Acte IV : Post-punk/new wave à riffs, rock alternatif
Album 3 : Warsaw
Artiste : Joy Division
Origine : Angleterre
Il était évidemment impensable de parler post-punk à riffs sans évoquer la courte mais immense carrière de Joy Division, pierre angulaire de beaucoup de courants des années 80 à nos jours! Ce groupe a évolué si vite qu’on a peine à admettre que l’EP An Ideal For A Living, enregistré fin 1977, et Closer, enregistré début 1980, sont l’euvre de la même entité, et on peut alors se demander quelles ont été les étapes intermédiaires entre ces deus disques si différents. Ces étapes sont évidemment nombreuses et quasiment toutes cruciales, mais on se focalisera aujourdui sur tout ce qui s’est passé entre fin 1977 et mi-1978.
Pour rappel, le groupe avait été formé fin 1976 sous le nom de Warsaw, et s’était stabilisé autour de Ian Curtis au chant, Bernard Sumner à la guitare, Peter Hook à la basse et Stephen Morris à la batterie courant 1977. Comme de nombreuses grandes figures post-punk, les membres étaient à l’époque tous influencés par la vague punk contemporaine, en particulier les Sex Pistols, mais aussi les précurseurs du punk comme les Stooges, le glam rock ambitieus de David Bowie et Roxy Music, le rock expérimental du Velvet Underground ou le kommisch allemand des Kraftwerk, Can et Neu. Si on peut déjà entendre un côté martial érité de Neu sur l’EP An Ideal For A Living (de l’aveu de Stephen Morris lui-même), on reste encore en territoire très punk et direct à cette époque, mais les choses vont ensuite évoluer très vite.
Préférant abandoner le nom de Warsaw pour éviter toute confusion avec le groupe Warsaw Pakt, le quartet mancunien adopte le nom de Joy Division en janvier 1978, et entre dans une fase d’écriture active en plus de multiplier les concerts. Le groupe est repéré en mars par deus figures locales, le producteur Tony Wilson et le DJ Rob Gretton, qui vont rapidement faire une une promotion active du groupe sur les antennes. L’ascension est fulgurante et Joy Division se voit même offrir l’occasion d’enregistrer son premier album longue-durée par Grapevine Records, un label affilié à RCA. À ce moment, le répertoire du groupe s’est considérablement étoffé, aussi bien grace aus nouvelles compositions qu’aus anciennes profondément remodelées. Les sessions d’enregistrement se déroulent en mai 1978, mais n’aboutiront pas en raison de désaccords de fond avec le patron de Grapevine Records, un certain John Anderson. Ce dernier insiste en effet pour ajouter du sintétiseur aus morceaus enregistrés, ce que refuse le groupe. La collaboration avec RCA prend donc fin très rapidement et Joy Division voit ses débuts discografiques retardés alors que beaucoup des autres meneurs de la vague post-punk en construction sont sur le point de casser la baraque. Il faut alors se contenter de l’EP An Ideal For A Living, sorti en juin 1978 bien qu’enregistré plusieurs mois auparavant, et surtout en décalage complet avec ce qu’était devenu la bande à cette période. Les morceaus enregistrés durant les sessions RCA parviennent cependant à se diffuser via un bootleg étiqueté « Warsaw », devenu si légendaire qu’on peut légitimement le considérer comme le premier vrai album du groupe bien qu’il n’ait pas bénéficié d’une sortie officielle avant 1994.
Mêlant titres écrits plus de 6 mois avant son enregistrement à d’autres à peine composés, Warsaw oscille sans surprise entre le punk brut et direct des débuts de Joy Division et post-punk plus sombre anticipant très nettement la suite. Côté punk, They Walked In Line, Interzone et Warsaw font particulièrement forte impression avec leurs riffs ravageurs, leur ritmique frénétique et le chant enragé de Curtis, un bon aperçu de l’énergie brute que le groupe dégageait à ses débuts. On remarque cependant très vite que 1977 est bien terminée lorsqu’on compare la nouvelle version de Leaders Of Men à celle figurant sur An Ideal For A Living. Plus lourde, plus plombante, dotée d’un riffage moins rock et plus « banshesque » et surtout d’un chant nettement plus caverneus, cette version surpasse de loin la précédente, tout en gardant un peu de la rage punk d’origine, notamment dans le refrain, incontestablement l’un des sommets de l’album. Quant aus compositions les plus récemment écrites, Transmission et Shadowplay, elles se rapprochent encore plus clairement de ce qu’on connait de Joy Division, véritables monuments de noirceur post-punk menées par des lignes de basse lugubres, des mélodies graves, des riffs mélancoliques et un chant qui a désormais pleinement achevé sa transition des vociférations punk originelles aus lamentations lancinantes qui ont fait sa renommée. Ces deus titres sont proprement géniaus et c’est sans surprise qu’ils bénéficeront rapidement d’une sortie officielle avec une production plus propre, en juin 1979 sur le premier vrai album du groupe Unknown Pleasures pour Shadowplay et en octobre 1979 sous format single pour Transmission.
Certes les restes punk sont encore bien audibles, certes la production caverneuse pleine de réverbération de Martin Hannett, ingrédient essentiel du son des deus albums suivants, n’est pas encore là, mais l’album avorté Warsaw marque tout de même le moment où Joy Division est véritablement devenu Joy Division et plus seulement une excroissance punk. Le chemin parcouru depuis An Ideal For A Living est immense, et encore plus épatant quand on pense que seulement 6 mois séparent l’enregistrement de ces deus albums, ce qui rend encore plus regrettable le fait que seul An Ideal For A Living était officiellement disponible en 1978.
Malgré le couac des sessions RCA, la promotion active de Joy Division via Tony Wilson et Rob Gretton se poursuit tout au long de l’année. Le groupe fait sa première apparition télévisuelle en septembre, et choisit naturellement d’y jouer l’un des titres les plus représentatifs de son évolution musicale, Shadowplay. En octobre, c’est un autre évènement de taille qui se produit avec la participation du groupe à la compilation post-punk/indus A Factory Sample, où figurent également deus futures grandes figures de la décennie suivante The Durutti Column et Cabaret Voltaire, ainsi que l’umoriste John Dowie. En plus d’offrir l’occasion d’enregistrer deus nouvelles compositions, Digital et Glass, cette compilation marque la première collaboration de Joy Division avec le producteur Martin Hannett, qui deviendra producteur en chef des albums de la bande jusqu’à sa fin. La compilation sort en décembre 1978 et contribue à accroitre encore un peu plus la popularité du quartet, qui semble alors promis à un grand avenir. Cette ascension fulgurante se concrétisera avec la sortie en juin 1979 du génialissime premier album officiel de la bande, Unknown Pleasures, qui a durablement marqué l’istoire de la musique contemporaine. Les membres du groupe n’auront cependant jamais l’occasion de savourer ce succès, puisque le 27 décembre 1978, Ian Curtis subira sa première crise d’épilepsie, une maladie qui ne cessera ensuite de ruiner sa vie jusqu’à son tragique suicide le 18 mai 1980.