamment pour sa longue collaboration avec Rush (de Fly By Night à Signals). Un choix qui pouvait inquiéter les fans de thrash, surtout à cette période charnière, mais par la diversité de ses sonorités et sources d’inspiration, peut-on réellement considérer Voivod comme un groupe de thrash? L’année 1991 est donc consacrée à l’enregistrement de ce sizième album à venir, qui débarque finalement dans les bacs en novembre de la même année. Batisé Angel Rat, ce nouveau disque se voit orné d’une pochette délaissant l’imagerie futuriste pour des tons plus proches de l’estétique de Roger Dean (auteur de plusieurs pochettes d’albums de prog 70s), ce qui semble donner une indication assez nette du contenu.
L’album s’ouvre sur le convaincant Panorama, un hard rock teinté de psikédélisme très ancré dans les années 70 (Blue Öyster Cult n’est pas loin) mais étonnamment en fase avec son époque, probablement un effet de l’influence considérable qu’a eu Voivod sur la scène grunge. La voix de Denis Bélanger poursuit son évolution déjà bien avancée sur le précédent disque, à savoir plus grave et moins criarde qu’au début, tandis que les riffs se font plus directs tout en gardant ce côté ipnotique tipiquement voivodien. D’autres morceaux dans cette veine font également forte impression, à commencer par l’excellent The Prow et ses mélodies aussi complexes qu’accrocheuses, mais aussi Best Regards, The Outcasts ou Nuage Fractal, tous dotés de moments acido-progressifs de grande qualité compensant largement l’absence totale de ritmiques speed-thrash.
Choisi pour être le « tube » de l’album, Clouds In My House est pourtant l’un des titres les plus proches de Nothingface avec sa ritmique plus lourde et ses nombreuses dissonances, sans pour autant se démarquer de l’orientation générale de l’album, une belle réussite à nouveau. De leurs côtés, Twin Dummy et Golem en feront sans doute hurler plusieurs par leurs sonorités « metal alternatif », mais Voivod n’est pas n’importe qui et se montre très inspiré dans ce registre, évitant ainsi tout risque de parodier de rock de Seattle, qu’il a de toute manière (c’est bon de le rappeler) profondément influencé. Quant au morceau-titre Angel Rat, on pourrait le classer comme une adaptation savamment opérée du prog planant de Rush à l’ambiance du début 90, incontestablement l’un des bijous de l’album qui illustre une fois de plus tout le talent du groupe. Seul titre vraiment calme du disque, Freedoom séduit aussi bien par la guitare chatoyante de Denis D’Amour que le chant feutré de Denis Bélanger, une pure merveille comme jamais le groupe n’en avait offert.
Bien que Nothingface et dans une moindre mesure Dimention Hatröss pointaient vers cette direction, il serait tout de même exagéré de dire qu’Angel Rat était attendu. Si la hargne et l’agressivité speed/hardcore des débuts survivaient dans le précédent disque malgré une orientation clairement progressive, elles ne sont plus qu’un lointain souvenir sur ce sixième album à peine plus extrême que du hard rock. Si on ajoute à cela quelques vagues ressemblances avec le grunge en vogue (dues on ne le répétera pas assez à l’influence de Voivod sur cette scène et non l’inverse), ce disque a tout pour se faire haïr, et il le sera par une partie du public. Cependant, beaucoup avec le temps ont salué les qualités intrinsèques de ce disque, certes moins violent mais pas moins recherché ou original que ses glorieux prédécesseurs, un nouveau chédeuvre donc qui n’a pas à rougir dans l’immense discografie des Québécois.
Stable depuis sa formation en 1982, Voivod va subir le premier mouvement de personnel de son histoire peu avant la sortie de l’album. Le bassiste Jean-Yves Thériault quitte en effet le navire pour s’investir dans un projet de danse contemporaine qui durant les années 90 rencontrera beaucoup de succès. Il ne reviendra qu’en 2008 après la mort de Denis D’Amour, ce qui fait d’Angel Rat le dernier album enregistré par le Voivod classique. Malgré cela, le groupe reviendra encore plus fort deux ans plus tard avec The Outer Limits qui combinera à merveille les atouts de Nothingface et Angel Rat et s’imposera comme un nouveau sommet discografique des Québécois!