Blind Guardian – The God Machine

Artiste: Blind Guardian
Origine: Allemagne
Date de sortie: Septembre 2022
Genre: Power Metal
Label: Nuclear Blast

Les bardes germaniques de Blind Guardian sont de retour et leur nouvelle création suscite l’engouement. Bien que cet accueil chaleureux soit amplement mérité, il résulte paradoxalement chez certains auditeurs de préjugés et d’une grande injustice à leur égard, de mon humble point de vue. Je vais donc m’employer à vous expliquer en quoi cet album doit être aimé pour ce qu’il est réellement à mon sens, et en quoi il doit vous convaincre de replonger dans le reste de la discographie dite « récente »… ou même dans toute la discographie, si comme moi vous n’en avez jamais assez.

Il est d’abord utile de rappeler que Legacy of the Dark Lands, le dernier album où Olbrich et Kürsch officiaient ensemble, n’est pas à proprement parler un album de BG. C’est un album de l’entité nommée Blind Guardian Twilight Orchestra, et bien que l’on puisse aussi trouver cet album au côté des autres sur Spotify (logique commerciale indéniable, c’est la version sans interludes), on ne peut nier qu’artistiquement il est injuste de le considérer comme un album du quartet (BGTO ayant aussi sa page Spotify). Siepen et Ehmke n’étaient pas de la partie, mais c’est surtout un projet à part, qui mérite d’être jugé en tant que tel. Jugement très positif pour ma part, le talent des deux créateurs impliqués éclaboussant l’entreprise de fulgurances dont probablement peu de compositeurs metal sont capables quand il s’agit de ranger les guitares au vestiaire. Le vrai prédécesseur de The God Machine est donc Beyond the Red Mirror, album qui marquait brillamment le pinacle de leur évolution dite « Power Metal Symphonique ». Il s’agissait aussi d’une oeuvre importante pour le groupe puisqu’ils y développaient une histoire débutée sur Imaginations From the Other Side, à redécouvrir sur les morceaux Bright Eyes et And The Story Ends. Habitués à donner vie et puissance musicale aux histoires des autres, réelles comme fictives, les bardes savent aussi transmettre à travers leurs propres histoires les concepts qui les fascinent et les animent depuis leurs débuts.

Musicalement, on peut dire qu’en dehors des morceaux acoustiques ou d’obédience celtique, le groupe a toujours eu comme modus operandi d’amener le processus créatif à son paroxysme en accentuant tous les aspects de leur son pour qu’il prenne des proportions de plus en plus épiques. L’évolution qui mène de Battalions Of Fear à A Night At The Opera en témoigne, par exemple, certains amateurs jetant d’ailleurs l’éponge après cet album qu’ils jugeront parfois excessif dans ses innombrables pistes par morceau. Le batteur historique, Thomen Stauch, les quittera en effet juste après, en quête d’une approche musicale différente. Le groupe repartira donc avec quelques idées nouvelles sur l’album suivant (orchestrations ou instruments originaux par exemple, comme sur Turn The Page), et appliquera néanmoins le même schéma pour progressivement arriver à leur extraordinaire épopée de 2015, par delà ce fameux miroir rouge. En 2022 il est par conséquent raisonnable de dire que leurs aspirations symphoniques ont été menées à bien, en tout cas pour le moment.

Qu’apporte donc ce nouvel opus, qu’on peut légitimement deviner annonciateur d’un nouveau cycle ? Le retour aux sources attendu voire fantasmé par plusieurs commentateurs me paraît quelque peu simpliste.

Il est vrai que les riffs acérés sont de sortie, que plusieurs titres sont d’une vigoureuse célérité mais jamais Blind Guardian n’a abandonné ces éléments, ou plutôt leurs éléments. Ils ont sans cesse travaillé leur recette, ont très tôt forgé cette identité qui a fait d’eux une entité musicale reconnaissable entre mille. Ils ont ensuite persisté avec ces morceaux, en ont proposés avec parcimonie sur chacun de leurs albums mais ont évidemment développé d’autres aspects de leur identité sonore, faisant d’un certain type de ballades par exemple une autre marque de fabrique (Let It Be No More). Ce qui est certain, c’est que cet album est d’une efficacité redoutable, et que les titres rapides sont vraiment à tomber, notamment Violent Shadows. L’opus est court (même durée que A Twist In The Myth… qui pour moi jouait par ailleurs le même rôle dans leur discographie) et va dans un sens, à l’essentiel, sans pour autant renier la complexité et la richesse sonore développées depuis 30 ans. On peut même se laisser surprendre par des titres comme Life Beyond The Spheres ou Architects Of Doom. Sombres parfois, souvent inventifs, arrangés de main de maîtres, ces morceaux ne sont pas vraiment révolutionnaires dans l’oeuvre du groupe mais renouvellent leur son agréablement à ce moment précis de leur carrière. Ils pourraient d’ailleurs être les prémices d’un cycle axé sur une approche progressive et assez sombre du son de Blind Guardian, résolument moderne mais néanmoins fidèle à l’identité du groupe. Le titre Secrets Of The American Gods, plus convenu en apparence, est pourtant parfait : tout d’abord, il s’agit d’une chanson inspirée par un de mes livres favoris, ce qui ne gâche rien, et d’une première incursion dans l’univers de Neil Gaiman. Le riff qui répond à l’orchestration simple mais bien sentie est typique et pourtant excellent, et comme souvent on a le droit à un maelström d’émotions dans la voix de Hansi qui se termine dans une remarquable intensité. Et c’est bien là toute la beauté de se laisser emporter par un groupe bien-aimé : on est en territoire conquis, en terrain connu mais on a néanmoins toujours de nouveaux coins à explorer, ainsi que le regard tourné vers de nouveaux horizons.

C’est ainsi que je ne peux qu’encourager tout amateur de cet opus à redonner une chance si besoin aux albums post A Night At The Opera, voire à Legacy Of The Dark Lands, qui reste empreint du talent des deux compositeurs principaux (pensez aussi aux multiples participations de Hansi a différents projets, dont Demons & Wizards et Avantasia, où il apporte à chaque fois une identité vocale sans pareille) Sans compter ceux qui ont abandonné le groupe après Nightfall In Middle Earth, ou même avant… (allez savoir pourquoi!)

L’admirateur de Blind Guardian que je suis ne peut qu’espérer que des musiciens aussi cohérents et constants dans leur qualité artistique que ces Allemands puissent être appréciés à leur juste valeur et à leur juste mérite, après 38 ans de bons et loyaux services, toujours capables de sortir un album aussi abouti et efficace. L’essentiel reste bien sûr le plaisir de l’auditeur, et le mien est sans cesse renouvelé, que ce soit à l’écoute du Speed Metal thrashisant des débuts comme du Power Metal Symphonique plus récent. Ce nouvel album, synthèse habile des éléments que le groupe a sciemment choisi de mettre en avant, est suffisamment rafraîchissant pour ne pas donner l’impression de tourner en rond mais c’est aussi et surtout un album fidèle à l’identité du groupe, et cela me convient, idéalement.

Longue vie à Blind Guardian !