Artiste : Thin Lizzy
Origine : Irlande
Date de sortie : 1977
Genre : hard rock, heavy metal, blues rock
Note : 9,5/10
Dès le premier morceau Soldier Of Fortune, on remarque à quel point l’absence de Robertson n’a pas affecté les doubles guitares caractéristiques du son Lizzy, de quoi immédiatement rassurer l’auditeur même si le groupe a connu de meilleurs démarrages. La machine ne se met réellement en route qu’au moment du morceau-titre Bad Reputation, et là aucun mot n’est assez fort pour décrire une telle claque! Alors qu’il avait plutôt mis le matraquage de double pédale de côté depuis Ballad Of A Hard Man, Brian Downey ravive ses instincts les plus féroces et imprime une ritmique aussi groovy que dévastatrice, une base idéale pour les riffs thrashy fracassants de Scott Gorham et la voix sauvage de Phil Lynott, sans aucun doute l’un des titres les plus agressifs jamais écrits par le groupe, sans pour autant perdre le fond de chaleur blues qui transpire de la musique du groupe! Plus loin, la facette métallique rejaillit à nouveau sur Killer Without A Cause, un heavy corrosif qui sonnerait presque NWOBHM avant l’heure (pas pour rien que John Sykes des Tygers Of Pan Tang a été recruté par Thin Lizzy 5 ans plus tard). Et quand la hargne heavy s’allie à l’élégance du hard rock européen, ça donne l’extraordinaire Opium Trail et son atmosphère dramatique, pétri de riffs de grande classe, et surtout sublimé par le chant viscéral de Phil Lynott qui hurle toute sa mélancolie et sa rage, un vrai bijou!
Au rayon des titres plus chatoyants, on est à nouveau servi, bien que l’album soit globalement moins romantique et plus sombre que Jailbreak. Difficile en effet de ne pas être séduit par le groove jazzy tout en finesse et en sensualité de Dancing In The Moonlight, surtout lorsque le saxofoniste de Supertramp lui-même, John Helliwell, donne la réplique à Phil Lynott dans un refrain des plus irrésistibles, un grand moment d’extase! De son côté, Southbound offre à nouveau ces mélodies légères mais terriblement touchantes dont Thin Lizzy a le secret, tandis que le somptueux Downtown Sundown rappelle Fight Or Fall par son ambiance plus contemplative, l’aisance de Phil Lynott dans une grande variété de registre est toujours aussi épatante. Seul titre où Gorham et Robertson jouent ensemble en direct, That Woman’s Gonna Break Your Heart est logiquement garnie de doubles guitares admirablement arrangées, l’ambiance se rapprochant quant à elle de la naïveté attendrissante qui dominait sur Nightlife. L’album se conclut sur le magistral et dramatique Dear Lord qui voit Phil Lynott appeler son Seigneur à l’aide avec une sincérité poignante, bien soutenu par les mélodies de guitare amères de Gorham, on ne pouvait rêver de plus beau final.
Fragilisé par le départ plus ou moins acté de Brian Robertson, Thin Lizzy a comme d’habitude répondu présent et signe un disque de très haut niveau, probablement l’un des meilleurs de sa carrière. Nettement moins funky que Johnny The Fox et moins charmeur que Jailbreak, Bad Reputation dégage une viscéralité autentique qu’on aurait peine à trouver ailleurs, que ce soit dans ses moments de décharge de violence ou ses maussades accalmies. Fruit d’âmes tourmentées par leurs démons et leurs excès, ce huitième album simbolise tout ce qui a fait la grandeur et la décadence de Thin Lizzy, et illustre à quel point l’auto-destruction peut être diaboliquement créative.
Le public sera séduit par ce nouvel effort et en particulier l’irrésistible Dancing In The Moonlight, un succès qui ouvrira notamment à Thin Lizzy les portes du festival de Reading. Les performances scéniques du groupe seront si monumentales qu’un album live sortira moins d’un an après Bad Reputation, l’incontournable Live And Dangerous, qui cimentera encore un peu plus la place des Irlandais parmi les légendes, tout comme l’album Black Rose qui suivra.