Artiste : Saint Vitus
Origine : Los Angeles, USA
Date de sortie : 1986
Genre : Doom Metal
Dans la série des vieilleries du Metal qui m’obsèdent, j’ai nommé le désormais légendaire « Born Too Late » des non moins légendaires Saint Vitus.
Je dis « désormais » parce qu’en 1986, année de ma naissance et de la sortie de cet album, et grande année du Thrash s’il en est, Saint Vitus étaient loin d’être en odeur de sainteté.
Trop plombants, trop chelou pour s’imposer dans le Heavy Metal entièrement tourné vers les envolées lyriques d’Iron Maiden et de la NWOBHM.
Trop lents pour briller face aux armées de shredders en herbe qui bêlaient tout autour de la Baie comme des mouettes en rut au golfe du Morbihan, dans le sillage des Big 4.
Trop ternes et austères pour se démarquer des paillettes et de la grandiloquence de leurs voisins du Sunset Strip.
C’est simple, s’il y avait quelques recettes pour espérer faire du pognon en faisant du Metal à cette époque, les gars de Saint Vitus se sont probablement dit : « on va faire tout l’inverse ».
Et c’est exactement ce que dit cet album : ils sont nés trop tard, à une époque où les ambiances lourdes et sentencieuses et le groove enivrant du Tony Iommi originel ne font plus recette. Qu’à cela ne tienne.
Dès les premières notes de la chanson éponyme, le ton est donné : on est clairement à la genèse, dans les traces du grand Sabbath. Un riff lent, un accordage bas, une basse lourde et un rythme de batterie qui tombe comme un gong. On est pas ici pour faire le mariole, mon gars.
Les premiers mots de Wino (Scott Weinrich), qui vient de rejoindre le groupe pour entamer sa formation la plus canonique, transcendent immédiatement cette ambiance sentencieuse. Sa voix de prime aborde geignarde, est en fait l’élément qu’il manquait à Saint Vitus pour produire une alchimie aussi enivrante, un Magnum Opus. Voix geignarde certes, mais profonde, puissante et haineuse. Râpeuse comme les insultes confuses d’un pilier de comptoir qui t’apostrophe mollement à une heure bien trop avancée pour pouvoir prononcer une phrase entière de façon intelligible.
Wino en a gros sur les tripes, et le fait sentir à sa manière tout au long de l’album. Il se tape pas mal de ne pas être « bankable ». Il sait bien que le sausage club de la Bay Area le méprise. Et alors ?
They say my songs
Are much too slow
But they don’t know
The things I know
Des groupes de Metal qui se revendiquent être à la marge, différents, edgy, c’était déjà un cliché usé jusqu’à la corde à l’époque. Ici, c’est un des rares exemples vraiment sincères et pertinents, et c’est encore frappant de l’entendre aujourd’hui.
Wino chante l’alcool (Dying Inside), mais pas de façon cool et sociable ; point de « Sex, Drugs n’ Rock’n’Roll » ici, mais juste l’alcoolisme, le vrai. Cru et froid. Celui qui te déchire, celui qui ne fait pas rire, celui que tu n’as pas envie d’entendre.
Everybody that I have known
Has out cast me here
Drinking has wasted my life
And I’m dying inside
I feel twice as old as I am
I’ve lost what left of my mind
Wino chante la dépression (The Lost Feeling) de façon très explicite, il étale sa fragilité à une époque où faire du Metal signifiait implicitement se montrer viril et indestructible. Il regarde sa dépression en face au point de lui donner sa voix avec un cynisme à faire froid dans le dos.
You try to drown me
With alcohol and pills
But in the end, YOU are
The only one that kills
Cette voix chaude et poignante résonne aux tripes de l’auditeur, avec des paroles directes. Pas de métaphore ou d’hyperbole. La violence de Born Too Late n’est pas dans un torrent de riffs démoniaques ou de blast beats, elle est dans ce qu’il te dit, en te regardant droit dans les yeux, sans ciller.
Le tout toujours soutenu par cette basse ronde et percutante, cette batterie d’outre-tombe et la guitare de Dave Chandler qui assène des riffs lourds comme des coups de massue et balance des solos douloureux et contorsionnés. Des spasmes sonores, comme essayant de s’échapper d’une malle scellée et balancée au fond de l’océan.
Cet album est un mélange étrange d’énergie contenue, de colère froide et distillée, de désabus et de désespoir, mais aussi d’une coolitude incroyable. La lenteur, le groove et le côté détaché de la majeure partie de l’album en font un des efforts les plus badass de la musique Rock encore aujourd’hui. Certes, Born Too Late n’a pas le son ultra-lourd, bourré de fuzz, saturé jusqu’à l’écoeurement de leurs très, très nombreux (et excellents) rejetons. A un amateur ou une amatrice du Doom/Stoner/Sludge d’aujourd’hui, Born Too Late peut sonner austère à la première écoute. Mais tant d’ingrédients sont là qu’on peut (je pense) le considérer comme un second canevas de toute cette vague orthodoxe du Metal, comme Paranoid l’a été pour les débuts du Heavy Metal lui-même.
Dans l’univers coloré, hargneux et survolté des 80’s, Saint Vitus étaient avec leurs quelques compères du Doom naissant les marginaux, les cassos, les punk à chiens du Metal US. Les mecs qu’on n’invite pas aux soirées parce qu’ils préfèrent se défoncer à la 8.6 qu’à la coke. Rien d’étonnant à ce qu’ils trainent plus souvent avec les punks que d’autres groupes de Metal de l’époque.
En témoignent les trois dernières pistes de l’album tel qu’on peut l’écouter aujourd’hui, qui à l’origine étaient en fait sur un EP séparé sorti en 1990. Thirsty and Miserable, s’il a la patte indéniable de Saint Vitus, a un tempo légèrement plus rapide et un je-ne-sais-quoi de punk ; et pour cause, il s’agit d’une reprise de leurs potos de Black Flag avec qui ils tournaient à l’époque. De même, écoutez Look Behind You et osez me dire qu’il n’y a pas, derrière le voile de gueule de bois de Wino, cette énergie punk hardcore qui caractérisera peu après le son de certains petits gars de la Nouvelle Orléans.
Il est aujourd’hui plus qu’évident pour quiconque a lu Wikipédia que Saint Vitus, et en particulier le Saint Vitus de l’époque Wino, est une influence majeure de tout le mouvement Doom / Sludge / Stoner. Je ne l’ai réellement compris quand j’ai enfin écouté et ressenti dans mes tripes toute la force de cet album.
Born Too Late est un album profondément humain, direct et sans détour. Il est de ceux qui continuent à te hanter longtemps après avoir appuyé sur le bouton stop.
I know, I don’t belong
And there’s nothing that I can do
See, I was born
Born too late
And I’ll never be like you…