II. 5. Peter Gabriel – Peter Gabriel 2

Acte II: Post-prog, art rock

Album 5 : Peter Gabriel 2

Artiste : Peter Gabriel

Origine : Angleterre

Si en 1978 Peter Gabriel avait déjà quitté Genesis depuis 3 ans, leurs destins sont en quelque sorte restés liés. En effet, si comme vu lors d’un précédent épisode, cette année a été cruciale dans la suite de la carrière de ses ex-comparses, elle l’a aussi été pour sa carrière solo. C’est assez difficile à croire quand on sait quel géant créatif le bonhomme est devenu ensuite, mais dans ses premières années sans Genesis, Peter Gabriel n’avait quasiment aucune confiance en lui et ne savait pas tellement quelle direction prendre. C’est d’ailleurs pour ça que, pour son premier disque, il s’est associé à Bob Ezrin, connu surtout à l’époque pour sa longue collaboration avec Alice Cooper, ainsi que Robert Fripp, libre depuis la séparation de King Crimson quelque temps auparavant. Il en a résulté un album particulèrement étéroclite et parfois assez difficile à suivre, oscillant entre morceaus rock très directs, expérimentations barrées et blues jazzy épurés, avec encore quelques restes de l’époque Genesis. Mais malgré ce manque de cohérence, le disque était une franche réussite musicale, la voix unique de Gabriel fesait des merveilles et certains titres comme Solsbury Hill ou Modern Love ont durablement marqué les esprits. Quand on a un talent pareil, savoir où on va artistiquement est peut-être finalement très segondaire.Toujours est-il que Peter Gabriel n’était que partiellement satisfait du résultat. Bien qu’il ait énormément apprécié la collaboration avec Bob Ezrin, aussi bien sur le plan professionnel qu’humain, le stile de production très « mur du son » et plein de fioritures ne lui convenait plus vraiment et il souhaitait donc vite s’en démarquer. Il choisit pour cela de donner les clés à Robert Fripp, déjà présent sur le précédent disque, mais qui cette fois allait jouer un role central dans le processus créatif. Les sessions d’enregistrement se déroulent durant l’hiver 1977-1978, en parallèle de celles qui conduiront au premier album solo de Fripp, on peut donc s’attendre à un virage plus expérimental tournant définitivement la page Genesis et marquant le début d’une nouvelle ère. À noter que le bassiste Tony Levin, encore peu connu à l’époque, participe à nouveau aux sessions après avoir déjà joué sur le précédent. L’album arrive finalement dans les bacs en juin 1978, toujours sans nom bien que les fans lui aient attribué le nom de Scratch en référence à la pochette montrant Gabriel égratinant son propre portrait.

Le changement de production est en tout cas flagrant dès le premier morceau On The Air. Bien que musicalement assez proche de Slowburn sur l’album précédent, à savoir un rock post-punkisant alliant riffs musclés et sintés rêveurs, le son plus sec et moins gonflé change assez nettement la perception, le rendant à la fois plus percutant et plus futuriste, sans parler de la voix de Gabriel qui se fait plus écorché que jamais. Sans être devenu un classique, ce titre met clairement un pied dans les années 80 et marque une étape décisive dans l’émancipation artistique du chanteur. Autre moment fort de l’album, Exposure est aussi de loin le morceau le plus frippesque. Seul titre co-écrit avec Fripp, il voit Gabriel s’illustrer dans un registre expérimental particulièrement avant-gardiste, bien soutenu par les boucles de Frippertronics imprimant une ambiance des plus ipnotiques, un vrai bijou qui là encore ouvre des portes pour l’avenir. À noter d’ailleurs que ce morceau figurera également sur le futur album solo de Fripp, justement batisé Exposure, bien que le chant de Gabriel sera remplacé par celui de Terre Roche. Mais s’il ne fallait retenir qu’un seul morceau de ce segond album solo, ce serait sans hésiter l’extraordinaire White Shadow! Que ce soit la voix murmurée de Gabriel, les mélodies envoutantes aussi bien des claviers que de la steel guitar, ou cet équilibre parfait entre le feutré de l’ère Genesis et le côté plus expérimental et avant-gardiste qui caractérisera les albums suivants, tout est sublime, à en regretter que ce morceau n’ait pas reçu plus de reconnaissance. Le reste du disque, en plus de montrer bien plus de cohésion sur Peter Gabriel 1, offre également de belles réussites, comme le duo piano-voix Mother Of Violence (avec Roy Bittan du E Street Band de Springsteen, s’il vous plait!) frissonant de beauté, le plus déluré et reggae-isant A Wonderful Day In A One-Day World, ou encore le très entrainant DIY, seul single issu du disque, où le Chapman stick de Tony Levin imprime un groove imparable. De façon générale, la production très sèche donne une autenticité et un mordant à chaque morceau dont manquait parfois le précédent album, bien que cette approche n’ait pas été du gout de tout le monde.

Musicalement moins éparpillé que son prédécesseur, Peter Gabriel 2 en développe les aspects les plus rock tout en ouvrant la voie à des sonorités plus expérimentales et modernes qui se révèleront décisives dans la trajectoire du chanteur. S’il manque encore les influences africaines et les ritmiques plus martiales qui caractériseront les disques à venir, la page Genesis est cette fois définitivement tournée et Gabriel sait de plus en plus où il veut aller. Par ailleurs, son talent à la fois de chanteur et de compositeur fait de ce « Scratch » une expérience musicale unique, singulière, et au final séduisante en plus de son intérêt historique.

Quelque peu mis de côté depuis sa sortie, ce qui s’illustre notamment par la rareté de ses morceaux dans les compilations futures, Peter Gabriel 2 aurait pourtant mérité plus de reconnaissance. Son statut d’album de transition, coincé entre les tubes incontournables de Peter Gabriel 1 et 3, ainsi que son côté parfois un peu rèche, y sont sans doute pour beaucoup, mais il reste néanmoins que Peter Gabriel n’aurait pas eu la carrière qu’il a eu sans passer par cette étape décisive. La tournée qui suivra la sortie de l’album pointera d’ailleurs encore plus nettement vers l’avenir en laissant la part belle aux expérimentations sonores, en plus d’inclure dans la setlist ce qui deviendra l’un des meilleurs morceaus de toute la discografie solo de Peter Gabriel, le très martial I Don’t Remember et sa ligne de Chapman stick de légende, écrit durant l’été 1978, et dont la version studio ne paraitra que sur l’album suivant, l’incontournable Peter Gabriel 3 de 1980.