Artiste : Prong
Origine : New York, États-Unis
Date de sortie : 1994
Genre : groove/indus/proto-nu metal
Note : 9,5/10
Après un premier album très ancré dans le thrashcore du milieu 80, Prong a pris son envol en enchainant deux disques de haut niveau, Beg To Differ en 1990 et Prove You Wrong en 1991. Ce dernier simbolisait d’ailleurs parfaitement la transition entre années 80 et 90 avec ses forts restes thrash-crossover d’une part et ses côtés plus dansants et electro-indus d’autre part, qui auront une influence profonde sur les courants métalliques ultérieurs. Comme on pouvait s’y attendre, le groupe ne compte pas en rester là dans sa démarche. Ainsi le récent départ du bassiste Troy Gregory, remplacé par Paul Raven de Killing Joke, conjugué à l’arrivée de John Bechdel, claviériste de Murder Inc (projet indus réunissant des membres de Killing Joke, Ministry et Public Image Ltd) semble indiquer un éloignement encore plus important des racines thrashcore et une amplification des éléments post-punk et indus. Dans la même période, le groupe met fin à sa collaboration avec le producteur des deux précédents albums Mark Dodson, et s’adjoint les services de Terry Date, qui avant cela avaient travaillé avec quelques gros noms du heavy/thrash metal (Pantera, Overkill, Liege Lord, Sanctuary, Chastain…) et des scènes alternatives (Mother Love Bone, Soundgarden, Fishbone, Screaming Trees, Mind Funk…). Des précédents albums, il ne reste donc que le chanteur-guitariste Tommy Victor et le batteur Ted Parsons. Les sessions d’enregistrement se déroulent durant l’année 1993, et la sortie de ce quatrième effort tant attendu, baptisé Cleansing, arrive finalement en janvier 1994.
Prong ouvre les hostilités en terrain connu avec un Another Wordly Device thrash-groove reprenant parfaitement le côté dansant amené par Prove You Wrong, la barre est placée très haut d’entrée. Arrivent ensuite deux tubes dévastateurs qui ont largement contribué à faire la réputation du groupe, Whose Fist Is This Anyway et Snap Your Fingers Snap Your Neck. Jamais le groupe n’avait sonné aussi accessible jusque-là (même si le morceau Prove You Wrong pointait déjà dans cette direction), les riffs et la ritmique sont plus dansants et tribaux que jamais (Killing Joke n’est pas loin), sans perdre le mordant des débuts, et les refrains sont imnesques au possible, deux véritables bombes! Et ce n’est pas fini! Revenant à un style plus thrashy et brut, Cut-Rate distribue les mandales par paquets de 20 avec ses riffs en acier trempé et sa hargne destructrice, un missile qui montre que Prong est toujours capable de tabasser malgré ses aventures indus! Et que dire de Broken Peace, devenu depuis un classique! Si son côté lancinant et presque pré-néo metal n’a pas du plaire à tout le monde, ce titre est en tous points excellent, les riffs sont tous plus efficaces les uns que les autres et le groove est plus envoutant que jamais, impressionnant! On retrouve également cette orientation pré-néo, combinée à un riffage plus thrashy, sur le morceau final Test, un autre missile avec une ambiance plus sombre que sur le reste de l’album.
Prong se montre également très inspiré dans un registre moins dansant et plus clairement groove metal, comme le montrent les redoutables Out Of This Misery ou Home Rule, deux titres qui évoquent ce que faisait Pantera à la même période (à noter que Prong ouvrira pour Pantera durant la tournée commune de Far Beyond Driven et Cleansing). Et lorsque ce côté groove metal se combine à des mélodies plus planantes inspirées du post-punk, on obtient One Outnumbered et No Question, qui bâtissent parfaitement sur les ébauches expérimentales de Prove You Wrong et offrent autant de riffs efficaces que de refrains Killing Jokesques savoureux. Et puisqu’on parle de la bande à Jaz Coleman, difficile de ne pas entendre son influence sur l’excellent Not Of This Earth, un titre presque purement post-punk où Prong se fait plus envoutant que jamais, un véritable bijou! Mais le groupe peut encore aller plus loin dans la mélodie comme le montre le bien-nommé Sublime! Ce titre est tout bonnement extraordinaire, sorte de garage rock 60s passé à la moulinette du post-punk et du noise rock, et doté d’un charme fou, magistral!
C’est donc un véritable chef d’oeuvre que signe Prong avec ce gigantesque Cleansing! Déjà très inspiré sur ses deux précédentes livraisons, le groupe franchit un cap et atteint la consécration avec un disque brillant de bout en bout, alliant parfaitement les riffs acérés et la hargne hérités des origines metal et hardcore et le côté plus mélodique et dansant, résultats des influences post-punk et indus. Il n’est d’ailleurs pas étonnant de voir la bande à Tommy Victor citée en influence par des groupes comme Nine Inch Nails ou Korn.
Bien que relativement accessible et tubesque comparé à ses prédécesseurs, et malgré un contexte très favorable au groove metal et à l’indus, Cleansing n’aura pas le succès massif qu’on aurait pu attendre, ce qui ne l’empêchera pas d’atteindre un statut culte avec les années, devenant l’un des albums les plus emblématiques de cette époque. C’est néanmoins ce manque de succès commercial qui provoquera la séparation du groupe deux ans plus tard, non sans avoir offert un ultime petit bijou avec Rude Awakening en 1996, qui conclura de fort belle manière la première époque de Prong.