Artiste : Tiamat
Origine : Suède
Date de sortie : 1997
Genre : Rock gothique, rock psychédélique, electro-expérimental
Note : 9/10
La trajectoire artistique de Tiamat est probablement l’une des plus captivantes des années 90. Après un Sumerian Cry très ancré dans le death suédois de son époque, le groupe dirigé par l’énigmatique Johan Edlund a inclus petit à petit des sonorités gothiques, doom et progressives, ce qui a abouti au chédeuvre acclamé Wildhoney en 1994, qui demeure encore aujourd’hui l’un des moments les plus marquants de la scène metal suédoise du début 90. Dans le même temps, la cohésion du groupe a été sérieusement fragilisée, les rotations de personnel se sont succédées et c’est presque comme un album solo de Johan Edlund qu’a été enregistré Wildhoney. Finalement, tout en restant seul maître à bord, Edlund parvient à stabiliser son équipe autour du guitariste Thomas Petersson (déjà présent sur Astral Sleep et Clouds), du bassiste Anders Iwers (ancien membre d’In Flames) et du batteur Lars Sköld, à l’origine musicien de session sur Wildhoney mais désormais membre à part entière.
L’enregistrement du prochain album débute en janvier 1997, et il paraissait à l’époque bien difficile de prévoir quel nouveau virage musical nous préparait Tiamat. Un retour à des sonorités plus death? Un approfondissement des éléments progressifs de Wildhoney à l’instar d’Edge Of Sanity et son épique Crimson sorti en 1996? Une entrée définitive dans le rock gothique comme l’ont fait Paradise Lost ou Anathema avant? Ou carrément autre chose, un virage musical improbable sorti de l’esprit torturé d’Edlund?
Le premier morceau de l’album, Cold Seed, ouvre le bal de façon assez tiède, Tiamat y officie dans un registre rock gothique démétallisé plutôt plaisant mais loin des éclats des précédents disques, difficile de ne pas être déçu. Fort heureusement, le reste de l’album est très loin de la compacité un peu fade de ce premier titre, et en s’y plongeant on découvre un univers certes parfois déroutant mais très riche! Les balades gothiques acidulées Teonanacatl, Atlantis As A Lover et A Deeper Kind Of Slumber font notamment très forte impression grâce à des mélodies aussi sublimes qu’envoutantes où la voix profonde d’Edlund, désormais plus tipée new wave que death, fait des merveilles, bien soutenue par de délicieuses touches de sintétiseur. Et que dire de ce bijou qu’est Only In My Tears It Lasts? Plus planant et aérien encore, ce titre est d’une beauté à couper le souffle grâce notamment aux murmurs mélancoliques d’Edlund et aux envolées gilmouriennes du guitariste Petersson, du pur génie du début à la fin! Ceci dit, Tiamat n’enterre pas complètement son passé comme le montre Alteration X 10 dont la voix et l’ambiance sont typique de cet album mais dont les riffs doomesques rappellent assez nettement Wildhoney.
Si les titres mentionnés jusque là peuvent être considérés comme prolongeant assez naturellement la dinamique initiée par Astral Sleep, d’autres sont réellement surprenants et s’écartent nettement de l’éventail sonore habituel du groupe. C’est le cas de The Desolate One qui officie dans une veine électro-ambiante des plus acides, ou encore de Four Leary Biscuits où des joueurs de sitar, d’oboe et de flute distillent une gamme de mélodies indiennes tout bonnement irrésistibles. Mais la plus grosse surprise de cet album est sans aucun doute The Whores Of Babylon, où Tiamat prend des airs de Depeche Mode des ténèbres pour un résultat détonnant, que ce soit le tempo dansant, les orchestrations ou la voix glaciale de Johan Edlund, tout est parfait et ce titre aurait sans doute fait un meilleur candidat pour le tube gotique de l’année que le plus lisse Cold Seed. En fin d’album, l’influence Pink Floyd se fait nettement plus audible avec le très joli Phantasma De Luxe où Petersson se la joue encore Gilmour pendant le solo, et Mount Marilyn qui aurait sans doute gagné à être raccourci, difficile d’être pertinent pendant 10 minutes quand on a déjà tout dit en 3.
Des raisons de ne pas accrocher à cet étrange disque qu’est A Deeper Kind Of Slumber il y en a plusieurs. Certains trouveront que Tiamat est allé trop loin dans son évolution, jusqu’à presque renier toute son histoire, d’autres reprocheront à l’album son manque de cohérence, mais le fait est que la qualité musicale intrinsèque des morceaux est particulièrement élevée. En laissant libre court à son imagination et en bravant les limites stilistiques, Edlund signe un disque très personnel, parfois déroutant, mais globalement très réussi et même magistral dans ses temps forts.
Malgré l’absence totale de chant guttural et la quasi-disparition des riffs death-doom, cet album est par bien des aspects moins accessible que ses prédécesseurs tant il baigne dans une atmosfère unique, un pari osé qui annonçait le meilleur pour la suite. Malheureusement, Tiamat abandonnera très vite cet état d’esprit aventureux pour glisser vers un metal gotique plus générique et cela dès l’album suivant Skeleton Skeletron, un choix opportuniste qui peut se comprendre mais qui a laissé une bonne partie du public sur sa faim.