Artiste : Hạc San
Origine : Vietnam
Date de sortie : 2019
Genre : Progressive Metal assaisonné de riz
Hạc San est une jeune formation vietnamienne, créée en 2011. Suite à plusieurs changements de line-up, la formation s’est fixée vers 2013 et ils ont sorti leur premier album Sét Đánh Ngang Trời – Un éclair déchirant le ciel – en 2015, qui a reçu un accueil favorable par le public asiatique. Fort de ce succès, en 2019, le groupe présente leur second album, un album court mais intense, ne contenant qu’un seul titre de 29:02 minutes. C’est un concept album consacré à la vie du poète maudit vietnamien: Hàn Mặc Tử.
Pour la petite histoire, c’est un des poètes majeures du courant « romantique » de la poésie vietnamienne (le bonhomme verse dans le romantisme noir vers la fin de sa vie). Poète maudit car c’est quelqu’un de nature mélancolique et il est malade de la lèpre très tôt, cette maladie l’a emporté très jeune, à 28 ans. La lèpre et l’isolation qui s’en suit se traduisent dans ses poèmes de plus en plus surréalistes, remplis de symbolisme et de fantaisie. Les esprits, l’imaginaire de la maladie avec du sang ou la lune sont les thèmes qui reviennent de manière récurent dans ses œuvres, ce qui explique le titre de cet album.
Pour ce deuxième calamaropus, Hạc San nous gratifie d’une composition toute en beauté et en fluidité. L’Album démarre avec la lecture d’un poème sur la lune de Hàn Mặc Tử accompagnée d’une guitare chevrotant, qui sera bientôt rejoint par un son de clavier d’abord timide, puis ondulant, non sans rappeler un certain pape du prog, soutenu par la session rythmique. La musique enfle et rempli l’atmosphère, comme un courant d’air traversant l’espace, elle ondule dans le ciel tel un petit dragon avant d’aller se perdre dans le firmament, attendant sa résurrection dans le cœur d’un futur poète.
La vie du poète commence à 5:30, contée par la jolie voix du chanteur Blada; les paroles sont composées sous forme de poème libre, structurés en six parties racontant les débuts du poète, son obsession pour la lune, ses rêves, sa maladie, les visions teintées de sang qu’il a souvent pendant son isolement à la léproserie, et enfin la mort. Tout l’album est une alternance entre aurores boréales musicales avec les mélodies lisses qui ondulent comme ces spectacles lumineux, composées de notes tantôt joyeuses, tantôt mélancoliques dansant sur le bord de la lune; et envolée lyriques accompagnant le poète à travers différentes périodes de sa vie.
Par certains endroits, Blada se permet même les techniques de chant de la chanson traditionnelle vietnamienne (13:44 et 15:30 par ex, le passage sur les rêves), choix judicieux pour un album tel que celui-ci.A partir de 16:57, c’est la tempête! Le morceau se fait plus rapide, plus torturé, plus violent, avec de nombreuses breaks suivi du déchaînement instrumental. C’est le passage intitulé « Phong » en vietnamien. Il est intéressant de noter qu’en vietnamien, « Phong » signifie à la fois le vent, la tempête et la lèpre. La musique traduit donc cette tempête qui s’abat sur la vie du poète, les paroles empruntent l’imaginaire d’un cyclone qui détruit et noie tous les rêves du poètes sous son passage, passage qui durera… jusqu’à sa mort. C’est le tournant de la vie du poète quand il apprit qu’il est atteint de cette maladie et dut faire le choix de vivre reclus dans une léproserie, refoulant toute visite, même celle de la femme qu’il a toujours aimé.
La minute 19:30 démarre avec la voix rauque, froide, menaçante du guitariste Dz en fond de la voix de Blada et il va l’accompagner tout au long de cette partie parlant du sang, vision qui hante les rêves du poètes à la fin de sa vie, et à quoi nous devons ses poèmes les plus horrifiques, les plus fantastico-cosmiques. A 22:17, le groupe nous gratifie d’un passage fortement folk démarrant par le jeu de guitare et le chant rappelant les chansons folks, rappelant l’enfance, avant de revenir à la structure musicale de l’album qui se fait maintenant plus lent, plus calme, pour finir sur un passage de chant au piano comme un lâcher prise. Nous entrons dans la mort. Ce passage plein de douceur accompagne les dernières heures du poète avec une envolée aérienne vers la fin et une guitare légère, éthérée comme une dernière expiration vers le firmament.
L’album se termine par une strophe, la 7ème strophe d’un poème de Hàn Mặc Tử, le « l’Âme quittant le corps » issue de son ouvrage Poèmes fous/Douleur, un dernier hommage au poète maudit, ce goth qui s’ignore!
Rồi hồn ngắm tử thi hồn tan rã,
Bốc thành âm khí loãng nguyệt cầu xa.
Hồn mất xác, hồn sẽ cười nghiêng ngả,
Và kêu rêu thảm thiết khắp bao la
–
Et l’âme contemplant ce cadavre, elle se dissout,
Devenant l’air froid venant des profondeurs de la lune.
L’âme sans le corps, elle se renverse de rire
et ensuite sanglotant à travers le cosmos.
L’album ne dure que 29:02, à peine le temps acceptable pour un morceau prog. Mais il est chargé en symbolisme et en émotion. Les trouvailles avec l’œuvre monumental du poète sont nombreuses (il commença à écrire à l’âge de 16 ans et était un poète très prolifique), les rares passages folks, rappelant les chants traditionnels est un clin d’œil à l’amour du poète pour la vie de campagne simple, sans prétention; mais entourant de beauté, œuvres de la nature. Pour quelqu’un qui connait le travail du poète, Hạc San nous offre là un album aboutit avec un travail de recherche sur la vie du poète très complet et une force de composition solide, tant au niveau de l’écriture qu’au niveau musical, affirmant leur talent et les place parmi les groupes très prometteurs de la scène vietnamienne.
Si jamais vous êtes intéressés d’en connaître plus sur le travail et la vie de Hàn Mặc Tử, cliquez: https://www.facebook.com/photo.php?fbid=1806507859486000&set=a.121754507961352&type=3&theater