II. 1. Genesis – And Then There Were Three

Acte II: Post-prog, art rock

Album 1 : And There Were Three

Artiste : Genesis

Origine : Angleterre

L’acte I consacré au blues et heartland rock étant achevé, on passe à l’acte II dont le tème est peut-être plus flou et moins clairement défini, regroupant les artistes art rock au sens large mais également le virage plus accessible mais toujours élaboré pris par certains anciens de la vague prog du début 70 à l’aube de la décennie 80, et que je qualifie un peu grossièrement de « post-prog ». Ce sera donc l’un des actes les plus hétérogènes de cette série!

Pour inaugurer ce nouvel acte, parlons un peu de Genesis! Quiconque ne connait ce groupe que superficiellement mais en ayant quand même une vue d’ensemble de leur carrière a déjà du se poser cette question: à quel moment exactement la bande est passée du rock prog épique et alambiqué de la période Peter Gabriel aux tubes pop plus immédiats et grand-public des années 80? Comme souvent, le changement est impossible à dater précisément et est plus le résultat d’un processus que d’un virage soudain. Cependant, la période 77-78 semble avoir été le point de départ de pas mal de choses, d’où l’inclusion du groupe dans cette série.Resituons un peu le contexte: après le départ de Peter Gabriel en 1975, Genesis décide de ne pas recruter de nouveau chanteur et c’est donc le batteur Phil Collins qui prend le micro, sans quitter les caisses pour autant. S’en suivent deux disques gigantesques, A Trick Of The Tail et Wind & Wuthering, tous deux sortis en 1976, et qui disons-le, n’ont pas grand chose à envier aux monuments de l’ère Gabriel, en particulier le premier nommé! Cette période à 4 ne dure cependant pas, et en 1977, le groupe subit un nouveau départ de poids, celui du guitariste Steve Hackett, qui était arrivé en 1971 à la place d’Anthony Phillips. Moins en vue dans les récentes sorties du groupe, globalement dominées par les claviers de Tony Banks, Hackett a vite ressenti le besoin de s’épanouir en solo, à l’instar de Peter Gabriel 2 ans plus tôt, ce qui explique son choix de quitter la bande après la tournée de Wind & Wuthering. Là encore, aucun remplaçant n’est recruté, et c’est le bassiste Mike Rutherford qui endosse le poste de guitariste. C’est donc en 1977 que Genesis est devenu le trio Phil Collins-Tony Banks-Mike Rutherford que le grand public connait. L’enregistrement du prochain album se déroule durant l’automne de cette même année, toujours sous la houlette de David Hentschel dont c’est la troisième collaboration avec le groupe, et après plusieurs mois de production, le disque sort en mars 1978, sous le nom évocateur And Then There Were Three, référence évidente au quattuor devenu trio.

Souvent considéré comme l’album de transition entre le Genesis « d’avant » et « d’après », And Then There Were Three combine en effet pas mal d’atouts des deux périodes. Certes, les durées des morceaux ont été significativement raccourcies et leurs structures sont moins alambiquées, mais on retrouve assez nettement l’ambiance des deux précédents disques sur des bijous comme Down And Out, Ballad Of Big ou Burning Rope, tous frissonnants de classe et tout de même dotés d’un sacré niveau instrumental malgré le format plus accessible. Et comment ne pas succomber au charme des balades prog telles Many Too Many, Undertow ou Say It’s Alright Joe, la patte Genesis est toujours là et offre des mélodies d’une beauté aussi magistrale que les Mad Man Moon, Ripples ou Blood On The Rooftops des albums précédents, un vrai régal. Cependant, si ces morceaux n’auraient pas fait tache sur A Trick Of The Tail et Wind & Wuthering, And Then There Were Three s’en démarque par ses moments plus clairement pop, se montrant plus accessible et immédiat que Genesis ne l’avait jamais été à l’époque (même si More Fool Me dès 1973 et Your Own Special Way en 1976, toutes deux chantées par Collins, s’en rapprochaient un peu). Évidemment impossible de ne pas parler de Follow You Follow Me que beaucoup considèrent, à juste titre, comme le premier morceau annonciateur du Phil Collins des années 80, et si on peut le trouver un peu plat par rapport aux standards du groupe, sa douceur charmeuse et son ritme berçant en font une vraie petite perle qu’on se surprend vite à aimer. Dans un autre registre, Scenes From A Night’s Dream met également un gros pied dans le Genesis du futur par son entrain et ses mélodies sucrées, même si la production encore très prog est là pour rappeler que le passé du groupe n’est pas encore si éloigné.

Sans tourner complètement le dos à ses prédécesseurs, And Then There Were Three marque tout de même une évolution importante pour Genesis. Certes il reste encore beaucoup de rock prog, et toujours de très grande qualité malgré un format plus accessible, mais le groupe semble prendre gout à la pop et on pouvait déjà deviner à ce moment que ça n’était qu’un début. Quoiqu’il en soit, bien que ce disque ait beaucoup de détracteurs, il n’en demeure pas moins gigantesque! Car au final, prog ou pop, les morceaux sont tous incroyablement bien écrits et exécutés, et plusieurs passages rivalisent en beauté avec les sommets des disques précédents, du très grand Genesis assurément! Par ailleurs, même si And Then There Were Three ouvre clairement la porte à l’évolution future du groupe, elle ne sera pas rapide pour autant. En effet, le suivant Duke, sorti en 1980, ne s’engouffrera pas totalement dans la brèche et alternera entre prog et pop d’une façon assez similaire à son prédécesseur, bien que l’arrivée de la fameuse gate reverb dans la batterie marquera une étape supplémentaire dans la transition « avant-après » de Genesis et de Phil Collins. Il faudra attendre 1981 et Abacab pour voir Genesis parachever le virage pop initié sur And Then There Were Three 3 ans plus tôt.