Acte I: Blues rock, heartland rock
Album 4 : Sanctuary
Artiste : The J. Geils Band
Origine : Massachussetts, États-Unis
Après avoir passé en revue les albums décisifs des trois plus grandes figures du heartland rock des années 80, on s’éloigne logiquement de ce mini-courant pour aller en territoires blues rock moins épiques, mais pas plus traditionnels pour autant. Direction le Massachussets donc et parlons de l’une des figures les plus emblématiques de cet état, le J. Geils Band! En 1978, le groupe est loin d’être novice, son premier album date déjà de 1970, et ses prestations scéniques survoltées lui ont bati une solide base de fans. Néanmoins, bon nombre d’entre eux, ainsi que des critiques de l’époque, s’accordent à dire que les albums studio de la bande, bien que de qualité très respectable, sont loin d’être aussi marquants que leurs concerts, offrant souvent quelques morceaux de génie perdus parmi d’autres plus anecdotiques et souvent trop r’n’b traditionnels pour une décennie aussi créative que les années 70.
La tendance semble cependant s’inverser à la sortie de Monkey Island en 1977. Pour la première fois, le groupe se montre plus ambitieux, et si le succès n’est pas encore au rendez-vous, il n’est désormais plus question de se cantonner au blues rock standard. Viré du label Atlantic, le groupe signe chez EMI en 1978 et entame peu après l’enregistrement de son huitième album studio, Sanctuary, qui sort en novembre de la même année. Et même si ses membres ne s’en doute probablement pas encore, le J. Geils Band est alors à l’aube de l’ère la plus faste de sa carrière!
Difficile pourtant de cibler précisément ce qui a vraiment changé dans la musique du groupe. La base de Sanctuary reste en effet très blues rock/r’n’b, certes avec quelques colorations pop plus contemporaines, mais rien de révolutionnaire d’un point de vue stile. Qu’a donc Sanctuary que n’avaient pas ses prédécesseurs? La réponse est simple: des chansons incroyables. Alors que le gros du répertoire de la bande était jusque là plutôt conventionnel, on trouve ici des morceaux nettement plus murs, plus marquants, plus mémorables. Comment ne pas céder à la beauté de One Last Kiss, seul single extrait de l’album, dont les mélodies soignées et quasi-heartlandesques surpassent à peu près tout ce que les disques précédents pouvaient offrir. Que ce soit la voix de Peter Wolf, les airs de guitare rêveur de John Geils, la basse claquante de Danny Klein ou l’incontournable harmonica de Richard Salwitz, tout est sublime! Et que dire de la magistrale balade I Don’t Hang Around Much Anymore, frissonnante du début à la fin, qui mériterait de figurer parmi les grands classiques de cette époque tant elle est prodigieuse, là encore rarement le groupe s’était hissé à un tel niveau. Par son attrait pop charmeur et son final plus ambitieux, I Can’t Believe You évoque à la fois les envolées épiques de Monkey Island et l’orientation plus expérimentale prise sur l’album suivant Love Stinks, sans aucun doute un des moments les plus marquants du disque. Et tant qu’on parle de Love Stinks, le très dansant Wild Man s’en rapproche encore plus avec son entrain disco d’une redoutable efficacité, à se demander pourquoi il n’est pas également sorti en single. Le morceau-titre Sanctuary frise même le hard rock et n’aurait pas fait tache dans un album de Blue Öyster Cult, tant dans le chant plus hargneux que le ritme plus incisif, un registre dans lequel Geils et sa bande s’étaient assez peu aventurés avant mais où ils s’illustrent à merveille.
Sanctuary n’est certes pas comparable à un Darkness On The Edge Of Town en terme d’impact sur la décennie 80, mais il constitue néanmoins un tournant décisif dans la carrière du groupe. Sans révolutionner sa formule, le J. Geils Band hausse significativement la qualité de ses compositions, et parvient enfin à offrir à son public un album studio consistant et à la hauteur de ses prestations scéniques, inaugurant par la même occasion la période à plus grand succès de son histoire. Et si les sintétiseurs ne feront leur apparition que sur Love Stinks en 1980 et surtout Freeze Frame en 1981, Sanctuary s’en rapproche sur bien des points, et est généralement vu comme le disque de transition entre le J. Geils Band « d’avant » et « d’après », une étape cruciale qui a lourdement contribué à faire du groupe une des emblèmes du blues rock américain de l’époque, même si sa rapide séparation au milieu des années 80 l’a fait quelque peu tomber dans l’oubli depuis.