In Absentia

Artiste : Porcupine Tree

Origine : UK

Date de sortie : 2002

Genre : Metal Progressif, Rock Progressif

Il sera dit que cette année 2021 nous aura joué quelques tours. De tous les groupes censés être définitivement rangés sur les étagères de l’histoire du Rock, Porcupine Tree est l’un de ceux que personne n’imaginait reprendre du service. Le maestro Steven Wilson avait tourné la page, allant de l’avant de sa prolifique carrière solo sans se retourner. Il l’avait juré en déposant Porcupine Tree : il arriverait sans doute quelque part… Mais pas ici.

Tous ses compères avaient continué leurs chemins comme musiciens reconnus : Colin Edwin officiant à la basse dans moult projets avant-gardistes tels que Ex-Wise Heads ou Metallic Taste of Blood, Richard Barbieri retournant à sa carrière solo dans les mondes du Prog et de la New Wave, ou Gavin Harrison ayant récemment rejoint The Pineapple Thief, sans doute l’un des plus sérieux héritiers de Porcupine Tree dans la cour du Rock Progressif.

Et pourtant. Plus de douze ans après le grand Incident que fut leur séparation, un mystérieux compte Instagram du nom de « Porcupine Tree Official » apparaît, et lâche deux courts et cryptiques extraits vidéo que des centaines de milliers de fans pris au dépourvu s’empressent d’analyser. Après moult spéculations et ré-enregistrements repassés à l’envers et accéléré 4,5 fois, l’info officielle tombe : pareil à un Lazare, Porcupine Tree revient d’entre les morts, sort un nouveau single et annonce un nouvel album et une tournée pour mi-2022. Le petit monde du Prog est en émoi.

Harridan, premier méfait du groupe depuis leur séparation en 2009.

Ayant peu suivi la fin de carrière d’alors du groupe, mais ayant gardé une affection sans bornes pour la bande à Wilson, je fus pris d’une question introspective : jusqu’ici, qu’est-ce que ce groupe pour moi ? Que Signifie Porcupine Tree ?

La réponse fut évidente et il ne m’en fallut pas plus pour ressortir de l’étagère le CD d’In Absentia que j’avais acheté avec mon argent de poche, il y a un nombre d’années tout à fait insultant pour mon ego. Délaissant les versions ultra deluxe remasterisées des plateformes de streaming, j’ai lancé la lecture du CD dans ma chaîne qui n’est habituellement réservée qu’au divertissement des enfants, et j’ai ouvert le livret papier. Ainsi que le faisaient nos ancêtres, ainsi que le Bon Dieu l’a voulu.

Here we go again.

Autant le dire franchement, il m’est impossible de chroniquer cet album. De passer en revue ses qualités chanson par chanson, d’en décortiquer les riffs, de livrer de fines interprétations de ses harmonies et de ses paroles, non sans négliger de distiller çà et là quelque érudite référence ou quelque trait d’humour spirituel et bien senti, entre deux anecdotes signifiantes sur l’histoire du groupe.

Ça m’est impossible parce que quand cet album s’est chevillé à mon corps et mon esprit, j’étais un ado. Rêveur, inculte et peu loquace, au physique ingrat et avec la confiance en soi à l’avenant, donc bien incapable de rationaliser une expérience d’écoute aussi capitale dans mon parcours musical. Et j’ai beau l’avoir écouté des millions de fois, je garde un rapport tout à fait émotionnel à In Absentia.

In Absentia fut mon entrée dans le monde de Porcupine Tree, et mon véritable déclic pour l’univers du Prog. Comme de nombreux amateurs de Metal, c’est probablement grâce aux riffs puissants que je fus attiré, pour ensuite y rester pour la voix et le talent incroyable de Steven Wilson pour composer des mélodies efficaces. Pour apposer des textures sonores et poser des ambiances qui, pour mon moi d’alors, eussent été synonyme d’ennui sur le papier mais qui m’ont rendu incapable de stopper l’écoute.

La résonnance, l’écho tout particulier de Blackest Eyes, tout autant que son riff mémorable, la mélodie entêtante et la progression aérienne de The Sound of Muzak, l’empressement stressant de The Creator Has A Mastertape, l’apathie dépressive qui finit par exploser dans Gravity Eyelids, les riffs dévastateurs de Weeding Nails et l’émotion à fleur de peau de Trains, sans doute leur plus grand tube à l’heure actuelle… Je ne comprenais pas toutes les paroles à l’époque mais la mélancolie, la nostalgie, l’épuisement moral, la colère contenue et toute la palette d’émotions véhiculées ont touché l’adolescent que j’étais, un peu paumé dans sa province périurbaine. A mes yeux cet album reste parfait, musicalement.

Je n’ai rien d’original en tant que fan du groupe d’ailleurs, car cet album a été celui de la découverte pour beaucoup ; c’est l’album qui a vu Porcupine Tree passer « à une autre échelle », signer un gros deal de distribution, tourner aux Etats-Unis… C’est l’album pour lequel Steven n’a eu, pour la première fois, aucune limite de temps ni de moyens pour composer et enregistrer. C’est également l’album qui a vu l’arrivée de Gavin Harrison à la batterie, qui a donné une nouvelle dynamique bien que le monsieur ne vienne pas d’un milieu Metal. Bref, je l’ignorais alors, mais c’est un album charnière dans la trajectoire de Porcupine Tree et il reste l’un des préférés du groupe, de leur propre aveu.

J’ai d’ailleurs acheté le CD, mais j’avais découvert le sésame à la médiathèque publique du coin – à laquelle je dois en fait beaucoup de mes Milestones musicales et cinématographiques. On ne rendra jamais assez hommage à ces petites structures publiques, qui ont amené tant de gamins à se forger un capital culturel. In Absentia est pour moi éternellement lié à ces souvenirs diffus ; faire 45min de bus sous la grisaille, bercé par le roulis et les cahots de la route, passer des heures à flâner dans les rayons, les centaines de posters de groupes, de concerts ou de films de genre mythiques qui se chevauchaient les uns les autres sur les murs trop petits, l’odeur des bandes dessinées, les milliers d’oeuvres à découvrir… Une ambiance qui déjà à l’époque était à la fois empreinte d’une grande excitation et d’une nostalgie profonde, bien plus ancienne que moi.

Et encore aujourd’hui je ne trouverai pas de meilleure description de ce que représente Porcupine Tree, et cet album en particulier, à mes yeux : tout à la fois la nostalgie, la mélancolie et l’espoir de nouvelles découvertes. Alors je continue à chérir tous les albums qui m’ont influencé, je regrette ces sensations de nouveauté adolescente, tout en étant heureusement certain de pouvoir trouver de nouvelles choses, encore et encore. Et si ces nouvelles choses viennent d’un nouveau Porcupine Tree, alors je les accueillerai à bras ouverts.