Fellowship – The Saberlight Chronicles

Artiste: Fellowship
Origine: Ecosse
Date de Sortie: 2022
Genre: Power Metal

Alors que j’écris ces lignes, j’ai une pensée particulière pour Phil Giordana, compositeur de Fairyland, qui nous a quittés, ainsi que pour ses proches… Il était une référence du Power Metal symphonique Français et international, un maître dans l’orchestration et tout particulièrement les chœurs. Un jour prochain je prendrai le temps de vous donner mon ressenti sur “The Fall of an Empire” qui m’a tant émerveillé. Le monde du Power Metal étant plus petit qu’on ne pourrait le penser, il se trouve que non seulement Fellowship ont été inspirés par le premier album de Fairyland (entre autres), mais on peut ajouter que Phil a cru en eux à leurs débuts, les a encouragés, et a même collaboré avec eux pour un morceau, malheureusement réservé à l’édition Japonaise de leur album. 

C’est ainsi que ma passion récente pour “The Saberlight Chronicles” a pris une nouvelle dimension, premier album des Ecossais après un EP et deux singles, à savoir une reprise de “Can You Feel The Love Tonight” et le sensationnel “Glory Days”

Pour peu que vous ayez posé les yeux (comme les oreilles, d’ailleurs) sur le clip de “Until The Fires Die”, vous avez été plongé en pleine avalanche de joie et de mélodies entraînantes, ce morceau étant la parfaite introduction à un album qui sera lumineux dans l’ensemble mais qui n’exclut pas les moments tristes et plus douloureux, comme toute bonne histoire. D’ailleurs Matthew Corry, le vocaliste du groupe a aussi écrit un petit roman pour donner une dimension supplémentaire à son récit, ce qui sera apparemment systématique dans son processus créatif. Libre à chacun de le télécharger et de le lire (pour peu que l’on lise en anglais) pour plonger un peu plus dans l’univers de son groupe, l’ouvrage étant en accès libre sur le site de Fellowship

Fellowship est un groupe surprenant et c’est sa première qualité (bien qu’il n’en manque pas), ainsi le sieur Corry, en plus d’être un élément créatif et moteur pour le groupe, est aussi un chanteur étonnant, avec un type de voix que l’on n’entend pas si souvent dans le style représenté. Sa voix est claire, puissante mais donne aussi une impression de vulnérabilité tant elle est expressive et permet de transmettre toutes sortes d’émotions, y compris les plus touchantes. Une des forces de l’album est une adéquation parfaite entre le sujet de l’histoire (“Dedicated to the people who try” étant les mots en tête du roman) et la musique. Ainsi, le groupe nous conte ici des héros profondément humains, vulnérables et qui doivent faire du mieux qu’ils le peuvent pour surmonter les obstacles. Pas de dieux, de superhéros ou autres surhommes. 

L’expression musicale de cette épopée est d’une variété bienvenue, avec pour fil directeur des mélodies inventives sublimées par cette voix qui m’avait étonné dans un premier temps avant de me séduire et de m’émouvoir. Les chœurs utilisés avec parcimonie, les orchestrations toujours justes et bien senties transportent l’auditeur que je suis, mais les qualités d’écriture de Matthew sont aussi remarquables, avec des mots qui vont droit au cœur, comme sur le morceau “The Saint Beyond The River” (et sa mélodie celtique magnifique), ou ce fameux « Someone tell me, am I worthy? » sur « Oak And Ash », interrogation à laquelle le héros répond lui-même sur « Glint »: « I’ve always been worthy, I know that you know me ». Le groupe est à l’aise dans toutes les figures imposées du genre, qu’il s’agisse de cavalcades épiques comme sur “Oak And Ash”, de morceaux majestueux et parfois enjoués (“Glory Days”, qui évoquait Broadway à un commentateur avisé sur le net, ce à quoi je ne peux qu’applaudir), ou de ballades (“Silhouette”) … Les musiciens sont inspirés, ont une identité qui les rend d’emblée reconnaissables ce qui n’est vraiment pas donné à tous dans ce style, et prouvent par l’exemple qu’ils savent habilement tirer leur épingle du jeu. Le cheminement dans les morceaux mène bien évidemment vers une conclusion de toute beauté avec le magique “Avalon” (l’île qui fait office de paradis dans les récits Arthuriens)… Mais que dire des moments de grâce qui m’ont charmé au fil des écoutes ? Par exemple sur “Glint” où les prouesses vocales du frontman me sont restées en tête longtemps après que la dernière note ait retenti et ont grandement contribué à faire passer l’œuvre du groupe d’une première écoute tout juste sympathique à mes oreilles à une expérience que je trouve profondément émouvante et tout aussi cathartique que n’importe quel récit de Fantasy de qualité. La passion que les musiciens insufflent à leur création est palpable, la construction des morceaux narre avec brio musical et émotion cette histoire et à chaque écoute je ne peux que me laisser porter, ce qui pour moi reste un des critères de qualité majeurs dans le style, que ce soit sur un album entier ou juste une chanson. Il faut que l’évasion soit instantanée, que pour quelques minutes ou une heure on pénètre le monde de l’artiste et que l’on ait envie de laisser notre réalité de côté. Mais tout ceci n’est pas pour autant déconnecté de ce qui fait le cœur de nos vies, et c’est donc une expérience revigorante, car les bons sentiments de l’œuvre (sans mièvrerie pourtant) me donnent force et énergie. Le Voyage du Héros tel que théorisé par Campbell puis Vogler, mis en musique et rien de moins!

En résumé, Fellowship nous offre un album complet, personnel, sérieux quel que soit le point de vue adopté pour juger l’album. Ils n’ont pas de prétention mais ne sont pas non plus dans le second degré (à part dans leurs clips, mais cela s’impose car ils n’ont bien sûr pas les moyens d’avoir des clips épiques… Autant en sourire!), ils ne révolutionnent rien mais seront d’honnêtes artisans pour certains, et pour d’autres… comme moi, ils seront les émouvants conteurs d’une épopée qui nous touche profondément, dans le fond comme dans la forme. Le Power Metal peut malheureusement se révéler un genre gangrené par les œuvres génériques, tant certains groupes manquent cruellement de personnalité, ou deviennent des parodies d’eux-mêmes après quelques années. Fellowship parvient en un seul album à conjurer le sort et à vaincre la première épreuve, ce qui en 2022 peut s’apparenter à la folle réussite d’un minuscule Hobbit parvenu à traverser le Mordor pour jeter l’Anneau unique dans le feu de Mount Doom. Parviendront-ils à vaincre la seconde épreuve, et sauront-ils s’inscrire comme des incontournables de la scène, à se réinventer comme Blind Guardian ou d’autres illustres aînés ? Il me tarde déjà de connaître la suite de leurs aventures, mais je ne peux qu’espérer que ces flammes-là ne s’éteignent pas…