The Killers – Pressure Machine

Artiste : The Killers

Origine : Nevada, États-Unis

Date de sortie : 2021

Genre : heartland rock, folk rock, pop rock

Note : 8/10

Quiconque a écouté tous les albums des Killers depuis leurs débuts a certainement remarqué une nette américanisation de leur stile au fil des années. Alors que leur premier album Hot Fuss (2004) sonnait parfois plus britannique que la britpop elle-même, le segond Sam’s Town (2006) s’en démarquait déjà par l’ajout (pas toujours pleinement maitrisé) de sonorités heartland rock héritées de Tom Petty ou Bruce Springsteen, sans pour autant éliminer les bases britpop et new wave. Le groupe est par la suite parvenu à trouver un bon équilibre entre ses tendances anglaise et américaine, offrant ces dernières années deux splendides albums, Wonderful Wonderful en 2017 et Imploding The Mirage en 2020.

Un événement va cependant bousculer cet équilibre, nul besoin de préciser lequel. Durant l’année 2020, Brandon Flowers profite de l’isolation induite par le contexte sanitaire pour explorer les souvenirs de son enfance passée dans une petite ville de l’Utah, ce qui lui inspire l’écriture d’un album plus intimiste et teinté de folk rock américain. Cette démarche n’est évidemment pas sans rappeler celle de Bruce Springsteen sur Nebraska en 1982, et c’est donc sans surprise que Flowers mentionne le légendaire album du Boss parmi les principales sources d’inspiration de ses nouvelles compositions. Les autres membres du groupe le suivent dans cette idée, dont le guitariste Dave Keuning absent du précédent disque, le bassiste Mark Stoermer ayant lui été contraint par le contexte de prendre ses distances, et c’est ainsi que petit à petit le prochain album prend forme. La presse et le public sont évidemment surpris à l’annonce de la sortie imminente d’un nouveau disque si tôt, et ce bien que le groupe ne soit en réalité pas le seul à augmenter significativement sa productivité en studio depuis le début de l’épidémie et donc de l’annulation de concerts. Produit par Jonathan Rado et Shawn Everett comme son prédécesseur, ce septième disque, batisé Pressure Machine, débarque finalement sur toutes les plateformes en août 2021, soit à huit jours près un an après la sortie d’Imploding The Mirage.

West Hills ouvre le bal dans un registre aérien et grave évoquant l’ouverture de Wonderful Wonderful, mais dans une ambiance moins synthpop et plus folk, matérialisée par l’usage de divers instruments traditionnels, une entrée en matière particulièrement poignante qui donne le ton de l’album. Comme attendu, les aspects les plus folk et heartland rock sont bien plus présents qu’à l’ordinaire, de façon à coller le mieux possible à l’atmosfère d’une petite ville du coeur des États-Unis. Dans ce domaine, Quiet Town tape particulièrement juste avec ses mélodies touchantes, son harmonica, et surtout la voix sublime de Flowers toujours aussi irrésistible, sans aucun doute un des meilleurs titres de l’album. Plus loin, Cody atteint quasiment les mêmes sommets, misant cette fois plus sur la guitare et amplifiant encore le côté springsteenien pour un résultat particulièrement chargé en émotion et tellement crédible qu’on a peine à croire que les Killers ont joué des morceaux plus britpop ou post-punk dans leur carrière.

Si les titres précédemment évoqués restent très rock, c’est nettement moins le cas des folk plus épurés et nebraskesque Terrible Thing, The Getting By ou Runaway Horses (chantée en duo avec Phoebe Bridgers), jamais les Killers ne s’étaient aventurés si loin dans cette direction et ils s’y montrent très adroits, la voix de Flowers étant comme toujours un atout majeur à la beauté des morceaux. Également très folk dans l’ame, Desperate Things se démarque cependant par l’usage de la guitare électrique au lieu de l’acoustique, tout en renouant avec l’ambiance grave de West Hills, un bon morceau, rappelant un peu l’expérience folk électrique de Neil Young sur Le Noise. À mi-chemin entre les moments plus heartland rock et ceux plus purement folk, on trouve Pressure Machine où le fausset de Flowers et les airs de violon font des merveilles, une vraie petite perle qui s’impose comme l’un des titres les plus marquants de l’album. Sleepwalker et In Another Life officient également dans ce registre folk rock « médian », et se montrent agréables à défaut d’être transcendantes. De son côté, In The Car Outside surprend par ses quelques sonorités synthpop/new wave rescapées des disques précédents, une sorte d’écho d’Imploding The Mirage, ce qui ne l’empêche pas de coller relativement bien à l’ensemble en plus d’être réussi. Signalons enfin que les morceaux sont entrecoupés de courts témoignages d’habitants de l’Utah rural, allant d’anecdotes légères sur les rencontres amoureuses au lycée aux drames locaux (drogues dures, suicides), renforçant ainsi l’autenticité et la force de l’album.

Sans être le meilleur disque des Killers, Pressure Machine séduit par son charme local et sa simplicité, assez loin du ton héroïque et grandiloquent de ses prédécesseurs. La fase introspective étant souvent un passage obligé chez les artistes heartland rock et dérivés, Brandon Flowers honore parfaitement la tradition, s’inspirant des plus grands sans pour autant les imiter, à l’instar de Brian Fallon (ex-chanteur du Gaslight Anthem) et son album folk sorti un peu plus d’un an avant. Si certains fans historiques pourraient être déçus de ce virage, qu’ils se rassurent puisque, de l’aveu des membres du groupe eux-mêmes, cette expérience folk rock n’est qu’une parentèse avant de revenir prochainement à des sonorités plus proches des autres disques.

À sa sortie, Pressure Machine a reçu un accueil globalement très chaleureux, beaucoup saluant le réalisme et l’autenticité avec lesquelles l’atmosfère des petites villes du heartland américain a été transcrite, aussi bien dans les paroles que la musique. Au delà de la qualité intrinsèque de l’album, il est toujours plaisant de voir un artiste suivre ses propres ressentis à l’instant T plutôt que coller à une formule pré-établie et adaptée à un public cible, c’est ce qui fait vivre une discografie et la rend si intéressante à suivre, en espérant que celle des Killers offrira encore d’autres grands moments dans les années à venir.