Ghost – Impera (2022)

Artiste : Ghost

Album : Impera

Origine : Suède

Date de sortie : 2022

Genre : Heavy pop rock metallisé

Mise au point

Le nouvel album de Ghost, le groupe masqué du désormais célèbre Tobias Forge, vient de sortir ce 11 mars. Avant de me lancer dans la chronique, il me semble opportun de rappeler quelques faits. “Juste une mise au point” (© Jacquie Quartz).

En effet, quand on parle de Ghost, on a souvent une levée de boucliers de la part de ses détracteurs ou par des personnes à qui il est souvent peu supportable ou désagréable de faire face à cette chose protéiforme qu’est Ghost : un groupe qui utilise l’imagerie et le thématiques du black ou du death metal mais qui fait une musique plutôt tournée vers le heavy rock mélodique, avec des refrains pop à chanter à tue-tête, et pire que tout pour les non conquis, du chant clair!

L’idée de départ de Tobias Forge, le meneur du groupe, était plutôt de faire des happening artistiques que d’en faire un groupe ultra connu selon ses propres dires. A rappeler également, que l’aura du groupe a été aidée notamment par un article élogieux de Fenriz (membre fondateur de Darkthrone) en 2010 sur son blog myspace. En gros, ce que je cherche à dire là, c’est que non, Ghost c’est pas un “super-groupe” créé pour être une machine par un label, mais bel est bien un groupe underground qui a conquis peu à peu son public grâce à une musique qui a su toucher un grand nombre de personne et évidemment grâce aussi au côté spectaculaire et aux mises en scènes orchestrées par Forge. Forge a forgé son groupe à la sueur de son front, si je peux me permettre ce jeu de mot un peu pourri. Évidemment, il dit aussi maintenant qu’il cherche à faire au maximum une musique qui plaise et qui marche le plus possible, son but étant que son groupe continue à grandir encore et encore.

Enfin, il est important de rappeler aussi le background musical du mec. Il ne sort pas de nulle part, et son amour pour la musique extrême mais aussi pour des musiques plus pop rock transparaît clairement quand on y regarde de plus prêt. Ghost serait ainsi une façon de lier et de mélanger tout ce qu’il aime et tout ce qui constitue ses goûts en termes musicaux, de thématiques et d’imagerie. 

Premièrement, on peut évoquer le groupe de black metal dans lequel il a été guitariste, vers l’âge de 16 ans : Superior. on peut lire le court article de Hard force par exemple à ce sujet, avec un Forge maquillé dans la plus pure tradition du corpse paint black metal, et un titre d’une des démos du groupe : https://hardforce.com/actu/31712/tobias-forge-ghost-superior-black-metal

On peut aussi évoquer Repugnant, un groupe de death metal qui cherchait à retrouver le son old school à coup de HM-2 (pédale d’effet mythique de Boss, rendue culte par l’album Left Hand Path d’Entombed), dans lequel on peut entendre le growl du plus bel effet de Forge notamment.

Il a, dans un registre plus soft, et qui se rapproche un peu plus du style de Ghost, été guitariste pour le groupe de glam rock Crashdïet. Surtout, ce qu’il me semble important de comprendre c’est à quel point il a une envie de pop pure (on le voit très bien dès qu’on regarde un peu qui co-compose et produit les titres de Ghost), et de pop rock, chose que l’on ressent fortement dans Ghost (et qui justement rebute certains). Il a notamment fait partie d’un superbe groupe de pop rock, Subvision, que je vous invite vivement à écouter. Notamment cet album So Far So Noir :

https://www.youtube.com/watch?v=EXMH273yNkM&list=OLAK5uy_khgXe1pPTHsmt4mTfnA08nJAxaLLcOZYE 

Voilà, il me semblait important de redessiner un peu les contours du groupe et de rappeler d’où il vient avant de me lancer dans la chronique du nouvel album, et afin de clarifier les choses pour ceux qui sont, on peut le dire, gênés par le groupe. Car pourquoi chercher à le descendre, pourquoi en être un détracteur, si ce n’est parce que celui-ci nous gêne dans nos habitudes ou parce qu’il vient bousculer les critères établis d’une certaine scène musicale? On pourrait au contraire y trouver du courage dans ce projet et saluer la réussite du groupe, pour finalement se laisser conquérir par des morceaux jouissifs comme par exemple From The Pinnacle To The Pit tiré du superbe album Meliora (2015), avec ce clip aux seulement 18 millions de vues… :

La chronique de la mort

Selon moi, Impera représente un vrai changement musical dans la discographie du groupe qui se tourne vers un style très inspiré du rock et hard rock des années 80 ou de la fin des années 70. Certains évoquent des groupes comme Scorpions dans les influences possibles, mais le titre qui m’est revenu plusieurs fois en écoutant l’album de Ghost, c’est le génial Hold the Line de Toto sorti en 1978. Je suis même allé jusqu’à sentir une forme d’inspiration d’Alan Parson’s Project (mais c’est vraiment totalement subjectif) dans certains claviers et évidemment avec le titre Watcher in the sky (on est vraiment pas loin d’Eye in the Sky n’est-ce pas?). 

Les thématiques abordées sur l’album tournent autour de la grandeur et de la chute inévitable des empires, comme un écho au sentiment de chute de notre civilisation actuelle. Il y a donc souvent, comme régulièrement chez Ghost, une forme de dénonciation et de prise de position face aux symboles de pouvoir, de puissances, qu’ils soient politique ou, de façon plus évidente, religieux. L’idée générale thématique de l’album serait née après la lecture de l’ouvrage The Rule Of Empires: Those Who Built Them, Those Who Endured Them, And Why They Always Fall de Timothy Parsons.

Le premier titre au nom étrange Kaisarion, fait par exemple référence au Caesareum, un ancien sanctuaire d’Alexandrie en Égypte dans lequel Hypatie, une philosophe et scientifique qui enseignait le néoplatonisme, aurait été assassinée car son enseignement et ses croyances païennes allaient à l’encontre de l’avènement de la chrétienté selon ceux qui ont perpétré son meurtre. C’est, selon les propres mots de Forge, une forme de critique de ceux qui chercheront toujours à écraser la vérité et la connaissance parce qu’elle va à l’encontre de ce en quoi ils croient, et qui sont prêts à tout pour faire taire ceux qui se dressent contre eux, comme l’ont fait par exemple récemment les assaillants du Capitole américain.

Le morceau en lui même est une belle réussite dans un style assez conventionnel mais avec un refrain au break plus qu’intéressant et qui envoi bien, des guitares bien acérées qui font un peu tout le sel du morceau.

A noter, que toutes les guitares, sur l’intégralité de l’album ont été enregistrées par le génialissime Fredrik Åkesson (actuel guitariste d’Opeth, ex-Arche Enemy), un véritable virtuose de l’instrument et qui sait être sensible et plein d’émotion dans son jeu quand il le faut. 

Avant ce premier morceau, on a le droit à la très belle intro Imperium, un instrumental comme sait si bien les faire Ghost.

Spillways reste un morceau assez conventionnel aussi à mon goût, qui assoit le style voulu pour cet album avec son refrain ravageur, avant de passer à deux des singles de l’album. Le premier, Call Me Little Sunshine, et son très bon pré-refrain “You will never walk alone…”. Les parties couplets calmes sont une petite merveille de simplicité avec un son finement ciselé et bien prenant. Je n’en ai pas encore parlé mais l’album a été mixé par rien de moins qu’Andy Wallace, LE Andy Wallace qui a travaillé sur certaines des plus grosses sorties metal et hard rock de ces trente dernières années et qui avait déjà travaillé sur les deux derniers albums du groupe. Ensuite, le deuxième single, mon préféré des trois (il y a eu aussi Twenties), Hunter’s Moon, qui fut d’abord sorti en tant que générique de fin du dernier épisode de la franchise Halloween initiée par John Carpenter (Halloween Kills, un slasher bidon que je vous invite à regarder si vous voulez vous poiler devant un bon navet. Le clip est d’ailleurs bien mieux que le film lui-même!). C’est le titre le plus heavy à mon goût, celui que je préfère dans ce style sur l’album, avec ce son de guitare solo bien perçant! La version clip est un peu différente du mix final qui se retrouve sur l’album.

Watcher in The Sky fait partie de ces titres assez simples mais aux refrains entêtant qu’on a hâte d’entendre et de hurler en live, et qui envoient du bois avec ses grosses guitares bien lourdes.

Dominion, un petit interlude musical qui précède le très étonnant Twenties, est un hommage à peine voilé au sublime Adagio pour cordes provenant d’un mouvement du Quatuor à cordes no 1, op. 11 de Samuel Barber, composé en 1936.

Twenties continue dans l’hommage, mais cette fois-ci c’est un hommage aux années 20 du siècle passé. Cependant on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec nos années 20 à nous, celles que nous vivons actuellement. C’est un morceau plus qu’étonnant et unique dans la discographie du groupe, avec son rythme dansant, et les cuivres qui ajoutent à l’atmosphère assez sombre du morceau malgré le côté festif. 

Mon morceau préféré de l’album, celui que je trouve le plus beau, que je trouve le mieux composé et aux harmonies qui me prennent le plus aux tripes, c’est le slow Darkness at the Heart of My Love. Il n’y a qu’à l’écouter pour être conquis. C’est le genre de titre qui pourrait facilement devenir un classique du hard rock, et j’imagine déjà les milliers de briquets allumés dans la foule dans une salle bondée ou un stade, comme pendant un Still Loving You.

Griftwood continue dans la veine stylistique de l’album, du bon hard, assez facile mais entraînant. Ici le pont peut rappeler certaines choses entendues chez un Devin Townsend. Avant de repartir dans un solo de feu à la guitare qui relance le titre comme il a commencé.

Un dernier interlude musical, Bite of Passage (jeu de mots avec Rite of Passage ?) introduit le dernier morceau Respite on the Spitalfields, un sublime et doux moment au break qui éclate et jaillit presque sans prévenir avant un refrain aux chœurs puissants qui laisse place à un petit solo de gratte bien comme il faut, dans la pure tradition des influences musicales de cet album.

Conclusion

Un album qui va peut-être en laisser certains sur le côté, tant il inaugure un nouveau style pour le groupe, déjà initié auparavant, mais pleinement assumé désormais, une musique parfaite pour les grands rassemblements, du vrai Arena Rock par moment, qui peut rebuter ou qui peut au contraire conquérir le plus grand nombre.

Il s’agit selon moi d’un des plus grands albums du groupe, un des plus accomplis, bien qu’il soit peut-être le moins “metal” de la discographie. C’est un album qui contient plusieurs tubes, c’est certain, taillés pour la scène, et qu’on a hâte de vivre lors de la prochaine tournée européenne du groupe qui passera notamment par Paris le 18 avril prochain!

L’album est en écoute intégrale ici :

A noter aussi, la vidéo live de quelques morceaux à l’occasion de la sortie de l’album, tourné depuis le Ministère de Papa Emeritus IV (personnage incarné par le chanteur).