Artiste : GLEN
Origine : Allemagne
Date de sortie : 2021
Genre : art-rock, neo-krautrock, post-rock
Tout comme l’année 2020, 2021, dont la mi-année n’est même pas encore entamée, est déjà rempli de surprises avec d’excellentes sorties des groupes très attendus tels que Cult of Luna, Therion ou encore Greta Van Fleet, comme des groupes plus expérimentaux représentés par Big|Brave ou les hollandais de Grey Aura. Et parmi ces surpris, GLEN se dégage une belle place sur le podium avec leur nouvel album PULL! regorgeant de mélodies à la fois hypnotiques et empreintes de folie.
Pour qui ne connaissant pas GLEN, c’est un projet musical allemand, dirigé par le duo Wilhelm Stegmeier, multi instrumentiste allemand doublé de compositeur de musique de film, et l’artiste visuel grecque Eleni Ampelakiotou qui est aussi musicienne multi instrumentiste. Avec d’autres musiciens et artistes, ils explorent ensemble les limites de l’expérience musicale, repoussant de plus en plus les frontières d’expériences auditives et sensorielles à travers ce qu’ils proposent via le prisme de leur sensibilité artistique et musicale très variée. Pour cet album, ils ont invité la bassiste autrichienne, grecque Maria Zastrow et le batteur percussionniste américain Brendan Dougherty.
PULL! donc, cet album dédié à l’humanité propose d’explorer en musique différents états sensibles comme la joie, la tristesse, la folie, l’obsession, la colère, etc. Le groupe condense cette dédicace aussi à travers la pochette principale de l’album, une cliché prise dans un bureau en ruine de la bourse d’Athènes. La bourse! C’est peut-être l’expression moderne la plus pertinente d’un condensateur d’émotion humaine. C’est là le théâtre d’expressions de joie, là où se manifestent le stresse, la concentration, la colère, et parfois même, l’ultime désespoir. Toutes ces expressions très humaines y sont manipulées et poussées jusqu’au paroxysme au service de l’argent, de la finance, sortes de dieux modernes qui dirigent le monde. Un monde qui semble de plus en plus artificiel, mais pourtant rempli d’êtres humains en chair et en os, capables d’émotions et de (re)sentiments.
C’est comme dans une dystopie où des foules de gens errent à travers leur propre vie dans une amnésie immémoriale, à la quête de SENS, un SENS qu’ils ne comprennent pas, derrière lequel ils courent, jusqu’au bout de leur vie sans jamais le trouver puisqu’ils ont oublié, depuis fort long temps, ce qu’est ce SENS primordial. Alors, il s’agit de le leur rappeler, à travers la musique, cette langage du cœur universelle, cette langage qui a le pouvoir d’unir et de réveiller le palpitement primordial, l’âme.
GLEN commence cette exploration initiatique avec Lecture, une sorte de mode d’emploi, de guide d’utilisation, de règles du jeu qui ouvre la perspective sur le chemin à parcourir aux pas chaloupés, aux sons lumineux. On aperçoit déjà les boucles hypnotiques, interprétés par différents instruments, et le rythme martial qui accompagne la lecture jusqu’au bout, sans se relâcher, même quand il y a d’autres sons de percussion qui viennent s’y ajouter. C’est cette régularité, comme la régularité du rythme cardiaque, qui assurent les contours de ce morceau extrêmement varié dans sa simplicité. On retrouve aussi la tendresse de la vie dans les guitares caressantes, comme les effleurements des vagues sur la peau granulée des plages de sable, comme la caresse silencieuse des ailes d’un oiseau passant à côté d’une branche d’arbre. C’est limpide, paisible, régulier, comme la vieille terre.
Korinth survient avec ses notes sauvages et épiques, témoins d’une cité antique à la résilience extraordinaire, actuellement une ville commerciale prospère, et elle fut, dans l’antiquité, également une ville commerciale prospère. Corinthe, descendant du soleil et de l’océan (double mythes la rattachant à la protection d’Hélios et/ou d’Ephyra, fille du titan Océan). Ville qui a passé par moult périodes fastes grâce au commerce, mais qui a aussi essuyé moult guerres, ayant même servi de champs de bataille pour la guerre entre les puissants hellénistiques et la Macédoine. La ville a soutenu en son sein de nombreuses dynasties de dirigeants éclairés ainsi que des tyrans cruels. Mais tous ont contribué à la grandeur et à la prospérité de ce morceau de terre entre Athènes et Spartes! Les épopées de Corinthe n’ont rien à envier aux épopées athéniennes.
Ainsi donc, ces boucles mélodiques et temporelles nous conduisent devant l’Acropole de Corinthe ou à travers les ports de commerce de céramique et de bronze avant de nous projeter, avec les riffs devenant plus rapides, plus puissants, vers les arènes de jeux isthmiques (concours sportifs à l’honneur de Poséidon, ce sont un des grands jeux panhelléniques de la Grèce antique, qui comprenaient les Jeux olympiques, les Jeux pythiques et les Jeux néméens) où la joie et la détermination dominent. La musique devient de plus en plus palpitant, de plus en plus oppressante même, comme les longues périodes de guerre qui ont pesée sur cette ville immémoriale pour finir sur une longue distorsion, comme une suspension, comme une porte ouverte sur un autre horizon, une fin logique pour ce morceau consacré à une cité qui se réinvente à chaque période et qui se relève, toujours forte et résiliente. Cyclique! Régularité!
Direction la mer cette fois-ci, traversons l’océan avec Ahab, excellent morceau où la basse s’exprime dans ses plus beaux atours: ample, dynamique et soutenu, elle dirige et porte tout le morceau sur ses cordes. Après un début plutôt sombre et inquiétant, les mélodies tournoient, se cognent les uns contre les autres, elles tapent comme le fait une baleine folle et agressive contre la poupe boisée du bateau, comme une tempête qui malmène tout l’équipage lors d’une nuit nuageuse en plus de ça. La chanson ne laisse aucun répit, l’auditeur ne trouvera aucune percée de lumière dans cette tempête et il est inutile de lutter avec la musique. Si on ne veut pas se noyer, alors il faut se laisser porter par les mouvements du vent et du bateau. Aller contre, c’est risquer de se faire pulvériser hors du vortex et se noyer à coup sûr, ou finir dans la gueule béante de la bête. Excellente illustration de l’obsession, de la folie que ce morceau aux rythmes haletants, sur base de boucles hypnotiques, devenant ainsi encore plus oppressant, tout comme la folie et l’obsession qui, une fois immiscées dans le cœur des hommes, ne vont plus les lâcher, mais pèseront sur leur cœur et leur infligent bien des tourments, ne leur laissant plus aucun répit. Nous avons compris, avec Ahab, qu’on a là une référence à Moby Dick de Melville et l’obsession du capitaine Ahab pour cette baleine blanche. D’ailleurs, l’artwork qu’on peut trouver sur la pochette du vinyle de l’album sont les représentations de Mocha Dick, une baleine agressive, évoquée dans une histoire publiée en 1893 dans le magazine New Yorkais The Knickerbocker. On pense que cette histoire aurait probablement été une inspiration pour le Moby Dick de Melville.
Nous avons eu la plaine, la mer, partons donc dans la montagne avec Davos, la ville la plus haute de l’Europe, situé à 1560 mètre d’altitude, fameuse ville de sport d’hiver et centre de congrès où se déroule chaque année le forum économique mondial, où se côtoient les personnalités importantes du monde politique et économique. Mais remontons encore un peu plus loin dans l’histoire, la ville n’a pas toujours été ce lieu de loisir et de rencontre dynamique et heureux. D’ailleurs, la musique avec ses boucles rêveuses et nostalgiques, cachant une atmosphère plutôt irréelle en demi-teinte en atteste. C’est comme si c’était hier, à partir de 1853, Davos devient ville de cure pour la tuberculose et se remplissait de sanatoriums, d’hôtels et de pensions pour les malades et leur familles; avant qu’un de ses établissements ne parvienne, grâce à la streptomycine, à soigner la tuberculose et l’encéphalite, signant la fin des longues séjours médicaux en montagne en 1948.
C’était aussi le théâtre de l’intrigue de l’excellent roman de Thomas Mann, la Montagne Magique (1924), lieu où côtoient différents personnages, l’incarnation de différents mentalités et courants de pensée de la Belle Epoque. Un roman philosophique, devenu un des œuvres les plus importantes de la littérature allemande du XXe siècle. Ce roman, fortement autobiographique car il est le résultat du dialogue intérieur de Thomas Mann sur les transformations sociales et politiques de son temps, n’est-il pas un peu prémonitoire? Dans le sens où Davos est le lieu où se réunissent différents esprits qui se dialoguent afin d’apporter des réponses, ou du moins, des aiguillages, comme un guide pour le travail de réflexion et de recherche. Puis qu’entre 1928 et 1931, Davos deviendra le lieu de rencontre entre intellectuels européens avec les cours universitaires de Davos, où se côtoyaient, entre autre, Einstein, Heidegger ou Léon Brunschvicg. Et le forum économique mondial de nos jours.
Est-ce qu’on réfléchit mieux au sommet? Est-ce du au micro climat de Davos? Nous n’en savons rien, mais une chose est sûre, c’est que les échanges et discussions apaisés apportent toujours du positif.
Ce n’est pas par hasard que le morceau qui clôt l’album s’assagit, se lisse, se fait plus doux et rêveur. Bien qu’enveloppé dans une voile éthérée, il se fait apaisé et limpide comme l’ouverture, les boucles toujours hypnotiques, mais ils ne cogne plus, ils ont arrêté de courir. Maintenant, ils planent tel des petits nuages sur un ciel bleu et profond. La communication est la clé, les émotions peuvent être violentes, mais elles sont de nature fugace, il convient de les laisser partir, comme une orage qui explose, puis se résorbe aussi tôt. Nous retenons une belle conversation, pas une orage. La vie est une évolution continuelle, comme l’océan et ses vagues. Laissons-nous porter par le rythme de la vie, s’adapter, communiquer, c’est aussi simple que cela, le SENS.
[…] belles découvertes que sont Glen avec leur post rock aérien, dynamique et fortement narratif (lire ma chronique ici) ; King Woman et son magnifique Celestial Blues, illustration de la force créatrice à son […]