Ent. I-II. Patti Smith – Easter

Entracte : Entre blues rock et art rock

Album : Easter

Artiste : Patti Smith

Origine : New York, États-Unis

Comme chacun sait, il est impossible de tracer des frontières rigides entre genres musicaux et les ponts sont aussi nombreux que les genres eux-mêmes. Et puisqu’il aurait été dommage d’écarter de cette série les monuments de l’année 1978 impossibles à ranger dans un acte, ceux-ci seront traités dans une section entracte, le plus possible entre les deux genres dont ils se rapprochent le plus. L’acte I ayant été consacré au blues rock et au heartland rock et le II, à venir, à toutes les formes d’art rock plus ou moins progressives, c’était l’occasion idéale de parler de Patti Smith!

Considérée à juste titre comme une pionnière décisive de la musique punk et même plus généralement de tout ce qui de près ou de loin porte le nom « alternatif », elle a également été une source d’inspiration majeure pour les femmes désirant se lancer dans le rock à une époque où les icones rock féminines étaient encore rares. Encensée à la sortie de Horses en 1975, elle a du cependant affronter des critiques plus dures à l’encontre de son pourtant très réussi segond album Radio Ethiopia en 1976. Après avoir collaboré avec l’ex-Velvet Underground John Cale puis Jack Douglas (dont le CV incluait à l’époque John Lennon, Aerosmith, Alice Cooper ou les New York Dolls), elle choisit Jimmy Iovine comme producteur de son prochain disque, soit l’un des artisans du son heartland rock de la fin 70-début 80, déjà évoqué lors de la cronique de You’re Gonna Get It de Tom Petty & The Heartbreakers. Une indication sur l’album à venir? La réponse arrive en mars 1978 avec la sortie d’Easter, troisième album du Patti Smith Group, à une époque où la vague punk a déjà frappé, en grande partie sur les bases de Horses et Radio Ethiopia.

Évidemment, on ne peut parler d’Easter sans évoquer d’emblée l’immense, l’incontournable, le brillantissime Because The Night! Co-écrit avec Bruce Springsteen dont on identifie assez nettement la griffe, ce morceau a tout du classique ultime, des mélodies sublimes, un refrain imnesque, sans parler de la voix de Patti qui colle le frisson aussi bien dans son registre feutré que celui plus nerveux, un véritable bijou qui encore aujourd’hui n’a rien perdu de sa splendeur! Ce côté plus heartland et épique, peu présent auparavant, se retrouve dans des morceaux comme Till Victory ou l’excellent Privilege (Set Me Free), un registre dans lequel la chanteuse se montre particulièrement à l’aise, et que la patte sonore de Jimmy Iovine valorise évidemment à merveille. Les oreilles attentive entendront même quelques accents pré-Simple Minds sur Privilege, ce qui n’est pas étonnant quand on sait que les Écossais citent Patti Smith parmi leurs influences majeures. Les aspects plus agressifs de la musique de la chanteuse, incarnés par les rageurs Gloria ou Pumping dans les albums précédents, perdent du terrain mais restent audibles comme le montre le rugueux et viscéralement punk Rock ‘n’ Roll N***, où Patti partage pour l’occasion le micro avec Lenny Kaye. Quant au registre plus sombre et spirituel dans lequel Horses et Radio Ethiopia excellaient déjà, il offre quelques nouveaux bijous tels les somptueux Ghost Dance, We Thee ou Easter, dont les mélodies poignantes et les textes poétiques prennent aux tripes, sublimés par le chant toujours frissonnant de Patti, tout simplement gigantesque.

Sans tourner le dos à l’art punk des deux premiers albums, Easter marque tout de même un tournant important pour Patti Smith. En plus de contenir l’un de ses morceaux les plus emblématiques (Because The Night), il opère une habile transition vers un rock plus heartlandesque, et donc plus accessible, mais pas moins brillant pour autant. Et cette fois, les critiques seront unanimes, Easter est immédiatement reconnu comme un chédeuvre, et beaucoup y voient l’envol artistique tant attendu de la chanteuse après les belles promesses annoncées par ses deux premiers disques. Ce coup de maitre sera par ailleurs très vite confirmé par son quatrième album Wave, sorti en 1979 et poursuivant le virage heartland rock raffiné entamé par Easter, une consécration qui sera cependant suivie d’une pause de 9 ans.