Dzanca

Artiste : Dzung

Origine : Vietnam

Date de sortie : 2021

Genre : Progressive Folk Metal

S’il y a une sortie qui me touche le plus en ce début 2021, c’est cette sortie de Dzung, frontman du groupe de prog vietnamien, Hạc San. Moins parce que c’est un album regroupant 10 chansons folks vietnamiennes arrangées en version prog metal, mais parce que c’est probablement l’œuvre de toute une vie malgré le jeune âge du musicien. Dzanca, c’est le rêve d’enfance, c’est l’histoire d’un petit garçon apprenant à jouer à la guitare électrique, l’histoire d’un jeune homme qui se cherche dans les mélodies qu’il fait chanter à sa guitare, l’histoire d’un homme qui souhaite apporter sa pierre à l’édifice culturelle nationale et à la musique, au sens plus large.Et pour cela, Dzung a mis toute son énergie et son ingéniosité dans l’écriture, l’arrangement, et la production de cet album, invitant plus de 20 musiciens de divers horizons et de tout âge sur l’enregistrement de l’album afin de rendre l’atmosphère folk le plus authentique et le plus présent possible sans négliger le côté catchy et fougueux, familier des arrangements metal.

Ainsi, nous retrouvons, parmi les invités les figures célèbres et/ou prometteuses de la musique vietnamienne comme Hải Phượng, la légende de cithare vietnamienne (đàn tranh, cithare de table vietnamienne, et đàn bầu, instrument monocorde de table), Jack Thammarat, guitare héro thaïlandais, le gagnant de l’émission Guitar Idol 2009, Trần Hoàng (clavier), Trang Chuối (cithare de table VN), Ngọc Lam (vocal), Thắng Trần (flûte et flûte traversière), Hà LazeKhương An et Nhím du groupe Chillies (Guitare), Taiko TeamYellow Star Big Band (l’ochestre jazz de cuivre dont le chef est Minh Nghĩa (Trompette)), Cường Nhóc du groupe Black Infinity et An Nam (batterie), Trần Hậu (batterie et percussion), Vinh Cóc du groupe KOP et Quang Lô (basse), pour ne citer qu’eux.

Dzanca est un opus foisonnant de détails, tant dans le contenu que dans le contenant car Dzung peaufine jusqu’au design de la pochette d’album, dessin qu’il a réalisé lui même, basé sur une série de peintures traditionnelles s’appelant Tranh Tố Nữ, série de peintures allant par 4 dessins de jeunes filles en habit ancien avec les instruments de musique traditionnels. Ici, Dzung s’en est inspiré pour dessiner 4 autoportraits portant 4 instruments traditionnels en version électrique dont le moon lute (đàn Nguyệt), une autre luth, ressemblant au moon lute mais avec une manche courte et 4 cordes (đàn Đoản), luth à trois cordes avec un corps trapézoïdal (đàn Đáy) et la luth Tỳ Bà (forme très ancienne de la luth pipa chinoise). La couleur bleue sur fond blanc cache aussi une signification, elle représente la couleur bleue (« lam » en vietnamien) des peintures spécifiques qu’on trouve sur de la poterie en porcelaine, produit traditionnel vietnamien.

Credit: Dzung
https://www.behance.net/dzung/projects

Avec tout cela, on se demande sûrement si l’homme n’est pas un peu mégalo! Peut-être. Peut-être pas. Mais ce qu’on ne peut lui retirer, c’est le fait d’être un mélomane et un musicien sincère, qui aime la musique traditionnelle de son pays passionnément!
Cette passion sera présente sur tout l’album et sera la colonne vertébrale qui relie les 11 pistes de l’album en une hymne aux chansons folks issus de ce morceau de terre en forme de S. Tout au long de l’album, nous retrouvons les berceuses populaires, les chants folkloriques nordistes (chants Quan Họ de Bắc Ninh, inscrit aux patrimoines culturelles immatérielles de l’humanité par l’UNESCO en 2009), les chants folks du Sud avec les morceaux commençant par « Lý » (chansons courtes des campagnes sudistes, souvent avec des mélodies joyeuses et dynamiques, racontant souvent la vie simple de la campagne).

L’album démarre laconiquement avec les notes de guitare lentes et tranchantes, sur les mélodies de Lý Qua Cầu (The River Afterglow), comme pour inviter l’auditeur à entrer dans ce monde où l’ancien côtoie la modernité, où la simplicité des mélodies côtoie la sophistication des arrangements; un monde rempli d’imaginaire et de créativité. Et cela tombe bien, puisque ce morceau, traduit littéralement, signifie « chanson de la traversée de pont », est une chanson folk qui n’en est pas vraiment une car elle a été composée d’abord en poème, basée sur les éléments de chanson folk sudiste, par le poète Bế Kiến Quốc en 1984, pour une participante à son atelier d’écriture de poème dont il était tombé amoureux. Dans le poème, il demande à la demoiselle de l’épouser (en vietnamien, traverser le pont veut dire se marier), bien qu’il soit très pauvre. Plus tard, le compositeur et interprète Trần Tiến va écrire une chanson basée sur ce poème, ce qui explique que le rythme de cette chanson est plutôt mélancolique et non pas joyeux, dynamique comme les autres chansons folks sudistes de ce style. Cette introduction laconique sonne comme une proposition de traverser la rivière au crépuscule pour embrasser le monde du rêve, à l’heure des histoires et des épopées après une journée de labeur; entrer dans un monde où le mythe épouse la réalité, l’élément très présent dans les mythes historiques vietnamiens, raconter l’histoire avec des motifs et détails fantastiques.

L’album s’enchaîne sur Xe Chỉ Luồn Kim (When The Seams Come Apart), morceau dont nous avons eu l’occasion de parler à sa sortie sur youtube, chanson folk nordiste relatant les sentiments d’une femme à destination de l’élu de son cœur en empruntant l’imaginaire d’un métier à tisser. Ici, avec les arrangements, les percussions répétitives et hypnotiques comme le son que peut faire un métier à tisser en bois nous transportent dans la salle de travail d’une femme entrain de tisser un manteau pour son mari qui doit partir à la guerre. Les riffs de batterie et de guitare réguliers comme ce travail répétitif sonnent comme les fils qui passent et repassent, d’abord lentement, légers comme un chuchotement dans la nuit, veloutés et plein de tendresse; puis la cadence s’accélère, s’intensifie avec le rythme effréné de la percussion. Le break soudain intervient comme un fil qui se tend trop et qui se rompe, réveillant la tisseuse de sa torpeur laborieuse, comme un mauvais présage. Mais le métier à tisser continue de tourner, tout comme la musique qui continue en s’intensifiant, accompagnée du son de la cithare, comme le flot de pensée de la femme vers son mari, s’adressant sa prière au ciel et à la terre afin que l’univers le protège pour la prochaine bataille. Mais déjà les tambours de guerre retentissent au loin avec l’intervention magnifique du Taiko Team pour clore cette première scène.

S’ensuivent les mélodies aériennes et amples de Trống Cơm (Beats Of Memories), ici la guitare est joyeuse et bondissante, la batterie ferme et décidée, tout comme la chanson folk nordiste, souvent chantée par les enfants, racontant l’histoire d’une femme enceinte à travers l’imaginaire du Trống Cơm (petit tambourin de forme oblongue qu’on porte pendant à partir du cou jusqu’à peu près au ventre, les deux faces latérales où il y a la peau sont enduits de riz chaud pour les tanner, d’où son nom). On imagine aisément la femme qui attend son mari parti à la guerre, perdue dans ses pensées, revoyant les moments les plus heureux qu’ils ont partagé ensemble. La batterie chevrotante vers 2:16 sonne comme les pas d’un enfant courant dans la cours après quelques animaux de la maison. Sous le préau de la maison, la femme a le regard perdu au loin, dans les souvenirs lointains, comme cette nappe de guitare qui s’envole et qui se perd dans le ciel. L’ensemble est dynamique mais empli de cette tendresse naïve que contient la chanson d’origine, les mélodies dansent et rebondissent au fil de la chanson, mais on aperçoit cette fin toute en subtilité qui illustre bien l’esprit des chants Quan Họ dont ce morceau est issu.

Le ton est adouci avec l’ensemble de guitare et de clavier doux comme un duvet de plume sur Cò Lả (A Line Across The Sky), berceuse folk nordiste exprimant le manque. Et ce manque est traduit par la lead guitare qui sonne comme des sanglots sur ce paysage. Comme dans la chanson folk, la femme se demande si, au loin, son mari pense à elle? Est-ce qu’elle lui manque? Parce qu’ici, dans le froid du paysage gris, son mari lui manque terriblement et elle est inquiète pour lui. Ce manque est lancinant comme le son du monocorde, đàn bầu qui intervient vers la fin du morceau, mélancolique et triste comme l’image de cette cigogne solitaire qui traverse le ciel gris d’automne en poussant des cris déchirants!

Lý Cây Bông (Questioning Mind) débarque comme une tempête avec le riff de guitare pressé, accompagné de la percussion, morceau rempli de breaks et d’enchaînements de riffs percutants comme des milliers de questions qui taraudent la femme inquiète pour son mari. La cithare intervient comme un éclair qui perce le ciel de tempête, une note de réconfort parmi ces questions sans cesse, à l’image de cette chanson folk sudiste parlant des fleurs qui parsèment les champs du Sud.

Après la tempête vient le calme, le calme de cette base lumineuse de clavier de Người Ở Đừng Về (Torn), chanson folk nordiste exprimant le déchirement des adieux, l’attachement envers celui qui part, est peut-être trop calme? Le rythme régulier du petit tambour de Trần Hậu qui mène ce morceau dans le fond nous prépare à l’éclatement. Cette affection et ces sentiments implacables qui hantent la personne qui reste explosent comme une tâche rouge dans le cœur avec l’envolée de guitare lancinante de Jack Thammarat en guest sur ce morceau. Sublime!

Puis arrive Còn Duyên (Hereafter), chanson folk nordiste parlant d’amour et d’engagement. L’ouverture composée comme une conversation entre la guitare et la basse avec la participation de Quang Lô est remarquable, comme un rappel de la forme de discussion de ces chants Quan Họ. Sur ce morceau, on a une magnifique démonstration du talent de l’artiste Hải Phượng à la cithare et au monocorde, les mélodies empreintes de cette tendresse propre à l’art musical du Vietnam. Les interventions vocales de Ngọc Lam illustrent bien le côté joyeux et l’âpreté des jeunes amoureux voulant s’engager sans plus attendre. L’ensemble hétéroclite des instruments se marie parfaitement bien sur ce morceau, lui donnant un côté joyeux, la joie et l’excitation que peut ressentir la femme en apprenant le retour prochain de son mari, la fin de la guerre s’approche et la lumière en elle se rallume.

Et justement, Đi Cấy (Light Of The Life) arrive apportant cette lumière, avec le chant du coq mêlé à la guitare et le clavier qui ouvrent le morceau. La flûte de Thắng Trần apporte, du même coup, l’atmosphère tranquille de cette scène de campagne, où la femme retrouvant la joie, se prête énergiquement à l’ouvrage. On l’imagine aisément être debout dès le premier chant du coq, quand la lune laisse encore son empreint dans le ciel pour aller travailler au champ. Le pas pressant comme les riffs rapides de la guitare tandis que la flûte est caressant, comme le vent qui fait onduler les pans de sa robe.

Laissons un instant la campagne paisible pour rejoindre le mari sur le champ de bataille. Lý Ngựa Ô (Ride The Darkness), chanson folk sudiste joyeuse parlant d’un chariot de mariage tiré par un cheval noir, transformée en un chant de victoire qui explose littéralement après le calme avec les percussions qui montent au fur et à mesure avant de laisser le ton à la chevauché sauvage de guitare, soutenue par cette percussion toujours dense et épaisse. Et même dans cette fusion d’instrument, Dzung arrive à faire une place pour la cithare qui tintinnabule d’abord, qui se tortille et qui s’envole littéralement ensuite, comme le drapeau de victoire de l’armée. La guitare est ondulante, multiforme, elle habite le mari, le soldat qui se bat vaillamment, avançant dans les rangs de l’armée adverse, évitant les coups, en donnant d’autres et s’en sorte en général victorieux.

Avec Bèo Dạt Mây Trôi (When Earth & Sky Unite), chant Quan Họ exprimant le manque qu’éprouvent les amoureux long temps séparés, Dzung donne la parole au mari qui, maintenant que la guerre est fini, pense à sa femme sur le chemin de retour. Toutes ses pensées et ses sentiments long temps réprimés explosent maintenant au son de la guitare. La trompette de Minh Nghĩa sonne le retour victorieux du mari au village, précédant l’annonce joyeuse de l’orchestre de cuivre Yellow Star Big Band, ouvrant la voie au cheval noir du général victorieux. Parmi toute cette démonstration guerrière, le son du monocorde de Hải Phượng se détache, s’élève dans l’air et sonne comme l’âme du pays qui habite chaque enfant de cette terre en forme de S, comme la tendresse qu’éprouve le mari pour sa femme qui, en son absence, patiente et gère tout le travail de la maison, même les travaux d’homme, dans la solitude.
Bèo Dạt Mây Trôi, traduit littéralement donne « les lentilles d’eau vont suivant le courant, les nuages vont avec le vent »; ces nués, l’un du ciel et l’autre de la terre vont au gré de la nature et inexorablement, vont se rencontrer à l’horizon. C’est ce que Dzung a souhaité exprimer dans ce morceau: tant qu’il y a de la vie, les êtres qui sont liés finissent par se réunir.

Les retrouvailles sont laconiques avec le magnifique outro basé toujours sur Lý Qua Cầu (The River After Dark), comme une continuité de l’histoire que nous avons commencé. Le même riff de guitare répétitif, d’abord accompagné uniquement par les castagnettes, sonne comme une entrée hésitante, la stupeur des retrouvailles qu’éprouvent tous ces gens qui ont épuisé tout leur espoir dans la longue attente qu’ils n’osent plus se toucher, de peur que l’autre s’évapore dans les airs. Ce duo de guitare et de castagnettes va bientôt être soutenu par la batterie ample, généreuse et le clavier ondulant, comme une explosion d’émotion des époux qui se retrouvent, comme une étreinte passionnée et solennelle, depuis long temps désirée. Ensemble, ils franchissent le pont de nouveau, comme d’heureux jeunes mariés et nous laisse devant les rideaux tirés.

Tout l’album est construit comme une pièce de chants traditionnel, Dzung donne la réplique au femme et au mari, à distance, les deux se conversent. Une intro qui invite l’auditeur à entrer dans l’histoire, un monde où le fantastique se mêle à la réalité, comme dans les contes qu’on raconte aux enfants autour du feu après la récolte, les choses improbables comme le mariage entre les instruments modernes et ceux traditionnels, comme l’arrangement métal de ces chansons folks. Pourtant, le pari est gagné! Dzanca mélange parfaitement la douceur des chants folks et la puissance du métal et ce mélange est possible avec l’infini fluidité que possèdent ces deux formes musicales. A travers ce monstrueux travail de composition d’arrangement, Dzung franchi encore une étape dans sa carrière, affirmant sa place méritée parmi des musiciens compositeurs confirmés du pays.