Artiste : Earth
Origine : Seattle, USA
Date de sortie : 1996
Genre : Stoner Rock frugal – musique minimaliste
J’aime l’Amérique.
Je n’y peux rien, ce continent me fascine. J’ai grandi dans les années 90, le regard et l’esprit abreuvé des images d’Epinal de la Grande Pomme, du Grand Ouest et de tout ce qu’il y a entre les deux. La tête pleine de fantasmes de road trips infinis avec pour seuls compagnons une vieille Plymouth et son autoradio. La liberté.
J’aime les Etats-Unis, malgré les efforts surhumains que cette nation déploie pour se faire mal-aimer. J’aime les Américains, leur sympathie chaleureuse, franche et immédiate, leur coeur ouvert aux rencontres malgré les insondables dilemmes et luttes intérieures qui les rongent et qui rendraient dingue n’importe qui.
Alors pour me rêver à y voyager encore un peu en ces temps régressifs, j’aimerais vous parler d’une autre entité qui, comme moi, a grandi dans les années 90, et qui représente pour moi l’ensemble des chimères et des réalités, des sensations personnelles que j’associe à l’Amérique:
Earth.
Earth est un groupe au parcours particulier dans l’histoire du rock. Le nom du groupe est indissociable de celui de Dylan Carlson, son fondateur et leader quasi-exclusif depuis 1989, qui est reconnu comme le pionnier du Drone Metal. Mais au-delà de cette étiquette, Carlson est de ces innovateurs qui ne restent pas fixés sur un style formel et qui retranscrivent au fil du temps un continuum d’influences. Et les influences de Carlson, ce sont les Etats-Unis.
Pentastar est le troisième album studio de Earth, cinquième disque si on compte les Live. On dit que le nom vient à la fois de ce statut de cinquième opus et d’une référence au logo de Chrysler, constructeur de l’iconique Plymouth Barracuda 1970 qui illustre cette pochette de la classe totale. Et si Pentastar a surpris le public de niche qui suivait Earth à l’époque, il n’en est pas moins devenu un classique de l’underground ricain.
Ici, point de drones de guitares saturées qui se superposent lors de trips sous acide de 30 minutes. Le minimalisme pris sur Pentastar est d’une autre nature, et le pari de Dylan sur ce skeud est moins radical ; il y a une volonté de simplicité, et le maître mot est le feeling. Ce n’est plus un acid trip, c’est un road trip.
L’album est un hybride entre des morceaux de guitare simples – voire simplistes – très groovy et entrainants bien que nonchalants, et des pistes minimalistes basés sur des allers-retours au clavier. Le bien nommé Introduction fait ronronner le vieux V8 pour nous emmener en douceur sur une route large et parfaitement rectiligne jusqu’à l’horizon. On a le temps, on abaisse son dossier et on se laisse emporter, relax. Les riffs de Carlson chill et accrocheurs résonnent et font dodeliner de la tête entre les tubes High Command et Tallahassee, en passant par Peace in Mississipi, morceau moins binaire et très Hendrixien. En même temps bah… C’est une reprise de Hendrix en fait.
Mais Dylan sait aussi taire les guitares au profit des claviers sur Crooked Axis for String Quartet, morceau lancinant avec un fond de drone et une litanie de claviers oniriques – sans doute le plus proche de ce qui se faisait sur les albums de la période Drone – ou sur Sonar and Depth Charge, morceau minimaliste consistant carrément en 7 minutes à répéter deux accords au piano. Tout le sel de ce morceau résidant dans les non-dits, ce qui se joue autour de ces notes, et les infimes irrégularités de timing entre les touches, qui créent juste assez de tension pour maintenir l’auditeur en état de rêve éveillé. Charloteer (Temple Song) reste dans cette veine minimaliste mais garde une dominante de tons de guitare amples et parcimonieux, prophétisant un peu le futur son de Earth. Avec ces variations, Carlson montre ici une filiation avec La Monte Young ou encore Terry Riley, figures du minimalisme yankee.
Coda Maestoso in F (flat) Minor boucle la boucle en reprenant le thème d’Introduction, avec plus d’intensité et de couleurs au synthé. Cloturant ainsi un album d’une compacité étonnante malgré la lenteur de ses rythmiques, et d’une richesse suprenante malgré la simplicité de ses compositions.
Tout ceci peut paraître pompeux voire ennuyeux à la lecture, mais si vous écoutez cet album 2 ou 3 fois vous finirez par vous rendre compte qu’il vous a happé sans que vous ayiez pu vous en apercevoir. C’est là tout le génie de Earth : avec le moins de notes possible, on ne s’ennuie jamais et on se surprend parfois à se dire « tiens c’est déjà fini » ?
Préfigurant certains aspects de la future incarnation de Earth – structures simples, guitare et batterie aux mouvements amples, répétitions, atmosphères incantatoires et minimalistes – tout en ayant une signature unique, plus groovy que n’importe quel autre opus de Earth, Pentastar est un album charnière sur le plan musical. La période autour de sa sortie fut aussi une époque charnière dans la vie de Dylan Carlson qui le mènera à un hiatus artistique de plusieurs années avant qu’il ne parvienne à chasser ses démons et à rebâtir le projet, heureusement pour le meilleur.
To be continued 😁