Rétrospective 2021 : Alex

Nous y voilà : 2021 touche à sa fin et c’est à mon tour de vous livrer mon bilan de cette dense année. L’exercice d’établir son “top personnel d’albums”, son “AOTY list” comme disent les anglophones, est disons-le d’emblée bien artificiel. Lorsqu’il est fait par les instances majeures de la musique, il a cet effet pervers de donner une vision de la musique comme un vulgaire bien de consommation, facilement évalué et facilement jeté. Mais fait sans prétention par une personne que vous connaissez ou par une modeste communauté telle que celle du Riff, on espère que cela peut faire de belles découvertes et nous en apprendre un peu plus sur nous-mêmes.

Pour ma part, j’ai dûment établi un top 30 mais je fais le choix de ne pas vous le révéler en entier – je le garde pour nos statistiques. Je préfère vous parler de quelques albums, et derrière eux des thématiques qui m’ont accompagné cette année parce que je suis convaincu que pour transmettre quelque chose à un public, il est bien plus important de dire pourquoi on aime que de parler de ce qu’on aime.

Les coups de coeur

Beaucoup de groupes et d’albums m’ont impressionné cette année, mais passé l’effet « Wouaouh » d’une découverte, il y a un juge qui ne trompe pas : le temps passé à écouter et réécouter un disque. Pour ma part, j’ai deux évidences qui ont fini par s’imposer, et que je connais désormais par coeur.

Le magnifique Celestial Blues de King Woman a, à très juste titre, fait sensation dans la sphère Metal, que ce soit pour sa pochette déconcertante (que je suis probablement le seul à trouver superbe mais passons) que pour son ambiance et son mélange de genre un peu indéfinissable. Ce qui est certain c’est que les performances vocales de Kris Esfandiari et ses paroles venues des tripes ont su parler à bien des publics.

Et je ne peux parler de coeur sans parler du dernier né de Blackwater Holylight, Silence/Motion. C’est statistiquement l’album que j’ai le plus écouté de toute l’année, et un véritable saut en maturité pour ce combo entièrement féminin venu de Portland, plein d’émotions et de subtilités – un album à écouter seul.e ou avec ses enfants, succès garanti. Leur superbe performance en Live à Paris en première partie de Monolord n’a fait que confirmer mes impressions relatées par ici.

2021, année Black Metal

Je me tue à vous le dire. Et pour cause, le nombre et la qualité de sorties en Black Metal cette année frise l’indécence, entre les poids lourds du genre, les nouveaux fers de lance, et la myriade de projets underground allant des groupes en communauté locale aux multi-instrumentalistes autonomes à la maison (pour ne pas dire dans la cave de maman).

En ce qui me concerne, 17 albums de mon top 30 appartiennent à la famille Black Metal. Entre le bulldozer Spectral Wound (encensé comme il se doit par ici), le classicisme subtilement revisité de FORHIST – cet album de Blut Aus Nord qui ne dit pas son nom -, les cosmiques Mare Cognitum et Spectral Lore, ou des projets plus underground avec une ambiance bien particulière comme Ascend Towards the Moon, il y a de quoi faire.

À la mi-année je vous disais que musicalement j’étais plutôt en recherche de simplicité, de démarches directes. Ça se traduit pas mal au nombre de lectures que j’ai accordées au premier album éponyme de Syning, un exercice parfait de Black Metal classique mais qui tape toujours juste, et que tous amateurs et amatrices du genre gagneraient à découvrir. Je vous explique plus en détail pourquoi dans ma chronique.

Enfin dans le registre des albums qui ne réinventent pas le style mais qui le font merveilleusement bien je dois confesser mon coup de coeur total pour Es Grauet des Suisses de Ungfell. C’est furieusement entraînant et hargneux, mélodique et galvanisant, le tout sur fond de pâturages Helvètes.

Blast Beats, Tremolos et Appenzeller.

Mais une approche directe du Black Metal ne veut pas forcément dire une approche orthodoxe ; j’en veux pour preuve la formidable ascension de Lamp Of Murmuur dans l’underground Black Metal depuis deux ans. Ce mystérieux projet américain qui réunit l’esprit (et le son) du Black Metal le plus Raw avec un sens de la mélodie et du riff dévastateur a frappé très fort cette année avec un album qui rend totalement évident son amour pour le Goth et le Post-Punk. Un mariage tabou et délicieux. Avec cette pochette, avouez que c’est téléphoné comme référence.

A l’autre bout du spectre sur des approches complètement barrées, le grand retour des anglais de VOID et leur Black avant-garde mâtiné de Jazz et de Breakbeats a de quoi touiller agréablement le cerveau.

Mais c’est surtout et par-dessus tout KRALLICE qui raflent la mise des twists Black Metal, comme quasiment à chaque fois qu’ils sortent un nouvel album. Plus j’y reviens et plus j’y trouve des nouvelles dimensions, et plus je ressens la furie inhérente à ce disque aux choix d’arrangements pour le moins… Originaux. Un album “Étrange et fascinant”, selon un certain Vindsval.

ABMN

Cette année, il s’est passé au moins un truc cool : l’essor de la chaîne Youtube Antifascist Black Metal Network (ABMN pour les intimes), dont le but est de mettre en avant des groupes associées au genre Black Metal et qui portent clairement des convictions ou des messages antifascistes. Très pratique pour celles et ceux qui, sans avoir besoin d’être antifa, aimeraient bien passer plus de temps à écouter et découvrir des nouveaux artistes de Black Metal qu’à vérifier si lesdits artistes ont des casseroles de type racisme ou extrême-droitisme.

Si parmi la myriade d’artistes promus sur ce canal tous ne font pas mouche à mes oreilles, ABMN est responsable d’au moins trois coups de coeur :

Etxegiña, jeune formation de Black Metal épique qui relate la guerre civile Espagnole, avec un sens de la mélodie et de l’hymne imparable, et un chant à la sincérité frappante.

Ethereal Shroud et son Black atmosphérique / Funeral Doom solennel, déchirant, magnifique.

Et le projet Brésilien Kataayra, qui peut sembler comme une bizarrerie par son absence totale de guitares saturées, et ses jolies mélodies aux instruments sud-américains. Ne vous y trompez pas : il s’agit bien là d’un album de Black Metal. La batterie, les choix mélodiques, le chant, l’approche est Black Metal, avec un twist de musique folklorique Sud-Américaine pour un résultat qui désarçonne et interroge le genre, autant qu’il fascine.

Du côté des Poids Lourds

J’ai finalement écouté relativement peu d’albums de “majors” cette année, en sale bobo hipster crasseux que je suis. Mais si je devais en retenir quelques-uns ce serait le très bon At The Gates (oui le passage au saxo c’est cool mais ce qui est vraiment bien ce sont ses riffs super efficaces), le dernier Darkthrone qui est un vrai kif de vieux Heavy Metal “blacké” mid tempo avec cette patte sombre et hargneuse comme seul ce duo de vieux Maîtres Jedi sait faire, ou encore Torn ArteriesCarcass nous fait de l’excellent Carcass.

Mais LE mastodonte qui m’a vraiment emballé cette année est ce superbe album commun entre Converge et Chelsea Wolfe, Bloodmoon I où toutes les parties ont apporté leur meilleur et l’ont transformé en de nouvelles choses.

Enfin je ne sais pas si King Buffalo peuvent déjà être qualifiés de “poids lourds” mais leur succès grandissant et mérité, et le fait d’avoir sorti deux albums extrêmement solides en une année les placent sous une loupe particulière dans le grand monde du Stoner. En ce qui me concerne si The Burden of Restlesness et son punch mécanique m’a bien plu, c’est surtout le second, Acheron, qui me transporte loin. J’y retrouve le King Buffalo spatial et psychédélique de Dead Star, avec une batterie moins verrouillée, plus d’air, des envolées de guitare et des improvisations Floydiennes qui n’oublient cependant pas de placer des riffs d’une efficacité redoutable comme sur ce superbe final.

Mes pépites perso

On va pas se mentir, faire ce genre d’exercice de rétrospective ou de “Top liste” de fin d’année, c’est aussi pour montrer au monde à quel point on est quelqu’un de péteux cultivé et curieux à tel point qu’on déniche des trucs que même pas tu connais, tu peux pas test wsh.

Alors c’est parti : je dégaine Stone Healer dont j’avais déjà parlé à mi-année et qui est resté dans mon coeur et mes oreilles depuis. Un formidable mélange de Grunge et de Black/Death Metal, étonnant et détonnant.

Krallice in Chains.

Autre petit joyau caché, déniché du côté de Lyon : A Better Tomorrow sont un tout nouveau groupe mêlant Stoner Doom bluesy, Soul et Hard Rock avec sensualité et générosité ; si vous êtes passé à côté, c’est le moment de rattraper une énorme lacune en buvant des bières et en refaisant le monde.

Chers parents, si vous cherchez de la musique pour calmer vos enfants tout en élevant leurs sens et leur oreille, sans devoir vivre en permanence avec l’intégrale de Henri Dès, vous avez des chefs d’œuvre intimistes comme le dernier opus de Marissa Nadler, artiste folk-rock accomplie qui nous a livré une merveille de douceur et de sensibilité.

Enfin dans le même registre « apaisement », la demi-heure de guitares drone / ambiante improvisé nommé Sisters in Arms, Brothers in Christ de Allsiah m’a beaucoup occupé et offert de beaux moments avec mes enfants, à la lumière de leur veilleuse.

Le Podium

Bon, on y est, j’arrête de vous faire lanterner et je dévoile le top 3.

On en est tous bien conscients, cet exercice consistant à classer toutes ces oeuvres si différentes sur une échelle linéaire, c’est tout à la fois cruel et pas extrêmement pertinent. Et quand on établit un top personnel, la seule chose vraiment importante est souvent le haut du panier, ceux pour lesquels on finit par avoir une certitude absolue. Car cette certitude nous en dit beaucoup sur nous-mêmes et notre rapport à la musique qu’on aime.

Lors de mon bilan de mi-année j’avais désigné A Diabolic Thirst de Spectral Wound comme le potentiel numéro 1. Il a finalement été rattrapé par trois autres albums. L’ordre de ces trois albums sur mon podium importe assez peu ; le fait est que les trois m’ont marqué plus que tout autre durant cette année.

3 – Dreams of the Drowned : Missed Springs

Dreams of the Drowned est l’une des plus belles expressions du Black Metal actuellement. Projet solo de Camille, véritable maniaque de travail et encyclopédie vivante de l’underground, inspiré de Dødheimsgard, Ved Buens Ende, Voivod, Today is the Day, Killing Joke, Converge et Thorns, entre mille autres références à réveiller les esprits. J’ai non seulement été très intrigué par cet enchevêtrement de riffs froids et sinueux, puis fasciné ce Black Metal joué comme du Post-Punk et ses chants fantomatiques, mais j’ai surtout la chance d’avoir fait connaissance avec Camille et d’avoir découvert derrière l’artiste une personne extrêmement intéressante et d’une gentillesse désarmante. Et bien évidemment nos discussions m’ont donné pas mal de clés sur les thèmes de Dreams of the Drowned, qui font désormais écho à mes propres combats intérieurs.

2 – Dornenreich : Du Wilde Liebe Sei

Dornenreich sont parmi mes quelques vrais groupes de coeur, j’ai adoré tous leurs albums. Ce tout dernier opus a pourtant un style assez nouveau et offre une véritable expérience émotionnelle à qui prend le temps de l’écouter. Ma propre expérience avec cet album me l’a chevillé au corps pour très longtemps.

1 – Vetter : Av Sublim Natur

Cet album ne sera sans doute cité nulle part ailleurs dans aucun autre “top de fin d’année”. Et pourtant c’est bien à mes yeux le meilleur album de Black Metal sorti cette année, sans aucune hésitation. Vetter désigne des créatures fantastiques du folklore Norvégien, liées à la nature, et cet album ne saurait mieux mériter son nom : l’expression de la nature du Nord, mystérieuse, puissante, inhospitalière et insondable.

Av Sublim Natur est un enchaînement de Black Metal psychédélique sombre, lourd et hypnotique. Peu de trémolos, point de leads de guitare ou de solos ici ; juste des nappes continues de guitares saturées et rugueuses, des drones, des couches de basse écrasantes, une voix sépulcrale, des litanies malveillantes, le tout porté par une batterie au groove percutant et par une production absolument parfaite.

Imaginez un mélange le son des vieux Darkthrone, de claviers à la Isengard, les riffs dronisants d’un Darkspace et la rythmique et l’ambiance psychédélique du premier album de Black Sabbath, sauf que Bill Ward s’est transformé en Hulk. Voilà, vous l’avez.

Cet album me plonge dans mes douleurs les plus profondes, j’y exulte ma hargne et j’y ritualise mes tentatives de reconstruction. A voir si elles vont finir par marcher.

Quand je vous disais que ces albums m’en apprennent sur moi-même, je pense qu’ils me disent que ça va pas super. Mais qu’il y a des raisons de s’accrocher et de quoi faire pour avancer.

Allez sur ce, bonnes écoutes, et bonne fin d’année à toutes et tous.