Moksha

Artiste : Dalit

Origine : Norvège

Date de sortie : 2021

Genre : Doom/Death

L’année commence bien avec de nombreuses sorties, à peine un mois écoulé. Parmi ces sorties, on notera le retour du mastodonte Accept dont l’album sera disponible dès le 29 Janvier. Mais pour l’heure, concentrons nous sur la sortie de Moksha, 3e album de Dalit, formation norvégienne jouant un doom/death mêlant à la fois la mélancolie sombre et rageuse des groupes anglais des années 90s et les mélodies froidement tortueuses malgré leur groove, propre à la scène scandinave. Quand on regarde de près, le nom Dalit ne dit peut-être rien à la plupart d’entre nous, mais le groupe a 15 ans d’existence derrière eux avec de nombreux concerts et 2 full lengths à leur actif.Entrons donc dans l’univers sombre de Dalit, où l’aventure de la vie n’est qu’un long voyage, depuis la naissance jusqu’à la délivrance finale et où tout acte de consommation, de cruauté, de discrimination, toute la frénésie humaine, l’asservissement des uns et des autres, qui meublent ce voyage sont vains, futiles et sources de souffrance!

Roue du samsara, cycle de réincarnation.
Credit: robertharding / Alamy Stock Photo


Avec ce troisième album, le groupe propose d’aborder le Moksha, la délivrance finale du Samsara, cercle de réincarnation. L’ultime stade de la vie de l’âme, stade où elle est enfin libérée, élevée et peut jouir d’une existence purement spirituelle, sans souffrance et sans toute forme de passion humaine. Ces dernières années on voit (re)fleurir bon nombre de groupes qui traitent de ces thèmes (cycle de réincarnation, élévation de l’âme, réintégration entre corps et esprit, etc.) à travers leur musique, la philosophie dans les paroles, allant jusqu’aux noms des groupes et transpirant même à travers leur esthétique visuel. Chez Dalit, malgré ce titre d’album, point d’éléphant, point de dessin de Shiva faisant les gros yeux avec sa longue langue menaçante et ses mains gesticulants, point de couleurs chatoyantes non plus. Juste une porte vers un extérieur inconnu mais habité de lumière. Là, vous allez me dire: « Mais wesh, ils font du doom/death, pas du doom stoner! » En fait, vous n’y êtes quand même pas. Ils ne sont tout simplement pas dans ce courant philosophique là. J’avoue que j’ai faillit me faire avoir aussi au vu du nom du groupe et du titre de cet opus.

Mais le titre du premier morceau de l’album, Sons of Adam, Daughters of Eve, met la puce à l’oreille. En effet, Moksha n’est qu’un nom d’emprunt pour parler de l’au delà, le nirvana des bouddhistes, et surtout le paradis chrétien, l’endroit où l’humanité sera libre de toute souffrance. Dalit, ce terme désigne les intouchables dans le système des castes indiennes, la caste la plus basse, ces gens qui ne sont rien, qui occupent des métiers dont personne ne veut, ces gens qui ont une existence rempli de misère et d’injustice; et nombreux sont des dalits qui se sont convertis au christianisme parce qu’ils trouvent dans cette religion un moyen de s’émanciper du système de caste et aussi une promesse d’un au-delà plus heureux car le dieu miséricordieux aime les pauvres et les opprimés: « Ils sont les premiers à être bénis et à être assurés de recevoir le royaume » (Luc 6:20) plutôt que de subir les cycles de réincarnation, parfois infinis, hindouistes.

Fermières dalit
Credit: https://www.thebetterindia.com/120282/dalit-women-farmers-marathwada/

Alors Moksha, c’est la délivrance, l’album est une fable sur la vie humaine, cette période entre la naissance et la mort où l’humain peut faire des choix et peut consacrer sa vie à faire des choses, contribuer (ou pas) à faire progresser l’humanité. L’album démarre en douceur avec les jolies notes du piano avant de s’éclater littéralement en riffs de guitare agressifs et voix gutturale, comme la genèse d’une existence humaine qui, de toute façon, sera remplie de souffrance, comme cette malédiction proférée à l’encontre d’Adam et d’Eve, ce couple de pêcheurs originels. Le morceau sera ponctué de passages tout en douceur avec chant clair et piano, comme pour ponctuer toute cette souffrance de quelques éclaircis d’espoir.

Ce sera la trame générale pour cet album apocalyptique, entre riffs ravageurs, percutants, martelant lourdement comme le sabot des légions de chevaux venant tout droit de l’enfer; voix gutturale, rauque qui nous traîne vers les profondeurs poisseux de l’enfer des vanités humaines et les passages calmes, doux comme du baume sur une blessure long temps infectée, ponctués par des voix clairs, des envolées éthérées des instruments qui s’entremêlent harmoniquement.
On notera l’influence des premiers Anathema et My Dying Bride par-ci par-là et surtout ce riff de guitare lancinante qui vous fout la chiale à la MDB sur Anthem et Hallways of Sadness, point culminant de l’album.Le voyage se termine sur les notes lentes et épiques de Fra Jord til Støv, magnifique hymne à l’humilité, à l’abnégation devant la grandeur de la nature, de la vie elle même. Le groupe nous gratifie ici d’un magnifique envolé de violon majestueux de douceur. L’harmonie entre lourdeur, lenteur et douceur, légèreté est parfaitement maîtrisée pour ce morceau appelant à abandonner toute vanité car poussière, tu redeviendras poussière (ma traduction du titre – ne me lynchez pas si j’ai mal traduit, je ne suis que poussière).

Ce morceau qui ferme cette fable de la vie humaine sur une note appelant à la raison, au retour de l’essentiel: nous sommes des êtres de passage et les rêves mondains de l’humanité se reposent sur du non-durable. « Un jour, même les plus belles cathédrales retourneront à la poussière » (Galate 5,22-23), alors reconsidérons nos priorités, retournons nous vers les valeurs sûres que sont l’amour, la joie, la patience, la bonté, la fidélité, la douceur et la tempérance. Cette magnifique tempérance qui a traversé cet album de bout en bout!

Dalit signe là un très bel album, avec beaucoup plus de variations comparé à son précédent, le voyage en enfer qu’est Descent (qui est déjà d’une beauté ténébreuse et rocailleuse). On remarquera une qualité supérieure dans les compositions et de belles interventions harmoniques du clavier et du violon qui ponctuent l’album de percées éthérées de lumières dans le marais poisseux de la condition humaine.