II. 4. The Moody Blues – Octave

Acte II: Post-prog, art rock

Album 4 : Octave

Artiste : The Moody Blues

Origine : Angleterre

Il peut paraitre surprenant de retrouver le Moody Blues dans une telle rubrique. Le tème étant plutôt orienté vers l’avenir (du point de vue de la fin 70 en tout cas), pourquoi inclure un groupe qu’on associe plutôt aux années 60 à début 70? Tout simplement parce que le dit groupe a sans doute réussi l’une des cures de juvence les plus réussies et inattendues de son époque! Avant d’en dire plus, resituons un peu le contexte. Pour rappel, le Moody Blues était jusqu’à fin 1966 un groupe de r’n’b globalement assez traditionnel bien que lorgnant discrètement vers le jazz et le classique. Moyennant quelques changements de personnel, ces influences jazz et classique ont pris par la suite une plus grande ampleur, ce qui a abouti à une incroyable série d’albums rock sinfoniques qui auront un impact considérable sur le développement du rock progressif, particulièrement ceux sortis entre Days Of Future Passed (1967) et A Question Of Balance (1970). Cependant, lorsque la vague prog émerge au début 70, le Moody Blues est déjà sur le déclin, son manque d’inspiration et d’idées fraiches se fesant particulièrement ressentir sur le Seventh Sojourn de 1972 malgré quelques coups d’éclat. Enregistré dans des conditions houleuses, ce disque signe la fin d’une époque, le groupe se séparant en 1974 non sans avoir effectué une dernière tournée à succès.

Les membres du groupe ne restent pas inactifs pour autant. Ainsi, entre 1975 et 1977, chacun sort au moins un disque solo, la plupart dans une veine folk rock certes progressive mais globalement plus directe et pop que du temps du Moody Blues, et certains récoltent même un succès solide, en particulier Justin Hayward. Les tensions s’étant quelque peu apaisées, les 5 membres de la période classique 66-74 décident de reformer le Moody Blues en 1977, et projettent rapidement de sortir un nouveau disque, 6 ans après The Seventh Sojourn. L’enregistrement de cet album de la réconciliation ne s’effectue cependant pas en toute tranquilité, et le climat se tend très vite, en particulier entre le claviériste Mike Pinder et les autres membres. Ayant entretemps déménagé en Californie, Pinder ne s’investit que modérément dans le projet, et finit par quitte le groupe courant 1978 avant la complétion de l’album. Malgré ça, ce neuvième disque finit tout de même par sortir sous le nom d’Octave en juin 1978, une référence au fait qu’il s’agit du huitième enregistré depuis la refonte du groupe en 1966.

Alors qu’attendre d’un album du Moody Blues sorti en 1978 après 6 ans d’absence, à une époque où le rock sinfonique de la fin 60-début 70 est plutôt passé de mode et où l’arena rock, le post-punk et le disco sont les genres les plus en vogue? Probablement un disque délibérément passéiste, taillé pour retisser les liens avec le public historique, hors de son époque, gorgé d’airs de Mellotron apportant un peu de nostalgie aux trentenaires déçus de la tournure qu’a pris la musique populaire. Plausible, cette ipotèse est cependant instantanément balayée par les premières notes du premier titre du disque, l’incroyable Steppin’ In The Slide Zone. Certes le groupe avait déjà fait usage de quelques sonorités futuristes par le passé (sur On The Threshold Of A Dream en 1969 notamment), mais rien ne pouvait laisser présager un saut aussi abrupt dans l’ère moderne! Au placard le Mellotron à papa et bonjour l’intro au sintétiseur sentant fort les années 80 pourtant pas encore commencées (sauf si on se fie au titre de la rubrique), oubliées les guitares folk et les orchestrations et bonjour les riffs de guitare électrique puissants et les solos épiques, un vrai choc, à peine compensé par les choeurs rappelant encore le stile classique du groupe. Risqué, ce morceau se révèle être une véritable bombe, son refrain est plus mémorable que jamais et la combinaison guitare-clavier fait des ravages, jamais le Moody Blues ne s’était montré aussi incisif et parvient à se réinventer brillamment après avoir stagné artistiquement durant les 2 dernières années ayant précédé sa séparation, un grand bravo. Mais que les fans historiques se rassurent, Octave ne tourne pas entièrement le dos au passé. Si les sintétiseurs ont bien remplacé le Mellotron et autres claviers courants durant l’age d’or du rock prog, ça n’empêche pas le très folk Under Moonshine ou les poignants et plus sinfoniques Survival et I’m Your Man de rappeler les grandes années du groupe, avec une fraicheur et une inspiration enfin retrouvées! Et que dire d’un bijou comme Driftwood, où le folk orchestral caractéristique de la bande prend des accents plus smooth jazz matérialisés par l’usage inédit du saxofone! Autant le dire, il s’agit sans hésiter d’un des titres les plus sublimes jamais sortis par le Moody Blues, les mélodies sont plus touchantes que jamais, la voix de Justin Hayward est belle à pleurer, les airs de saxofone et de guitare sont magiques, tout simplement le grand frisson! Dans le même registre (mais sans saxo), The Day We Meet Again fait quasiment aussi bien avec sa montée dramatique pleine d’intensité, grace une fois de plus au génie de la voix et des airs de guitare de Hayward ainsi que des choeurs du reste de la troupe.

Vous l’aurez compris, plus qu’un simple retour aux affaires, Octave est un véritable coup de maitre, et l’un des meilleurs albums du Moody Blues, à ranger parmi les Days Of Future Passed, On The Threshold Of A Dream ou A Question Of Balance! Inattendu à ce niveau, le groupe réussit non seulement à se réinventer sur certains titres, se parant d’une modernité aussi surprenante que maitrisée, mais en plus à redinamiser sa formule folk rock orchestrale qui semblait battre de l’aile sur Every Good Boy Deserves Favour et surtout The Seventh Sojourn, un exploit majuscule pour un groupe qu’il ne fallait décidément pas enterrer trop vite!

Malgré un accueil mitigé de la critique, et malgré une époque peu favorable aux dinosaures du passé, Octave récoltera un succès plus qu’honorable, porté par ses deux tubes Steppin’ In The Slide Zone et Driftwood, ce qui consolidera le retour du groupe et ouvrira la voie à une nouvelle série d’albums aussi réussis que ceux de l’ère classique, à commencer par le suivant Long Distance Voyager en 1981. Entretemps, afin de remplacer le claviériste fondateur Mike Pinder, le groupe recrutera Patrick Moraz, ex-member de Yes, qui fera ses débuts scéniques fin 1978 à l’entame de la tournée d’Octave. Et pour répondre à la question posée en début de cronique, oui le Moody Blues mérite sa place dans cette rubrique, parce que 1978 a été l’année de sa renaissance et a posé les bases de son orientation musicale durant les années 80, sans pour autant délaisser ce qui fesait sa grandeur, il aurait été dommage de s’en priver!