Artiste : Bob Seger
Origine : Michigan, États-Unis
Date de sortie : 1973
Genre : hard rock, blues rock
Note : 9,5/10
Après l’échec commercial de son album purement folk Brand New Morning en 1971, qui avait entrainé la rupture de son contrat avec Capitol, Bob Seger avait du repartir de très loin pour se reconstruire. Désormais signé chez le petit label Palladium, le natif de Detroit réussissait à relever la tête dès 1972 avec un Smokin’ OPs très réussi. Si ce 5ème disque était composé presque exclusivement de classiques blues et soul des deux décennies précédentes, Seger avait su les recuisiner à une sauce hard/blues rock plus contemporaine, au point que plusieurs morceaux pouvaient être considérés comme des compositions originales.
Fin 1972, Bob Seger est déjà de retour en studio pour l’enregistrement d’un 6ème disque. Il s’entoure pour cela d’une nouvelle équipe de musiciens, la Muscle Shoals Rhythm Section, qui le suivra durant une bonne partie de sa carrière, tout comme le saxofoniste Tommy Cartmell alias Alto Breed, futur membre du Silver Bullet Band qui accompagnera régulièrement Bob à partir de 1974. L’album quant à lui débarque dans les bacs en janvier 1973, dans une relative discrétion malgré le rachat du petit label Palladium par la Warner.
À bien des égards, Back In ’72 anticipe énormément la période dite classique de Bob Seger, celle allant de 1976 à 1980. On y trouve en effet ce blues rock purgé des éléments acidulés qui régnaient sur les 3 premiers disques, et qui sait se faire mélodieux et charmeur comme sur l’entrainant Rosalie (qui sera repris deux ans plus tard par Thin Lizzy) ou plus hard et brut comme sur le percutant morceau-titre Back In ’72 où la classe de Bob resplendit plus que jamais. Et si auparavant des morceaux comme Evil Edna (sur Mongrel, 1970) pouvaient déjà donner des frissons, c’est véritablement sur Back In ’72 que le registre plus heartland/folk poignant de Bob Seger décolle vers les cieux. Difficile en effet de résister à la beauté d’un bijou comme So I Wrote You A Song qu’on pourrait considérer comme le parfait trait d’union entre les balades country rock de la fin 60-début 70 et le futur heartland rock épique de Bruce Springsteen, un vrai régal! Et que dire de l’incontournable et légendairissime Turn The Page, sans aucun doute le morceau le plus marquant de l’album! Ce titre est un monument à lui tout seul, les mélodies sont d’une beauté à pleurer, la voix de Bob est irrésistible dans un registre plus rauque et mélancolique, le refrain qui arrive après une montée dramatique haletante est tout bonnement magistral, et le tout est sublimé par de délicates notes de saxofone disséminées tout au long de la chanson, que dire sinon que Bob Seger est bien le génie qu’on suspectait depuis ses débuts malgré les nombreux obstacles qui se sont dressés entre lui et l’apotéose.
Comme sur l’album précédent Smokin’ OPs, Bob se permet d’emprunter dans le répertoire d’autres artistes, mais choisit cette fois des contemporains plutôt que des anciens. I’ve Been Working, à l’origine un titre de Van Morrison, fait particulièrement forte impression, Bob en garde le côté funkisant mais l’insère dans un contexte moins folk rock et beaucoup plus hard et lourd, un véritable missile galvanisé par la voix puissante et sensuelle du patron. Stealer, emprunté à Free, officie globalement dans ce même registre hard groovy et musclé et se montre d’une redoutable efficacité. La troisième reprise, Midnight Rider du Allman Brothers Band, allège au contraire l’ambiance blues très sombre de l’originale et prend une tournure plus country rock et enjouée. À noter la présence sur ce titre de JJ Cale, alors encore à ses débuts discografiques. Cette légèreté, on la retrouve aussi sur certaines compositions originales, comme le très séduisant Neon Sky dont les mélodies fondent délicatement dans les oreilles, ainsi que le plus folk rock I’ve Got Time, dont la flute charmeuse et l’ambiance très aérienne rappellent que les années 60 ne sont encore pas si éloignées.
Brillant de bout en bout, aussi bien dans ses moments hard péchu que dans ses accalmies plus folk, Back In ’72 est sans aucun doute l’un des albums les plus sous-estimés de l’histoire du rock. Passé inaperçu à sa sortie, l’album ne bénéficiera pas non plus du succès ultérieur de Bob Seger, celui-ci ayant toujours prétendu de pas l’aimer et refusant jusqu’à aujourd’hui de le rééditer, à croire que certains génies sont incapables d’apprécier leur propre talent. Pour autant, l’incontournable Turn The Page parviendra à se frayer un chemin parmi les classiques ultimes du bonhomme grâce au succès de l’album scénique Live Bullet en 1976 sur lequel elle figure, un moindre mal même si bon nombre de morceaux de Back In ’72 auraient mérité un sort similaire. Plusieurs décennies plus tard, bon nombre de critiques s’accordent encore à dire que ce 6ème disque de Bob Seger est un joyau oublié et beaucoup de fans l’ayant découvert par internet réclament sa réédition. Espérons que ce plébiscite finira par faire changer d’avis le premier concerné.