Silence/Motion

Artiste : Blackwater Holylight

Origine : Portland, Oregon, USA

Date de sortie : 2021

Genre : Rock Progressif

C’est toujours piégeux d’attendre la nouvelle sortie d’un groupe qu’on adule. La hype qui peut s’essouffler, la peur d’être déçu, les attentes un peu trop égoïstes du fan qui s’attend à trouver la même chose qu’avant, mais en mieux… Plusieurs ingrédients, plusieurs biais qui peuvent me faire rater une expérience d’écoute quand le sésame tant attendu arrive enfin.

Blackwater Holylight sont heureusement de ces groupes qui savent surpasser mes inquiétudes tout en ne me servant pas ce que j’attends. Si le line-up de ce groupe entièrement féminin a légèrement bougé depuis leur formation en 2016, l’épine dorsale reste centrée sur la bassiste/guitariste et chanteuse Allison « Sunny » Faris, la guitariste Mikayla Mayhew, et la claviériste Sarah McKenna. Eliese Dorsay est batteuse depuis le second album et elles sont actuellement renforcées par la guitariste de session Erika Osterhout pour les Live.

De gauche à droite : Mikayla Mayhew (guitare), Sarah McKenna (claviers), Sunny Faris (basse/chant), Erika Osterhout (guitare live), Eliese Dorsey (batterie).
Image Copyright : Blackwater Holylight

Découverte toute récente pour moi, j’étais tombé sous le charme de leurs deux premiers albums mêlant Stoner, Grunge, Psych Rock, Dream Pop et Doom, leur parfait mélange de gros riffs qui déhanchent et d’harmonies vocales féeriques. Je m’attendais donc à des tubes Heavy Rock, comme le missile Motorcycle de leur précédent album Veils of Winter.

Mais le parti pris sur Silence/Motion est différent. C’est un album beaucoup plus intimiste, dont la puissance se révèle à travers d’autres mécanismes.

L’ouverture se fait en douceur sur les premières notes de Delusional; quelques arpèges doux et du synthé aux accents de violons, pour amener un riff rond et posé où la basse domine clairement. Sunny chante seule de sa voix douce… Très vite accompagnée du feulement saturé de Bryan Funck (Thou), ce qui produit son petit effet ; le groupe armé de ce guest de choix arrive à nous faire une ouverture avec la douceur caractéristique de Blackwater Holylight, mais avec une énergie débordante qui couve. Même patte, approche différente : pas de riffs de guitare grungy pleins de fuzz mais un riff de basse dominant, pas de chant des sirènes en choeur mais un trio voix féminine – synthé – chuchotement saturé.

Ce sont sous ces premières augures que j’avais abordé l’album lorsque ce titre est sorti en teasing. Une vibe qui se reconnaît mais sans se répéter. Cool. J’étais alors loin de m’imaginer la portée de l’album complet.

Car la seconde piste Who The Hell saute directement hors des sentiers battus avec un riff de synthé très typé 80s qui emmène la chanson vers un terrain Krautrock sur lequel se pose cette basse vrombissante, et les riffs chauds et tout en retenue de Mikayla. Une chanson aux accents dark pop, progressive, structurée par les synthés de Sarah qui ouvrent une toute autre dimension à la palette du groupe.

Si vous me lisez de temps en temps vous savez que j’abhorre l’exercice de chroniquer un album en détaillant chanson par chanson. En tout cas je n’aime pas écrire ainsi. Mais pour Silence/Motion mon dilemme est grand car il y a tant à dire sur de tout petits détails; chaque chanson a son identité propre et apporte une petite touche, mais l’ensemble est harmonieux et mémorable.

L’album alterne entre morceaux « doux » comme Around You, un tube pop catchy complètement sublimé par les claviers acidulés, ou la complainte mélancolique de Falling Faster, et des morceaux plus intenses, avec des montées en puissance comme le titre éponyme Silence/Motion, véritable manifeste de beauté poignante. En écoutant cette chanson, on ne peut s’empêcher de penser à Emma Ruth Rundle ou Chelsea Wolfe, non que la voix de Sunny y ressemble tant mais dans la sensibilité à fleur de peau qui s’en dégage, et dans la construction qui démarre sur quelques arpèges et le chant seul pour finir en douces explosions de riffs.

On s’en rend vite compte à l’écoute, l’ambiance est à la fois plus onirique et plus pesante que sur les précédents opus, le son plus profond et tendu. Les paroles, les arrangements et les mélodies s’en ressentent, notamment dans les moments d’intensité comme le chef-d’oeuvre MDIII, titre céleste où Sunny porte littéralement son âme à nu et subjugue la vôtre au passage jusqu’au final à la puissance sourde et aux riffs en trémolos. Le morceau final, Every Corner, offre une apothéose très Métallique à l’album avec les chants saturés de Mike Paparo (Inter Arma) et de A.L.N. (Mizmor) himself, qui est le producteur de l’album et dont on sent l’influence Black/Doom jusque dans le riffing.

Sunny, la patronne. Un groupe à voir en live absolument.
Image Copyright : Blackwater Holylight

Silence/Motion ne laisse aucun doute : c’est bien un album de Blackwater Holylight, reconnaissable dès la première mesure. Et pourtant il ne ressemble pas du tout aux précédents albums. Plus prog, plus atmosphérique, plus romantique et plus Metal tout à la fois, le groupe a trouvé une nouvelle maturité. Fidèle à ses racines, mais s’envolant au-delà du bitume chaud et des riffs saturés des débuts.

L’album est une poésie douce-amère, l’œuvre la plus personnelle de Blackwater Holylight. Une oeuvre sur la douleur, la fragilité, et sur la résilience. C’est un très, très grand album qui mérite toute votre attention, de préférence plusieurs fois de suite, et dans de bonnes conditions d’écoute. Faites-vous cette faveur et adoptez Blackwater Holylight.