Artiste : Dornenreich
Origine : Autriche
Date de sortie : 2021
Genre : Black Arcane Rock, Dark Folk avant-gardiste
J’étais allongé sur mon lit, terrassé par des circonstances que je tairai ici. Le corps rompu, l’esprit voilé. Affaibli. Las.
La pluie lourde commençait à tomber dans les rues de Paris. Par la fenêtre ouverte la fraîcheur humide perçait à peine à travers la mélasse atmosphérique de ces derniers jours, laissant monter le grondement doux des trombes s’abattant sur le bitume et les roulements du tonnerre encore lointain.
Sans raison apparente, j’avais lancé Du Wilde Liebe Sei, tout dernier album en date de Dornenreich, juste avant de m’allonger sur le dos et de fixer le plafond.
Sans raison apparente, pensais-je. Mais en fait ça faisait quelques jours – depuis que j’avais reçu le CD – que cet album que j’avais attendu comme le messie tournait dans mon subconscient, sans que je ne sache trop quoi en penser. Et le lancer à ce moment précis, dans cet état et dans cette ambiance, se révéla être un geste inspiré.
Car c’est là, sous l’orage intérieur et extérieur que l’alchimie s’est faite et que je me suis pleinement approprié ce chef-d’oeuvre. Que j’ai compris.
Dans l’immense essaim du Black Metal, Dornenreich sont un spécimen à part. Si les Autrichiens ont commencé par se distinguer il y a 25 ans sur la scène du Black Metal, ils n’ont jamais hésité à emmener leur art vers des sons plus aériens. Entre le violon de Thomas « Inve » Riesner qui se fait entendre dès 2001 dans Her Von Welken Nächten, le Dark Rock mid-tempo fantomatique et entêtant de Hexenwind, les guitares Black Metal ritualisantes toutes en retenue, claviers et passages au chant clair de Dürch Den Traum ou encore Im Luft Geritzt, un album carrément interprété entièrement en acoustique guitare-violon, le groupe mené depuis fin 1996 par Jochen Stock dit « Eviga » ne se pose aucun carcan formel. Ils ne « mélangent » pas Black Metal et Folk, ils n' »alternent » pas entre l’un et l’autre selon les albums : ils SONT Black Metal, peu importe de quoi ils jouent et comment. Les groupes pouvant se targuer de cela se comptent sur les doigts d’une demi-main.
C’est vous dire combien ce Du Wilde Liebe Sei, qui sort sept ans après le précédent album Freiheit, était attendu par les fans dont je fais partie. Connaissant (par coeur) la richesse de la palette de Dornenreich je m’attendais à beaucoup de choses, mais par péché d’habitude j’espérais au fond de moi un album dans la veine de Flammentriebe avec une patte de Black Metal très prononcée et sublimée par des arrangements et le violon d’Inve. Bien évidemment, il n’en est rien, mais il ne s’agit pas non plus d’un album aux arrangements entièrement acoustiques.
Du Wilde Liebe Sei est quelque chose de nouveau. Quelque chose d’organique et d’enveloppant, à la fois froid et chaleureux.
Les percussions d’ouverture de l’album, exécutées au tam-tam, laissent à penser qu’on entre dans le terrain de la Dark Folk / Neofolk. Mais une basse électrique est bien présente en toile de fond, soutenant le tout avec rondeur et douceur. La guitare électrique à l’accordage feutré et clair, une patte reconnaissable d’Eviga même dans ses moments les plus Black, est également là et porte une mélodie douce. Mais assez rapidement la voix d’Eviga se fait plus rauque et douloureuse, sans crier pour autant – c’est l’un des rares vocalistes du genre à avoir ce talent : faire ressentir cette intensité viscérale sans avoir à monter dans les décibels. Les volutes de guitare électrique continuent agrémentées de notes de guitare acoustique, et puis le violon d’Inve entre dans la danse avec ses accents mélancoliques et ses notes soutenues. Bref, la piste d’ouverture So Ruf’ Sie Wach Das Sehnen est une étrange ballade, organique, mêlant tristesse et optimisme.
L’album garde ces composantes tout du long mais varie entre des moments calmes et une tension bien plus palpable comme sur Im Strömen aus Verwanderlung ein flackerloses licht ou bien Dein knöchern ‘ Kosen.
Voilà en quelques mots le son de Du Wilde Liebe Sei : des percussions organiques, chamaniques, une basse omniprésente, des guitares électriques douces et palpables, des guitares acoustiques, le violon sinueux et romantique, et la voix d’Eviga qui emmène le tout entre douceur et tension.
Voilà pourquoi le déclic s’est fait à ce moment précis, alors que mes sens étaient endoloris et mon corps diminué ; plus de place pour le coeur et l’esprit, pour accueillir cette tension atmosphérique analogue à l’orage qui se rapprochait, et que je sentais depuis la douceur confortable de mon foyer. Du Wilde Liebe Sei est une balade émotionnelle à l’orée d’un bois juste avant l’aube, sous la pression atmosphérique d’un début d’orage quand la lourdeur de l’air se dissipe enfin.
N’étant pas germanophone je l’ignorais encore lors de cette fameuse écoute, mais le thème de l’album est l’Amour. l’Amour comme concept entier, sous toutes ses formes ; de l’amour de soi à l’amour des autres et du monde, et des joies, des tristesses et des douleurs qu’il entraine. Mon manque de recul et mon absence totale de compétences linguistiques m’interdisent de me pavaner sur une savante interprétation de cette oeuvre qui a eu presque sept ans de gestation, aussi je me contenterai de citer humblement l’artiste qui a donné une clef en interview :
La tension au cœur d’un individu entre son désir d’individualité et de liberté, et son désir d’appartenance et de dévouement est selon moi le conflit central sur lequel repose cet album.
Eviga, traduit d’une interview pour Arrow Lords of Metal
Ce conflit intérieur, nous l’avons tous connu et le connaissons encore. On a souvent tendance à l’ignorer ou le fuir, mais il peut parfois être salvateur, ou juste apaisant, de l’accepter. Ne pas le combattre. Dans un moment à soi, rien qu’à soi, se laisser porter par ces sensations contradictoires et par les compositions à fleur de peau de Du Wilde Liebe Sei.
[…] nouveau et offre une véritable expérience émotionnelle à qui prend le temps de l’écouter. Ma propre expérience avec cet album me l’a chevillé au corps pour très […]